La Salsa – la musique afro cubaine au Sénégal
Par Fadel Lo
Phénomène mondial, la salsa fut pendant des années la première musique au Sénégal. Qu’en est-il aujourd’hui ? Vue d'ensemble, des pionniers aux nouveaux artistes à la création d’une salsa sénégalaise.
S’il y a une musique étrangère qui a su rapidement prospérer au Sénégal, il s’agit bien de la salsa. En effet apte à s’extasier sur les sons venus d’ailleurs le public local a très rapidement adopté cette forme d’expression musicale venue d’Amérique latine. C’est au début des années 1940 que ce genre musical a fait son apparition dans les villes côtières africaines grâce aux marins cubains qui apportaient souvent des disques de 78 tours et qui ont vite fait de populariser ce genre musical entrainant.
Né de mère sénégalaise et de père capverdien, Luis Vera Da Fonseca est l'un des pionniers oubliés des musiques latines en Afrique. Il est parfaitement à l'aise dans le répertoire cubain dès le milieu des années 1950 où il va tenter sa chance en France. Accompagné par ses Anges Noirs, il joue à Bruxelles en 1960, laissant entendre à un public curieux la primauté de son métissage musical. Manu Dibango occupe même un temps la direction de l'orchestre, qui se taille une solide réputation scénique au Benelux et en France.
Cependant, c’est vers la fin des années 1950 que cette musique a commencé à être jouée par les orchestres locaux. Le grand boom se produira au moment des indépendances. Les orchestres pullulent et presque chaque grande ville avait son groupe qui animait les fameuses soirées dansantes. Des orchestres comme le Tropical Jazz, Cayor Rythme, Star Jazz de Saint-Louis et autres ne se gênent pas pour reprendre des titres phares comme « El Manisero » ou encore « Guantanamera ».
Mais c’est assurément Ibra Kassé qui contribua grandement à populariser cette musique afro-cubaine au Sénégal. Après un long séjour en France il regagne le bercail au début des années 1950 et ouvre dans la foulée un restaurant nommé le Bon Coin qui se révèle un grand succès et le décide à ouvrir une boîte de nuit dénommée Miami. Nous sommes alors à l’entame des années 1960 et il ne se fait pas prier pour recruter les meilleurs musiciens du moment. Il fait la purge au niveau des orchestres comme le Tropical Jazz de Mady et le Guinée Jazz de Dexter Johnson. Ainsi naquit le Star Band originel, composé de musiciens comme Amara Touré, Dexter Jonhson , Sidate Ly, Lune Tall, Jose Ramos, Mady Konaté et Manu Gomez.
Rapidement le groupe se spécialise dans la reprise de titres afro-cubains avec un chanteur venu de la Gambie voisine : Laba Sosseh. Chanteur talentueux au registre technique impressionnant il se spécialise dans la musique afro-cubaine et réussit rapidement à se faire un nom dans le milieu. Non content de reprendre des classiques, il introduit des titres en langues nationales comme « Seyni ». Laba Sosseh devenu très populaire quitte alors le Star Band et crée en compagnie de Dexter et d’autres musiciens le Super Star en 1965. Ils se produisent alors au dancing L’Etoile.
Mais ambitieux, les membres du Super Star quittent Dakar pour Abidjan où ils mettent sur pied le Super International Band avec des musiciens sénégalais comme le percussionniste Aziz, le chanteur Pape Fall, les guitaristes Cheikhna Ndiaye et Laye Salla, le chanteur Sada Ly et quelques musiciens ivoiriens. Leur succès à Abidjan est fulgurant mais Laba Sosseh qui est très sollicité revient à Dakar pour jouer avec Vedette Band. Ce groupe dirigé par le saxophoniste Issa Cissokho permet au chanteur de sortir la version définitive du tube « Aminata ».
Au Star Band, le départ de ténors comme Laba Sosseh ne fait pas baisser les bras à Ibra Kassé. Il recrute alors de jeunes artistes comme Pape Seck Serigne Dagana, Pape Djiby Ba, Maguette Ndiaye, Saliou Dièye Pachéco, Ly, Lynx Tall qui enregistrent un premier album en 1971. Ce disque sera le premier d’une longue liste de neuf albums avec des titres anthologiques comme « Vamos Al Monte », « Caramélo », « Chéri Coco », « Sénégambia » et le sublime « Thiélly ».
Par la suite Pape Seck, Pacheco, Pape Djiby Bâ et José Ramos quittent à leur tour le groupe. D’autres jeunes comme Doudou Sow, Yakhya Fall, Mar Seck et Mamané Thiam rejoignent alors l’orchestre. Le Star Band qui était régulièrement atteint par des crises cycliques éclatera à nouveau en 1976 et les dissidents forment le Star Band Number One. Pape Seck est le leader de cette formation qui était composée de pratiquement tous les anciens du Star Band. Doudou Sow, Mar Seck, Maguette Ndiaye, Yakhya Fall, Lynx Tall, Badou Diallo, Malick Hann gravissent rapidement les échelons et deviennent incontournables sur la scène musicale nationale. Pour combler le vide Ibra Kassé fait appel à de nouveaux artistes comme le chanteur Youssou N'Dour, Pape Fall, Alla Seck, Assane Thiam et le grand Laba Sosseh.
Presque à la même période le Baobab de Dakar qui s’était d’abord appelé Saf Mana Dem, s’inscrit dans ce même sillage et connaît ses heures de gloire entre 1973 et 1978. Il est alors constitué de musiciens doués comme le guitariste Barthélemy Atisso et son pendant Latfi Ben Geloune, le saxophoniste Issa Cissokho, le bassiste Charly Ndiaye et des chanteurs comme Laye Mboup, Ndiouga Dieng, Médoune Diallo, Balla Cissokho, Rudy Gomis et Thione Seck. Le Baobab, issu de la matrice du Star Band puise abondamment dans le répertoire afro-cubain et connaît un grand succès.
Au milieu des années 1970, les groupes décident de changer de cap et les langues nationales et les rythmes du pays sont remis au goût du jour. La musique salsa perd quelque peu de son lustre d’antan. Il faudra attendre le début des années 1990 pour voir la musique afro-cubaine reprendre un peu de souffle. Le guitariste Mbole Cissé met sur pied le Super Kayor et lance le concept de la Salsa Mbalakh en s’appuyant sur l’expérimenté chanteur James Gadiaga, un transfuge du Royal Band de Thiés. Leur premier album Capitale Wala Région connaît un succès éclatant.
Pape Fall de son côté, après un périple de plusieurs années en Gambie, rentre au Sénégal et met sur pied l’African Salsa et son tube « Mame Coumba Lamba » lui ouvre à nouveau les portes du succès. Le nouveau genre Salsa Mbalakh étant de plus en plus apprécié, beaucoup d’anciens groupes refont alors surface. Alassane Ngom remet au goût du jour les Salsa Stars, Nicolas Menheim et la chanteuse Magatte NDione se positionnent aussi dans ce sillage.
À partir du milieu des années 1970 donc les chansons afro-cubaines commencent à être délaissées au profit de morceaux puisant dans l'héritage wolof, alors que des formations comme les deux Xalam, le Super Diamono, Ouza et ses Ouzettes, le Sahel et quelques autres précipitent l'avènement commercial du mbalax, « Le son du jeune Sénégal », incarné par des vedettes juvéniles comme Youssou N'Dour ou Omar Pène. Le Star Band, le Baobab et les formations emblématiques de l'afro-cubain sénégalais sont déjà dissoutes ou entament une longue traversée du désert.
Quelques groupes ou musiciens ayant marqué la salsa
D'origine sénégalaise, Maki Cissé fait carrière à Bamako et Abidjan. Il est accompagné par l'orchestre malien Les Dogons sur « Como el Macao », une reprise délicieuse d'un classique du duo Los Compadres. Ce titre paraît en face B d'un rare 45 tours enregistré au début des années 1970, sur lequel on retrouve l'inusable « En Guantanamo » en première partie. Son chant en espagnol est parfaitement convaincant et héroïque alors que l'orchestre joue un groove subtil, dirigé par un saxophone aussi subtil.
Pionniers de la musique moderne en Gambie et au Sénégal, les Super Eagles ont été l'un des premiers orchestres à enregistrer en Europe, en l'occurrence à Londres en 1969 pour un album magnifique, influences pop, soul, wolof et afro-cubaines. Formés en 1965 à Banjul sous le nom des Eagles par des vétérans de l'African Jazz, où Laba Sosseh fit ses armes, ils deviennent Super Eagles en 1967. L'orchestre commence à sillonner la région, notamment le Sénégal qui entoure la Gambie, incorporant de solides influences à leur répertoire, comme le high-life ou la morna capverdienne. Ils enregistrent une poignée de singles au Ghana en 1968.
Sur leur unique album, figurent le délicat « Tagu Nein Lein » ainsi que l'hymne « Viva Super Eagles », qui donne son nom à l'album. Ce morceau appelle les gambiens à l'unité autour de leur groupe fétiche. Délaissant progressivement ses influences cubaines, le groupe commence à se focaliser sur ses racines mandingue. Les Super Eagles deviennent Ifang Bondi en 1972, laissant derrière eux un album et quatre 45 tours d'une qualité exceptionnelle.
Emmené par le saxophoniste pionnier Mady Konaté, le Tropical Band fait partie de la première génération des orchestres sénégalais. « Diamono » est un morceau louant la grandeur d'un Sénégal optimiste, à la fin des années 1960, dans la veine des enregistrements pionniers du Super Star, du Ferlo Jazz ou du Rio Band. Guitares claires avec un soupçon de reverb, chant enthousiaste, maracas et entrain irrésistible participent à cette vogue afro-cubaine.
Dans le même registre, le Dakar Band est un orchestre de jeunes étudiants sénégalais installés à Abidjan. Le prosélyte « Viva Africa,Viva Senegal » fait office de véritable programme politique de la part de cette jeunesse loin de son pays, alors que « Bayileen Di Yelwane » fait danser la jeunesse sénégalaise. Celle-ci écoute, partage et danse, à Dakar et dans les autres grandes villes du pays grâce aux clubs de jeunes où l'afro-cubain ravit pendant longtemps la vedette aux chansons yéyé, aux jerks américains et autre pop music française.
Emmené par Babacar Samb, le Sabor Band de Dakar va faire de la résistance afrocubaine en terre sénégalaise jusqu'au début des années 1980. Vedette principale du groupe, Idrissa Diop chante sur le dévastateur « Oleelaye », au solo de guitare déchirant, qui appartient à la même communauté spirituelle que les enregistrements pionniers du Star Band et de ses disciples, maîtres de l'afro-cubain dakarois. On ressent ici l'urgence d'une musique qui refuse de passer de mode. Rauque et sans concession, « Con El Sabor » et ses nombreuses références à un âge d'or afro-cubain qui refuse de se ternir, évoque l'indépassable Santa Barbara du Super International Band.
Il entend alors les guitares comme des batteries. Cette évolution de la musique noire américaine préfigure d'une certaine manière les sonorités du mbalax dont les tambours cognent déjà à l'horizon des musiques sénégalaises. Lorgnant vers une nouvelle époque, « Fethial Way Sama Khol », chanté par Medoune Diallo et « Sama Khol Fatou Diop », interprété par Balla Sidibé, figurent sur le cinquième volume de l'Orchestra Baobab et reflètent de nouvelles influences, plus funk, en passe de donner lieu à une nouvelle révolution musicale et de nouvelles réinterprétations.
Africando est un projet musical né en 1990 qui réunit des musiciens de salsa New-Yorkais avec des chanteurs sénégalais. Africando a été initié par le producteur Ibrahim Sylla en provenance de Côte d'Ivoire et par l’arrangeur malien Boncana Maiga de Fania All Stars. Les premiers musiciens du groupe étaient : Pape Seck (ex-Star Band), Nicholas Menheim (associé de Youssou N'Dour), et Médoune Diallo (anciennement avec l'Orchestre Baobab).
Les deux premiers albums, Trovador (1992) et Tierra Tradicional (1993), ont connu un grand succès aussi bien en Afrique que dans le reste du monde. - Fonseca & Ses Anges Noirs enregistrent quelques disques, certains publiés par Barclay en France. Ainsi, El Monte, Babalu et l'irrésistible Sibouten, une version latine d'une danse traditionnelle du Cap-Vert, qu'enregistrera également le Star Band, appartiennent aux plus belles heures d'une fusion des genres cubains et africains au Sénégal au cours des années 1960. Le groupe se dissout progressivement dans l'effervescence de la décennie suivante, laissant une œuvre phare mais méconnue.
L'UCAS Band de Sédhiou, est le plus ancien des orchestres sénégalais encore en activité. La formation voit le jour le 4 octobre 1959 sous le nom d'Union Culturelle et Artistique de Sédhiou. Dans le Sénégal des années d'indépendance, rares sont les orchestres à pouvoir percer en dehors de Dakar. Les pionniers de l'UCAS deviennent ainsi le premier groupe de Casamance à venir se frotter aux groupes de Dakar.
L'orchestre est l'auteur d'une oeuvre rare et de qualité, à la croisée de la tradition et de la modernité, à commencer par le légendaire 33 tours Kelefa paru en 1973. Le langoureux « Regret » illustre magnifiquement les influences afro-cubaines associées au lyrisme mandingue des chanteurs Amadou Leye Sarr et Djimé Diaïté. Ce titre est dédié à Mome Boufigneuve. Le solo de saxophone de l'historique chef d'orchestre Abdou Kunta renvoie à une époque bénie pour la musique afro-cubaine jouée au Sénégal.
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