Ablaye Cissoko : " Pincez tous vos Koras... "
Propos recueillis par Aisha Deme
" Quand je joue, si je ne chante pas, il y a mon cœur et mon âme qui chantent. La musique doit être chantée ! Par la voix, par des mélodies, mais il faut qu'elle chante ! "
C'est avec ces belles et mélodieuses paroles que nous introduirons Ablaye Cissoko. Elles en disent beaucoup sur l'artiste généreux qu'il est. Un artiste qui se donne corps et âme à sa musique, à sa Kora qu'il porte en bandoulière, tout comme cette passion qui ne le quitte jamais. Une passion accompagnée d'un grand talent qui l'ont conduit à une carrière musicale déjà belle, mais surtout riche en collaborations notamment dans le domaine du Jazz, avec des musiciens du monde entier.
C'est l'un des plus grands joueurs de Kora de notre époque, mais artiste très discret, qu'Agendakar va obliger à se dévoiler pour vous aujourd'hui. :-). Après le magnifique Amanka Djonti (vous savez l'exquise douceur) qui valsait entre musique traditionnelle et jazz, Ablaye Cissoko nous revient avec l'album Mes racines, un retour aux sources qui font « son essence, son être, donc sa musique », comme il le dit si bien : « Mes racines c'est à la fois ces personnes, ces lieux qui ont fait de moi ce que je suis aujourd'hui.»
Ablaye Cissoko est comme ces arbres grands et solides, qui enfoncent leurs racines au plus profond du sol, pour ouvrir leurs cimes au ciel. C'est un artiste qui baigne dans sa tradition, qui aime s'ouvrir au monde, aux autres cultures « partager apprendre, s'enrichir ». « Tous ces gens que j'ai eu la chance de croiser ! Ils sont de cultures différentes, et donc j’apprends énormément. Au delà de la musique, c'est la découverte des cultures et traditions des autres qui me fascinent le plus. Et puis chaque collaboration est arrivée au moment ou j'en avais besoin. Pour moi c'est comme des pièces d'un puzzle qui se mettent en place ».
L'artiste est descendant de Soundioulou Cissoko roi de la kora et du grand Lalo Kéba Dramé (Pensées de chat : Et c'est là qu'on dit : "Aaaah tout s'explique ! " :) ). De l'un il a hérité la douceur, de l'autre la fougue. Ce double héritage ne peut être que remarquable pour notre plus grand plaisir. Il se dit dépositaire de cet instrument. « Il s'agit de mon héritage qui, depuis des générations se transmet de père en fils. J'ai eu de la chance d'appartenir à cette famille où on a pas le choix : il faut jouer de la Kora ! J'ai toujours joué de la Kora ».
« Je suis né, j'ai trouvé des parents qui jouaient de la Kora. Quand on est griot il faut exercer. Après on est un bon ou un mauvais griot (rires) .Chez moi c'est une grande cour ou tout le monde vient apprendre à jouer la Kora. Les hommes jouent et les femmes chantent ». C'est dans cette belle ambiance qu’Ablaye grandit. Il joue donc de la kora depuis toujours, tout naturellement. Il joue avec son cœur, il joue avec son âme : « Souvent quand je joue je sens pleurer mon cœur. C'est souvent de bonheur. Je n'arrive pas à l'expliquer; mais c'est une chance aussi. Je pleure beaucoup quand je joue alors maintenant je ferme les yeux … ». Il sourit un peu gêné. Je souris un peu émue :-).
Notre ami marche beaucoup au « feeling » comme vous pouvez le deviner. « Quand on joue avec quelqu'un et que le feeling n'y est pas, on souffre !!! dit-il avec entrain. « Pendant mes prestations il m'arrive de commencer avec une chanson et de l’arrêter en plein milieu parce que je ne la sens pas. Je passe à autre chose et les musiciens suivent sans problème. On se comprend … ». Ce côté « spontané », l'artiste a tenu à le garder au point de refuser des cours de solfège au conservatoire de musique. Parce qu'il ne voulait pas « gâcher son oreille de griot ». Oui notre virtuose traditionnel a fait quelques années au conservatoire.
Là non plus « on avait pas le choix » confie t-il. « Un jour papa a décidé qu'il fallait aller au conservatoire. On jouait beaucoup à la maison on se frottait aux plus forts mais il était important d'avoir un diplôme ». Il déclenche donc une petite « révolte » contre le solfège au conservatoire. « J'ai refusé de jouer du solfège. Quand le professeur m'a demandé pourquoi je lui ai dit que je ne voulais pas gâcher mon oreille de griot. Je veux accorder avec mes oreilles. Je veux que quand j'arrive dans une formation, qu'on me dise « Ablaye voici ce qu'on va jouer », que je puisse apporter ma touche. Il a compris et accepté ce qui fait que tous les gens de ma génération n'ont pas fait de solfège à l'époque ». (Pensées de chat : Vive la révolution !). Il a su garder sa belle oreille de griot tout en restant ouvert à la musique « moderne » en particulier le jazz.
Mais comment en tant que joueur de Kora notre ami se retrouve toujours à collaborer avec des artistes de jazz ? « Bonne question ! J'habite à Saint Louis où il y a le célèbre festival de jazz qui accueille de grands musiciens. Au début j'ai joué dans des hôtels, fait des accueils à l’aéroport, J'ai suivi ces musiciens partout... de fil en aiguille je me suis retrouvé à jouer avec eux sur scène et sur des projets et j'en suis heureux. » La majorité de ses collaborations sont donc nées du Festival de Jazz de Saint-Louis, ville dont l'artiste est tombé amoureux « comme on tombe amoureux d'une femme : c'est à Saint Louis que j'ai eu ma première prestation, mon premier contrat ».
« Je voulais mon indépendance. C'est de là que tout est parti... Ma carrière est vraiment liée au festival de Jazz de Saint Louis qui m'a tout donné,particulièrement la possibilité de représenter ma culture. » Sa culture, Il y tient tant, il en parle avec tellement de passion et d'émotion : « C'est vrai que les sénégalais ne connaissent pas vraiment la Kora, mais quand l'hymne nationale du Sénégal vous dit « pincez tous vos Koras frappez les balafons....» cela veut tout dire... cela montre l'importance de ces instruments traditionnels pour notre pays. Ma source, ce sont mes racines, parce que mes ancêtres ont chacun écrit leur partition dans notre histoire. Cet instrument dont je suis l’héritier, qui est le mieux placé pour le valoriser, le respecter lui donner toutes ces chances ? C'est à moi de le faire ! Pour moi c'est important ».
C'est ce que fait l'héritier de fort belle manière. Il rend hommage à sa culture, ses racines dans un bel album accompagné de belles surprises. Je ne pouvais pas parler de l'album avant de vous parler de l'homme. Maintenant que vous avez fait connaissance avec Ablaye Cissoko, ne vous éloignez pas trop, je reviens vous parler (avec lui) de ce petit bijou qu'est Mes Racines. (J'aime tant comme il en parle et j'ai hâte de partager cela avec vous !) En attendant n'oubliez pas de pincer vos Koras... Miaou !
Source : www.agendakar.com
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