Histoire de l'industrie du disque au Zimbabwe
By Fred Zindi
Ce texte donne un aperçu de l'histoire de l'industrie du disque au Zimbabwe depuis les années 1950 jusqu'à nos jours.
Années 50 et 60
Au début des années 50, l'industrialisation de Salisbury (aujourd'hui appelée Harare) et Bulawayo a causé un afflux de Zimbabwéens venant des zones rurales pour trouver du travail dans ces villes. Parmi ces personnes, il y avait une nouvelle génération: celle des premiers musiciens zimbabwéens à enregistrer de la musique. Comme il n'existait pas de studios d'enregistrement à l'époque, les premiers enregistrements étaient effectués à l'aide d'un magnétophone à une piste et d'un micro, dans une camionnette de la Société rhodésienne de radiodiffusion RBC (Rhodesian Broadcasting Corporation). La musique enregistrée était utilisée principalement pour la chaîne African Service de la RBC et dans le but de divertir la majorité noire. Le van de la RBC faisait le tour du pays pour enregistrer des musiciens talentueux, qui étaient payés un centime chaque fois que leurs chansons étaient diffusées à la radio.
Comme, à l'époque, il n'y avait pas d'usines de pressage de disques au Zimbabwe (autrefois Rhodésie), la plupart des gens n'avaient le choix qu'entre écouter la radio et jouer sur leurs gramophones des disques importés d'Afrique du Sud ou d'autres pays. À partir de 1956, il y a eu une vague de disques sud-africains, européens et américains au Zimbabwe. Les musiciens locaux ont commencé à imiter les sons de ces musiques, mais se sentaient frustrés de ne pouvoir enregistrer leur propre musique.
Avant les années 60, la plupart des enregistrements musicaux étaient réalisés à des fins d'archivage plutôt que dans un but commercial. Vers la fin des années 60, plusieurs entreprises ont commencé à enregistrer des jingles pour les radios commerciales, des génériques musicaux pour la télévision, et des chansons populaires. La compagnie Commercial Radio and Television (CRT) s'est rendu compte de la nécessité d'avoir du matériel d'enregistrement et a fait l'acquisition de la première presse de disques dans le pays. Cela a permis à CRT de commencer à enregistrer les groupes pop locaux. Plus tard, dans les années 70, la CRT a fait faillite. La société Music Recording Services (MRS) a alors fait l'acquisition d'un enregistreur à 4 pistes qui ont permis d'enregistrer Holly Black, un groupe entièrement composé de musiciens blancs (Zindi, 1985).
À la même époque, contact fut pris avec la compagnie sud-africaine Brunswick Gramophone House, créée par Éric Gallo pour distribuer en Afrique du Sud les enregistrements de la maison de disque américaine Brunswick Records. Remarquant l'absence d'installations d'enregistrement au Zimbabwe, Gallo a décidé d'installer un studio d'enregistrement à Bulawayo. Au départ, il s'agissait d'un studio simple dans lequel étaient développées des maquettes qui étaient, par après, complétées en Afrique du Sud. A la même période, Teal Record Company, une filiale du label EMI Records, a été créée à Salisbury.
Les premiers enregistrements de ces studios n'ont pas eu beaucoup de succès car le marché était dominé par les disques sud-africains et occidentaux. La population zimbabwéenne avait pris goût à la musique étrangère. Les groupes locaux, comme le quatuor King Messengers, n'intéressaient donc pas les zimbabwéens, occidentalisés et peu enclins à acheter de la musique locale.
Années 70
Vers la fin des années 60, Éric Gallo a décidé de faire travailler quelques musiciens zimbabwéens avec West Nkosi, le renommé producteur sud-africain. C'est alors qu'il a commencé à connaître quelques succès au Zimbabwe.
Peu après, la compagnie Advertising Promotions Limited (APL), a importé un système d'enregistrement à huit pistes. Les deux sociétés d'enregistrement du pays, Teal et Gallo, ont beaucoup utilisé l'équipement d’APL pour enregistrer leurs artistes locaux. La fabrication des vinyles se faisait encore en Afrique du Sud jusqu'à ce que CRT vende, en 1975, sa presse à disques à Teal Records. Durant la même année, la compagnie Blackberry Studios a importé dans le pays un enregistreur à 8 pistes et une console de mixage. Cette compagnie produisait principalement des programmes pour la radio. Par la suite, cet équipement a été transféré dans les installations de Shed Studios, qui a alors commencé à enregistrer des musiciens locaux pour le compte de Teal Records.
À la fin des années 70, les musiciens locaux ont commencé à avoir quelques hits. Gallo a connu un grand succès avec The Green Arrows, un groupe dont l'album Chipo Chiroorwa s'est bien vendu. D'autres groupes tels que The Great Sounds ont également connu un succès commercial avec des hits comme «Anopenga Ane Waya».
Le label rival de Gallo, Teal Record Company, voulait avoir le même succès commercial. Ils ont pris le risque d'enregistrer des chants révolutionnaires, contre la volonté du gouvernement de l'époque, comme l'album "Hokoyo" de Thomas Mapfumo qui est sorti en 1979. Et ça a payé.
Années 80 et 90
En 1980, Teal a acheté des actions de Shed Studios et a renommé le studio Gramma Records. Pourvu de plus d'équipements, le studio est devenu un studio à 16 pistes. Deux ans plus tard, il a été transformé en un studio à 24 pistes utilisant des bobines pour l'enregistrement. Plus tard, le studio a été rebaptisé Mosi-Oa-Tunya après le départ de certains des administrateurs, y compris Steve Roskilly. Roskilly gardé le nom original.
Les deux sociétés, dirigées par John Grant et Tony Rivett, ont décidé de fusionner, face à la demande croissante de leurs services. Gallo a été renommé Zimbabwe Music Corporation et Teal est devenu Gramma Records. Plus tard, dans les années 90, Metro Studios a fait son entrée sur la scène de l'industrie du disque.
Le besoin d'ingénieurs du son et de producteurs a augmenté avec la fusion de Gramma Records avec Zimbabwe Music Corporation, l'industrie devenant de plus en plus organisée. Et ils ont été recrutés parmi les musiciens de l'époque. La plupart des producteurs ont commencé comme ingénieurs de son. Par conséquent, ils ont eu suffisamment de temps pour étudier et maîtriser le matériel d'enregistrement. Parmi les ingénieurs du son devenus producteurs, on peut citer: Henry Peters, Peter Muparutsa, David Scobie, Hilton Mambo, Brian Rusike et Alois Muyaruka. À Shed Studios, Steve Roskilly était le principal producteur. À Gramma Records et Zimbabwe Music Corporation, Chrispen Matema, AK Mapfumo, Tymon Mabaleka et Bothwell Nyamhondera étaient les principaux producteurs. À Metro Studios, Clancy Mbirimi, ancien bassiste du groupe Harare Mambo, était le producteur.
Défis actuels
Les nouvelles technologies ont créé de nombreux défis pour les maisons de disques, comme l'apparition des disques compacts (CD) et la disparition des disques vinyles. L'omniprésence d'Internet a permis aux fans de musique de librement télécharger et partager la musique. La situation a radicalement changé et a apporté de nouveaux dangers. De nouveaux acteurs sont entrés en scène car il est désormais facile d'installer un studio d'enregistrement permettant de graver des CD. Cela a conduit à la création de labels indépendants. Par conséquent, de nombreux musiciens ont déserté leurs maisons de disque à la fin de leurs contrats. Les maisons de disques ont vu cela comme un empiètement sur leur territoire par ces nouveaux venus. Cette situation s'est aggravée, entre 2004 et 2008, avec la crise économique dans le pays. Anthony Hagelthorn, le directeur général du groupe résultant de la fusion entre Zimbabwe Music Corporation (ZMC) et Gramma Records, a jeté l'éponge et carrément quitté l'industrie. Elias Musakwa, un musicien, homme d'affaires et politicien, a repris et fusionné les deux sociétés avec son label, Ngaavongwe Records.
Parmi les nouveaux venus, apparus sur la scène grâce aux développements technologiques, il y a: Corner Studios, Diamond Studios, Gospel Train Studios, Monolio Studios, Mac Dee's Studios et bien d'autres.
La technologie a permis aux musiciens d'être plus indépendants, mais a également facilité le piratage. En effet, il est devenu plus facile pour les pirates de reproduire et vendre de la musique qui ne leur appartient pas.
Les musiciens, qui avaient l'habitude de recevoir des royalties pour leur musique, n'ont pas digéré l'avènement du piratage qui a accompagné la révolution numérique, menaçant ainsi leurs revenus. Gondo (2012) a décrit le phénomène ainsi: «L'omniprésence au Zimbabwe des CD et DVD piratés se vendant à bas prix est le nouveau gorille qui mange le déjeuner de l'artiste."
En réponse à cette évolution technologique, l'Association des industries du disque du Zimbabwe (Zimbabwe Association of Recording Industries, en sigle ZARI) a lancé, en octobre 2011, une ligne de CD et DVD vendus à bas-prix (Vhori, 2012). Ces CD et DVD, dont la qualité et l'authenticité sont garanties par l'industrie du disque, sont disponibles au même prix que des produits piratés, qui eux sont de qualité inégale. D'après ZARI, les CD et DVD à bas-prix sont disponibles chez tous les détaillants de musique, les commerçants du marché, ainsi que dans les bureaux de Zimpost. ZARI est donc en train d'essayer de se débarrasser des pirates. Cependant, Gondo (2012) pense que, bien que ces points de vente soient importants, ils ne sont pas suffisants. En effet, les vendeurs de CD et DVD piratés sont présents partout: à chaque intersection, et sur chaque trottoir. Ils sont donc bien plus pratiques et accessibles pour les consommateurs. La décision de ZARI d'adopter le numérique ne va pas résoudre la perte des revenus venant de la vente de CD et DVD. Auparavant, les CD se vendaient beaucoup plus chers qu'au prix standard sur le marché pirate d'un dollar américain par unité.
La transition vers un modèle de prix standard (prix forfaitaire) dans l'industrie de la musique n'est pas unique au Zimbabwe. On le retrouve aussi en Afrique de l'Est, au Royaume-Uni et aux Etats-Unis. La compagnie Apple a été la première à lancer ce modèle lorsqu'elle a commencé à vendre les chansons à 99 centimes l'unité dans son iTunes Store. D'après Gondo (2012), ce prix, qui a été accepté par l'industrie de la musique (y compris par tous les grands labels américains: Warner Music, Universal, Sony et EMI), a permis une trêve mais n'a pas mis fin à la guerre entre maisons de disque et fournisseurs de musique digitale.
Pour l'avenir, on peut dire avec certitude que la scène, les tournées, le marchandisage, le sponsoring, les royalties et autres produits commerciaux sont la nouvelle norme pour générer des revenus dans le business de la musique. Le temps de la forte dépendance sur les ventes de CD est révolu.
Pour en savoir plus
- Gondo, B. 2012. “The Death of The Zimbabwean Music Record Company: The Rise of The Independent Artist”. Technology Zimbabwe, 17 Mai.
- Sibanda, M. 2012. “Zimbabwe’s Music Industry Is Dying Slowly”. Daily News, 4 Avril.
- Vhori, E. 2012. Record Companies Battle Piracy. Assemblée générale de la ZARI à Msasa, Harare, 12 Avril.
- Zindi, F. 1985. Roots Rocking In Zimbabwe. Gweru: Mambo Press
- Zindi, F. 2013. ‘No Easy Road to the Studio’. The Herald, 19 Novembre. En ligne <http://www.herald.co.zw/no-easy-road-to-the-studio>
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