État des lieux de la diffusion des musiques africaines sur le continent
Certains noms sont fréquemment cités. Il s’agit de chanteurs tels Youssou N’Dour du Sénégal, Salif Keita du Mali, Angélique Kidjo du Bénin, A’Salfo de la Côte d’Ivoire, Die Antwoord de l’Afrique du Sud, Richard Bona du Cameroun, ou encore Lokua Kanza du Congo. Cependant, ces grands noms cachent une réalité crue : leur sous-représentativité à l'échelle continentale.
En effet, ces artistes sont plus connus en Europe que sur le continent africain, ils font l’essentiel de leurs concerts en occident et gagnent l’essentiel de leurs droits d’auteur et droits voisins hors d’Afrique.
Les échanges intra-africains sur le plan musical sont restés très longtemps insignifiants. Cependant, cette tendance a commencé à s’inverser avec l’émergence d’artistes africains tels que les Nigérians Wizkid, Yemi Alade, Davido et le Tanzanien Diamond Platnumz. Tous sont actuellement très connus sur le continent.
Le potentiel du marché
Le marché de la musique est viable en Afrique selon le rapport de Price Water House Coopers qui ajoute que dans un pays tel que le Nigeria, l’industrie musicale devance d’autres commodités : médias (anciens et nouveaux) et évènementiel[iii].
La seule limite du rapport « Global Entertainment and Media Outlook 2016–2020 » c’est que l’embellie de l’industrie musicale en Afrique ne semble concerner que les pays anglophones d’Afrique. Car le document a des données sur des pays tels que : l’Afrique du Sud, le Nigeria et le Kenya.
Autre information fournie par ce rapport : les prévisions de croissance du marché de la musique africaine sur le continent représentent 4 fois celles du reste du monde, au Kenya et en Afrique du Sud. Au Nigeria, les prévisions de croissance de ce marché font 6 fois celles du reste du monde.
Mais pour atteindre effectivement en 2020, les perspectives anticipées par ce rapport, l’industrie musicale africaine doit encore plus miser sur les nouveaux modes de distribution caractérisés par le streaming et la dématérialisation des supports.
Plusieurs multinationales ont compris l’importance de l’Afrique. Ainsi, Spotify et Apple Music proposent d’ores et déjà des œuvres d’artistes africains au public du continent. Cependant, ces deux marques ne communiquent pas encore de données sur leurs ventes.
L’Afrique du Sud est le seul pays sur lequel le montant des ventes de musique en ligne est disponible. Selon les prévisions, ces recettes devraient ainsi passer de 2 milliards 800 millions de F CFA (5 millions de dollars US) en 2015, à 18 milliards de F CFA (31 millions de dollars US) en 2020.
L’augmentation constante du nombre d’abonnés en téléphonie mobile vient renforcer ces nouveaux modes de consommation basés sur le streaming.
Mais les échanges culturels et musicaux intra-africains demeurent plus faibles qu’en Europe et aux USA, qu’il s’agisse de rencontres physiques, d’ateliers ou de concerts.
Les difficultés de circulation musicale intra-africaine
Pour comprendre l’immobilisme qui freine les échanges musicaux entre pays africains. Il faut s’intéresser à la place que les pays du continent accordent au secteur musical et culturel.
Que se passe-t-il sur le plan domestique ? Quel est l’environnement géographique, institutionnel et politique dans lequel évolue l’industrie musicale des pays africains ?
Le statut de l’artiste
La reconnaissance est un des piliers de l’économie créative. Cependant, les revenus financiers qui se trouvent au cœur même de la création musicale ne sont quasiment jamais pris en compte par les autorités gouvernementales africaines.
Dans divers pays africains comme : le Rwanda, le Sénégal, le Ghana, le Burkina Faso, l’Afrique du Sud, la Namibie et Madagascar pour ne citer que ceux-là, les artistes n'ont pas de statut, malgré les efforts des associations et autres organisations qui tentent de donner aux chanteurs, un statut identique à celui des autres opérateurs économiques.
L’étendue géographique
La distance demeure un souci en Afrique. En fait, c’est moins la distance que des facteurs connexes tels que : l’absence de moyens de transport rapides, l'état des routes, quand elles existent, qui compliquent le moindre déplacement.
Aux USA ou en Europe, il est relativement simple et fréquent de louer un bus et de faire une tournée à travers tout le pays ou le continent.
Sur des comparateurs de prix en ligne, des billets d’avion ont un prix accessible par rapport au niveau de vie. Il est possible de se déplacer en vol « low-cost » (à prix bas) d’un pays à l’autre pour un tarif allant de 19 000 à 32 000 F CFA (31 à 53 dollars US).
Or en Afrique, le voyage entre deux pays ayant une frontière commune coûte au minimum entre 130 000 et 160 000 F CFA (217 à 268 dollars US).
Dans ces conditions, le moindre déplacement d’un chanteur avec son groupe exige un important budget. Chose qui réduit, voire empêche les déplacements d’artistes sur le continent.
L’harmonisation des mécanismes de collecte des droits d’auteur
En Afrique, le manque d’harmonisation ou l’absence d'application réelle des mécanismes de collecte des droits d’auteur et des droits voisins, constitue une entorse au respect de la propriété intellectuelle des œuvres des auteurs, compositeurs et interprètes.
Jenny M’Baye chargée de cours à l’université de Londres (Royaume-Uni), soutient que l’absence de cadre juridique adéquat maintient le flou en termes de collecte des droits au détriment du développement des industries créatives.
Le rapport Afrique de l’Ouest 2007 – 2008 de l'Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE) va dans le même sens quand il affirme : « le manque de régulation du secteur culturel (dépendance du financement par rapport au Nord, législations fiscales souvent défavorables, mauvaise gestion des droits d’auteur) constitue un frein certain au développement des industries culturelles[iv]. »
Dans son édition du 16 août 2010, le magazine Jeune Afrique dresse un sombre état des lieux : « sociétés de gestion collective inexistantes ou inefficaces, piratage... Le manque à gagner est important pour les artistes, qui peinent à profiter de leur succès. Certains ripostent en attaquant leur gouvernement. »
Politique, ethnicité et l’industrie musicale
Le mélange hétérogène de facteurs comme la politique et le repli ethnique sont également des freins au développement artistique des pays africains.
Les leaders politiques feignent d’ignorer la portée économique de la musique et son impact pour la paix sociale. Mais ces dirigeants gouvernementaux n’hésitent pas instrumentaliser la musique à des fins politiciennes.
Les sociétés d’auteurs en Afrique sont, pour la plupart, des organisations gouvernementales souffrant des pesanteurs administratives. Les lenteurs d’accès à la technologie et les soucis logistiques sont autant de facteurs nuisant à l'avancée des choses.
Pour ne rien arranger, les lois régissant l’utilisation des œuvres musicales sont difficilement appliquées. Dès lors, des associations syndicales et les représentants des groupes d’artistes s’essoufflent dans leurs luttes pour la reconnaissance.
L'aspect monétaire
Autre obstacle à la circulation des musiciens sur le continent africain ; la parité monétaire entre les pays utilisant le Franc CFA et ceux ayant d’autres monnaies.
Comment déplacer des musiciens togolais pour un concert prévu sur l’Île Maurice ? Ce genre de voyage impose des contraintes de change telles qu’il est parfois plus simple de payer en dollars ou en euros.
Le chercheur Ejike E. Okpa analyse froidement cet aspect du ralentissement du développement en ces termes : « puisque nous vivons tous dans un monde global, ne serait-il pas plus judicieux de commercer dans une devise unique ? Si cela se produisait, les économies occidentales n’auraient aucune chance de survivre parce que la main-d’œuvre bon marché qui leur est offerte grâce à l’immigration baisserait de manière drastique. Le travail est le plus important de tous les facteurs de production »[v].
La connectivité
Internet est un autre facteur qui pourrait aider l’Afrique en facilitant l’échange des musiques et les déplacements des artistes. Mais là aussi, selon une étude menée par deux chercheurs britanniques, l’Afrique est le continent le moins desservi par internet.
Le duo d’universitaires soutient carte à l’appui : « il y a un fossé croissant entre ceux qui sont capables de se connecter facilement sur le marché mondial et ceux qui sont exclus du web. Pour ceux-là, un grand nombre d’opportunités sociales, économiques et politiques sont inaccessibles »[vi]
Selon les mêmes chercheurs, cette situation a pour cause le coût trop élevé d’internet en Afrique.
Quelles perspectives ?
Malgré les nombreux freins à la mobilité des artistes. Des initiatives abondent pour faciliter les échanges et les déplacements des artistes africains. Parmi les plus connues on peut citer : Art Moves Africa (AMA), Afrikayna, ou encore la nouvelle initiative de Music In Africa, Music In Africa Connects qui sont des projets visant à faciliter la mobilité des artistes africains sur le continent.
Cependant, il faut mener un plaidoyer auprès des leaders gouvernementaux. Objectif : modifier leur vision des industries musicales !
Les personnalités politiques africaines doivent considérer la musique comme un outil de « soft power », mot anglais signifiant en français influence diplomatique subtile.
Il faut aussi que les chanteurs africains ayant acquis une forte notoriété deviennent les porte-paroles des artistes moins connus. Ces artistes doivent trouver un bon équilibre entre business et popularité.
Quant aux sociétés d’auteurs les plus structurées, elles doivent être plus solidaires en partageant leur expérience avec leurs pairs en phase de construction.
L’Union Africaine doit considérer comme urgentes la mise en place et la consolidation des industries créatives sur le continent. Les accords entre États membres doivent avoir des composantes culturelles qui soient effectivement matérialisées. Bref, l’Afrique doit considérer que la culture peut générer une forte valeur ajoutée comme le bois, l’argent et l’or.
Bibliographie
[i]http://www.africanmoove.com/afrobusiness/top-10-musiciens-africains-plus-bancables-en-2017/
[ii]https://www.musicinafrica.net/fr/knowledge/overviews
[iii]PricewaterhouseCoopers (PwC) in 2015
[iv][PDF]Rapport Afrique de l'Ouest 2007-2008 - OECD.org
https://www.oecd.org/fr/csao/publications/42358467
[v]Ejike E. Okpa, analyste pour www.africanexecutive.com
[vi]https://www.contrepoints.org/2015/03/27/202326-progres-economique-pourquoi-lafrique-est-en-retard
Cet article a été publié en partenariat avec African Music Development Programme
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