Fatoumata Diawara : entre musique, plaidoyer et retrouvailles avec le Sénégal
Sur la terrasse emblématique de l'hôtel Saint-Louisien, La Résidence, devant la suite 301, Fatoumata Diawara trône dans une moitié de baignoire astucieusement transformée en chaise, une table disposée devant elle, faisant front à un petit groupe de journalistes sénégalais.
À quelques heures de monter sur scène pour son tout premier concert au Sénégal, le temps presse, mais son désir apparent de transmettre un message à ses sœurs et frères africains prend le dessus. Ainsi, son entretien se métamorphose en un plaidoyer puissant en faveur du continent, un discours passionné qui reflète l'amour profond de cette chanteuse mondialement acclamée pour l'Afrique. Entretien.
Bonjour Fatoumata, vous êtes la tête d'affiche de l'édition 2023 du Festival au tour des cordes à Saint-Louis (Sénégal), et vous jouerez à cette occasion, sur la grande scène de l'Institut Français de la ville. Que ressentez vous ?
Honnêtement j'étais très émue, car, figurez-vous, ce sera ma toute première fois de jouer au Sénégal...
J'éprouve aussi une sorte de tristesse. Pour une artiste comme Fatoumata Diawara qui se bat pour l'Afrique, réaliser qu'après une si longue carrière, ce sera ma toute première fois de fouler la scène d'un pays voisin, me peine quelque peu.
Mais mieux vaut tard que jamais - jouer Sénégal va être quelque chose d'exceptionnel. Je suis surtout ravie de pouvoir y présenter mon album London Ko qui a connu un succès mondial et ce sera un bonheur de le jouer en live chez moi !
L'Afrique est ma terre, que je sois au Mali, au Sénégal, au Ghana ou ailleurs sur ce continent, je me sens toujours chez moi. Je me remercie donc le festival Au tour des cordes de m'avoir invitée et de m'avoir mise en tête d'affiche. C'est un réel honneur.
Qu'espérez vous que le public saint-louisien retienne de vous, en vous déplaçant dans cette grande ville historique du Sénégal ?
Je voudrais surtout qu'ils se souviennent à jamais de notre rencontre...
Ils ne me connaissaient certainement que virtuellement, mais en venant dans la ville, ce sera l'occasion pour moi de rendre réel le rêve, tant pour moi, que pour ces fans, de nous rencontrer vraiment.
Mon plus grand souhait est que nous ayons un moment de partage sain, sincère et vraiment basé sur l'amour pour notre continent et nos valeurs.
Des festivals de musique comme Au tour des cordes sont des plateformes pour célébrer la diversité musicale, comment voyez-vous la musique comme moyen de promotion de la communication inter-culturelle et de la diversité ?
Pour moi, la culture est une chance pour nous les africains qui avons tout perdu...
Nous croyons souvent être africains, mais à bien pousser le regard sur notre condition actuelle, nous sommes nombreux à être complètement déracinés et éloignés de l'héritage que nos aïeux ont légué. C'est très triste...
En venant au Sénégal, j'ai porté sur ma coiffure, un tissu africain pour donner plus de couleurs à mon look vestimentaire qui était déjà très afrocentriste. Mais dans l'avion, j'étais vue comme quelqu'un qui sortait d'une autre planète.
Chanteuse célèbre, les gens auraient certainement plus aimé me voir revêtir de grandes marques occidentales plutôt que des tenues traditionnelles de chez moi. C'est bien dommage !
Par la culture nous devons pouvoir revendiquer notre identité d'africains et c'est ce que je fais personnellement, sans crainte, ni complexe.
Merci au Festival Au tour des cordes, qui se joint à ce grand combat de rendre à l'Afrique son âme perdue. Nous en avons vraiment besoin et la culture est une grande arme qui nous aidera à y parvenir.
Votre dernier, London Ko (paru en mai 2023), dont le nom contracte les noms London et Bamako, a été, selon vos dires, salué par la critique mondiale. Voulez-vous nous en dire plus sur ce disque ? Notamment ce qu'il représente pour vous en terme de musique et de message.
Disons que c'est un album d'accomplissement pour moi ; il m'a permis d'expérimenter toute ma polyvalence artistique, en gardant tout de même un pied bien fixé dans ma culture qui est le chant bambara (langue du Mali).
Je sais chanter en français ou en anglais, et je le fais dans mes collaborations internationales, mais dans mes propres disques, comme celui là, je défends ma langue, le bambara, dont je me suis faite l'ambassadrice.
Musicalement l'album est très ouvert ; on peut y lire toute la complexité de mes compositions et de mon écriture, et on y perçoit en filigrane, la vision futuriste d'une artiste féministe d'Afrique.
C'est un opus de son temps, car il faut le dire, l'époque d'Ali Farka Touré n'est pas celle de Fatoumata Diawara. Je fais certes du blues comme lui, mais avec une énergie différente ; le contexte musical et les enjeux ne sont plus forcément les mêmes.
Il y a dans l'oeuvre, ce patrimoine culturel africain que je préserve jalousement, mais il y a aussi de l'ouverture à d'autres langages musicaux du monde, car je vis en Europe et il faudrait bien que l'oeuvre aussi à mon public là-bas. Je voudrais qu'en m'écoutant, ils découvrent une Afrique moderne, qui fait certes des compromis mais qui ne perd pas ce qu'elle a de plus précieux.
Parallèlement à votre carrière, vous menez également un grand combat pour la cause féminine, en vous attaquant notamment à des questions comme celle de l'excision. Comment votre engagement et votre musique se croisent-ils ?
L'excision est un vrai drame pour le continent ! Je l'ai personnellement subie et je sais que demain matin, quelque part sur nos terres, de nombreuses filles y passeront...
Ce qui est plus désolant dans tout cela, c'est que nous ne savons même pas pourquoi nous pratiquons cette chose, sinon prétendument parce que Dieu l'aurait demandé. Mais qui était là à ce moment ? Qui a été témoin de ce fameux contrat divin ?
L'Africain est si gentil et finalement si naïf, qu'il obéit aisément à tout ce qu'on lui impose, sans trop creuser, ni contester. Il y a dans nos cultures, de nombreux éléments importés, et même nos croyances actuelles viennent toutes d'ailleurs, au mépris de nos traditions profondes.
L'excision est une pratique culturelle que nous devons remettre en cause. Croire qu'une femme serait sur la voie de l'enfer parce qu'une vieille pensée médiévale venue de nulle part indique que c'est le sort de non-excisées, est une absurdité. Ce qui importe c'est d'être une bonne femme et cela n'a rien à avoir avec l'excision.
Pour le reste de mon combat féministe, je lutte surtout contre cette aliénation culturelle qui a fortement altéré notre appréciation de la place de la femme en société.
Dans l'Afrique de nos ancêtres, la femme a pourtant occupé une place de choix ; comme les hommes, nos amazones étaient devant dans les combats et elles remportaient des victoires pour nos peuples. Nos ancêtres Soundjata ont combattu avec les femmes pour former le grand empire mandingue.
Mais là encore, en adoptant des croyances étrangères, nous avons relégué la femme à un rôle secondaire. Le bon religieux, celui qui est vraiment juste, devrait prêcher le respect de la femme pour l'accès au paradis, car c'est elle qui poursuit l'ouvrage divin de donner la vie.
Nous justifions tout par Dieu en Afrique, mais en vérité, nos croyances importées sont bien loin de lui et c'est là, la cause de notre malédiction. Nous prions peut-être plus que tous les peuples de la terre, mais nous ne nous développons pas ; à se demander si l'on prie vraiment le bon Dieu ou si nous l'offensons ?
C'est lui qui crée la femme avec un clitoris dans sa science infinie, pour faciliter le don de vie, mais en le mutilant, nous la tuons et notre progéniture avec...
J'ai abondamment saigné le jour de mon excision et j'ai failli passer de vie à trépas, et si Dieu ne m'avait pas donné la chance de survivre, mon défunt père aurait porté le péché de ma mort sur lui ; mais aujourd'hui, c'est moi qui m'occupe de ma famille...
La femme naît parfaite et complète, l'homme n'a rien à améliorer sur elle, il faudrait que nous arrêtons ces choses là...
Fatoumata, le Mali connaît une transition politique et le pays sort d'une très grande instabilité. Quel est votre regard sur cette actualité ?
Je dois déjà vous avouer que les discussions autour de la politique ne me passionnent pas particulièrement, même si mon sacerdoce d'artiste qui se bat pour ses cultures et son continent peut revêtir un aspect politique...
Aujourd'hui on m'appelle Fatoumata, mais je n'en suis pas très fière parce que ça reste un nom d'origine arabe. J'aurais aimé porté ces noms tribaux que nos ancêtres donnaient à leurs enfants. C'était des noms d'astres dans nos langues...
J'aurais pu porter le nom du soleil et croyez moi, je brillerais encore plus fort ! Tout cela pour vous dire que les questions de la politique au Mali sont superficielles pour moi, car elle ne traitent que de la stabilité du moment, mais moi je m'attaque à quelque chose de plus profond, notre identité...
En Afrique, notre grand malheur c'est que nous sommes envahis par des gens qui veulent tout nous piller, mais nous ne saurons jamais nous défendre si nous ne savons pas que ce nous sommes et l'héritage qui nous revient. On peut connaître une stabilité relative, mais elle ne repose sur rien de solide tant que notre âme culturelle n'est pas retrouvée.
L'instabilité du Nord du Mali, je le redis, est une chose superficielle. C'est une question de fond qui me préoccupe ! Le Sénégal par exemple, ne connait pas la guerre, mais quand je suis, je trouve que ça ne va pas. J'ai trouvé les rues de Saint-Louis sales et très peu de choses a changé dans la ville en 20 ans. Les colons ont laissé ces bâtisses comme ça et nous aussi nous n'y ajoutons rien, même pas un soupçon de peinture pour leur donner plus de brillance.
Mon combat, c'est celui que cultiver plus d'amour pour le continent, de créer chez les habitants, une envie réelle de le protéger. Réveillons nous, car la politique reste l'affaire du colon, valorisons nos cultures...
Fatoumata, doit-on s'attendre à de prochaines collaborations avec des artistes du Sénégal ?
Oui j'ai reçu pas mal de propositions de collaborations ; je devrais faire des choses avec Coumba Gawlo, Daara-J Family, Carlou D, Adiouza...
Il me faudra juste créer le temps nécessaire pour mener tous ces projets à bien avec mes frères.
On vous a vue en 2018 dans le film Yao d'Omar Sy et dans plein d'autres productions cinématographiques. Comment menez vous cette double carrière de musicienne et de comédienne ?
Il faut savoir que j'ai commencé par le cinéma. Ma première participation au Festival de Cannes remonte à mes 15 ans, j'étais alors adolescente et c'était pour un film dans lequel j'ai joué à 14 ans.
La musique c'est ce que j'aime et qui m'a toujours passionné, c'est ce que j'ai choisi de faire, alors que le cinéma est ce qui m'a adopté parce que ce sont les réalisateurs qui m'apprécient avec tout mon naturel et ce sont eux qui sont venus à moi.
Ce sont 2 formes d'expression artistique que je pratique avec beaucoup de bonheur.
Fatoumata, les dreadlocks que vous portez sur la tête sont ornés de cauris et de lance-pierres, qu'est-ce que cela symbolise ?
Les cauris sont des coquillages qui symbolisent l'Afrique ; je les porte avec fierté sur ma tête, essentiellement pour maintenir la connexion avec mes ancêtres. Mais ils sont aussi comme mon passeport d'africaine ; partout où je passe, on me reconnaît comme une fille du continent grâce à ça.
Je fais partie des rares femmes africaines qui ont la chance de défiler sur toutes les scènes du monde ; je ne vais donc pas mettre des mèches brésiliennes pour aller chanter au nom de l'Afrique sur les extrémités de la terre. Je préfère avoir mes cauris.
Les lance-pierres sont le symbole de mon ange protecteur qui est un enfant ; c'est lui qui m'inspire et qui m'aide à préserver mon âme d'enfant et ma candeur.
Parlant de cause féminine encore, quels sont selon vous, les grands combats à mener pour que l'égalité des genres deviennent vraiment effective ?
Le plus grand combat serait déjà d'obtenir aux femmes une liberté véritable. Elles sont si conditionnées par la société qu'elles sont très nombreuses à ne pas connaître ce bonheur.
Elles sont légion à ne pas être instruites et la quête ultime de leur vie, c'est juste avoir un mari et des enfants. Une fois le foyer construit, elles ne peuvent plus rien...
Je souhaite que les femmes soient toutes libres comme moi ; je l'ai réussi en partant et me mariant selon mon coeur, à un Européen. Mais je dois l'avouer, si j'avais cédé au mariage forcé avec mon cousin comme cela était envisagé chez moi, personne ne me connaîtrait aujourd'hui.
Il m'a fallu me libérer pour être celle que les chinois, la américains ou les européens applaudissent autour des scènes de musique. C'est ce que je veux pour toutes les femmes.
Je le rappelle et je m'y résume, le bien-être des femmes et la clef du développement de notre Afrique. Rendons les heureuses et mieux nous nous en porterons, autrement on aura beau prier de toutes nos forces, rien de bien n'arrivera...
Un conseil pour les jeunes artistes qui veulent devenir comme vous ?
Juste leur demander de travailler sans répit et pour les filles, ne jamais croire que le sexe est un raccourci vers le succès. La beauté de la femme n'est pas dans son pagne ; celui qui veut la découvrir doit vous regarder dans les yeux et discuter...
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