Les femmes dans l’industrie musicale comorienne
Par Ali Ahmed Mahamoud
Avant de parler de la place de la femme dans la musique comorienne, il faut remonter aux origines de la musique commerciale aux Comores. Bien que présente dans la société de manière générale, on ne parle de musique commercialement parlant qu’à partir des années 70 où la production prend un nouveau tournant avec l’émergence de nouveaux auteurs interprètes talentueux.
Pour reprendre Damir Ben Ali « Tous, les domaines de la vie sociale et culturelle sont affectés par la séparation des sexes. Dans toutes les sociétés, au cours de l’histoire, la capacité de reproduction et la responsabilité de s’occuper de l’enfance humaine ont limité la liberté des mouvements de la femme. »
Les Comores n’échappent pas à la règle toutefois, par un système de « communautés qu’elles ont mis en place pour échapper aux contraintes quotidiennes et pouvoir s’exprimer, la femme comorienne a trouvé un moyen d’épanouir sa personnalité sociale et culturelle tout en contribuant à l’équilibre de la société.
Ainsi, la musique pour la femme comorienne du moins dans ses prémices s’exprime à travers des genres spécifiques qui sont dédiés à des activités ; en général, ces activités sont liées à des faits ou des événements du quotidien allant de l’accouchement aux berceuses par exemple, ou des crises affectant la communauté sociale (guerre, épidémie, catastrophes naturelles, etc.). Toutefois, et pour reprendre Moussa Said, on doit considérer que la musique fait partie intégrante de la société comorienne dans la mesure où elle rythme la vie quotidienne du comorien.
Détentrice du patrimoine, pivot de la solidarité familiale et sociale, la femme comorienne use de cette expérience en l’extériorisant dans des chansons dédiées où elles expriment aussi ses sentiments.
Il en sera ainsi pendant très longtemps jusqu’à l’aube de l’indépendance, où la société comorienne subit une mutation culturelle naît du mouvement nationaliste initié notamment par le PASOCO (Parti Socialiste des Comores) selon Moussa Said.
Ce courant s’exprimera à travers la musique surtout et plus particulièrement le mshago qui s’apparente au twarab et puisera des inspirations dans le jerk selon lui. Le mshago s’invitera sur les scènes twarab et contribuera d’ailleurs à l’essoufflement du genre.
Les femmes à l’instar des hommes, utiliseront le Mshago et la musique pour s’émanciper de cette image de gardienne de la tradition comorienne.
Ces interprétations prouvent s’il en est de l’importance de la femme dans la société comorienne. Jusqu’alors la musique n’est qu’un loisir, et même si les thématiques peuvent être fortement engagées, ce qui est souvent le cas, la musique demeure un art marginal.
Le déclic viendra des années 70, avec l’ASEC avec Chamsia Sagaf basé en France. Chamsia Sagaf issue d’une famille aisée de Mistamiouli, chef-lieu du nord de la Grande Comore va rompre avec les traditions en interprétant justement en reprenant des morceaux traditionnels et en les réinterprétant en Afro-zouk. Ces chansons reviendront souvent sur l’éducation, l’émancipation des femmes ou encore l’amour.
On relèvera que le mouvement d’émancipation des femmes correspond à la manifestation des lycéens à Moroni en 1968.
Durant cette période, elle va enregistrer « Sarumaya mwigni hazi » en 1976 et « Chamama » en 1979 avec l’ASEC qui sont des odes à l’émancipation et à la révolution des mentalités et seront utilisés comme des instruments de propagande par l’ASEC.
Chamsia Sagaf deviendra par la suite la première femme à enregistrer un album studio en 1989 avec Studio 1. Inspirée des traditions comoriennes, elle intègrera les inspirations caribéennes du zouk et connaîtra un succès au-delà des frontières comoriennes ouvrant la voie à de nombreuses interprètes qui se lanceront dans le zouk dans un premier temps comme Naila, originaire, elle aussi, de Mitsamiouli qui sortira un album chez Majestic Studio de Said Ali Sultan ou encore Rouwaida, mais surtout à de nombreuses divas comme Samra, Zaza et bien d’autres dans la version moderne du twarab comme le dit Abdallah Chihabidinne, « le mshago ».
L’impact de Chamsia sur la musique comorienne est considérable grâce à son parcours et ses choix de carrière. Dans les années 2000, elle s'associera à la chanteuse ivoirienne à Monique Seka avec qui elle se produira à Paris tout en se faisant un nom dans le Zouk entamera des tournées dans les Antilles en 2008.
Pour certaines comme Nawal, la musique s’inscrit au-delà de l’aspect commercial, fortement inspiré par les chants religieux et son côté mystique.
Au fil des années, la femme comorienne prend de l’assurance et ne se cantonne plus uniquement au Twarab, mais fait des incursions dans la contemporaine et les années 2000 voit émerger de nouveaux talents aux Comores à l’instar de Malha, Elykiah ou encore Norenna, rares sont celles qui ont sorti des albums, mais il est à gager que le parcours d’Imany sur la scène internationale en a inspiré plus d’une même si les sonorités comoriennes sont quasiment inexistantes comme le soulignent ses détracteurs.
Cependant, on retiendra son côté griot qui rappelle fortement le Hwimbia dans son interprétation ou alors on cherchera du côté de sa cadette Imane qui a grandi en France et qui fera une reprise de Chamsia Sagaf qui en a fait frémir plus d’un et qui nous promet un bel avenir pour la femme dans la musique comorienne sur la scène internationale.
Ressources :
[1] Musique et société aux Comores, Damir ben Ali. Éditions KomEDIT, https://editions-komedit.com/2020/02/19/musique-et-societe-aux-comores/
[2] Studio 1, producteur de musique aux Comores, https://www.afrisson.com/studio-1-4508/
[3] Chamsia Sagaf, https://www.abidjan.net/qui/profil.asp?id=581
[4] Imany, https://imanymusic.com/fr/home/
[5] Documenaire sur Imanehttps://www.youtube.com/watch?v=z0WQwpwwdbM&t=11s
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Édité par Walter Badibanga.
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