Le jazz au Ghana
Par John Collins
Le ragtime et le jazz sont devenus populaires au Ghana au début des années 1900 grâce à l’introduction du disque, les groupes ambulants de troubadours et les orchestres de musique de danse de bal qui commencèrent à se former à partir de 1914 tels que l’ Excelsior Orchestra, Jazz Kings, Rag-a-jazzbo, Cape Coast Sugar Babies et Accra Orchestra.
Les années 1940-1960
Avec l’arrivée des soldats américains et britanniques lors de la Seconde Guerre Mondiale, le swing-jazz arriva au Ghana et les musiciens étrangers et locaux créèrent des groupes de swing tels que les Black and White Spots et plus particulièrement les Tempos. Après la guerre, les Tempos ont survécu comme un groupe entièrement composé de Ghanéens et, sous la direction de son trompettiste E.T Mensah à partir de 1948, ils mélangèrent le swing et la musique caribéenne en un style dansant appelée musique high-life qui devint la bande son des débuts de l’ère d’indépendance à travers l’Afrique de l’Ouest.
Essentiel au succès des Tempos était leur percussionniste, Kofi Ghanaba (Guy Warren). En 1950, il a brièvement joué au Royaume-Uni avec le groupe afro-cubiste-bebop de Kenny Graham et, a ensuite introduit les percussions afro-cubaines aux Tempos. Après avoir quitté les Tempos, Ghanaba partit s’installer aux Etats-Unis en 1955 où à partir de 1957, il sortit une série d’albums afro-jazz novateurs (le premier était ‘Africa Speaks, America Answers’) et a travaillé avec des géants du jazz tels que Max Roach, Duke Ellington et Thelonius Monk. Lors de ses nombreux séjours au Ghana à la fin des années cinquante et au début des années soixante, Ghanaba a organisé une série de concerts dénommées ‘Jaaz concerts’ et c’est le moment où il commença aussi à ‘africaniser’ son jeu de batterie.
A la fin des années 50, de grands artistes de jazz commencèrent à visiter le Ghana – tels que le pianiste Ahmad Jamal et Louis Armstrong qui jouèrent en 1956 et en 1960 lors d’un séjour financé par le département d’Etat américain. Les All Stars d’Armstrong avec le clarinettiste Edmond Hall retournèrent au Ghana en 1959 pour fonder un groupe éphémère de jazz à l’hôtel Ambassador à Accra.
De nombreux groupes jouaient du jazz moderne durant les années 60. Un des premiers groupes était le Dominant Seventh basé à l’hôtel Ambassador et comprenant le guitariste Art Bennin, les doubles bassistes Alex Vanderpuie et saxophoniste Teddy Owusu ainsi que George Lee- qui formèrent plus tard son groupe de highlife, les Messengers, un orchestre dansant influencé par Art Blakey. Un autre groupe de jazz était le Bogarte Sounds (qui faisait partie du collectif Uhuru) formé en 1969 et qui comprend le guitariste Stan Plange, le saxophoniste Ebo Dadson, le batteur Rim Obeng et le trompettiste Mac Tontoh (qui sera plus tard un des créateurs du groupe afro-rock Osibisa). Le groupe Uhuru comprenait lui- même le guitariste Ebo Taylor qui après avoir obtenu une bourse du Président Kwame Nkrumah pour étudier la musique au Royaume-Uni, a aidé à introduire des accords complexes dans le jazz au ghana.
Années 1970-1990
Les musiciens étrangers de jazz, tels qu’Eddie Harris et Les McCann qui jouèrent au concert Soul to Soul à Accra, continuèrent à visiter le Ghana durant les années 70. Ensuite vinrent le percussionniste suédois Bengt Berger et trois artistes africains américains. C’étaient le batteur Max Roach (qui vint visiter Ghanaba), le pianiste Patti Brown et le percussionniste Juma Santos (de son vrai nom Jim Riley, il a joué pour Miles Davis et Taj Mahal notamment) qui passa deux années à étudier les percussions africaines à l’Université de Ghana. Le trompettiste de bebop Clark Terry, le chanteur Joe Williams et leur groupe Jolly Giants ont pris part à un séjour organisé par le département d’Etat américain.
Vers les années 70, la jeunesse ghanéenne s’est éloignée des sons de groupes de jazz et de highlife vers des styles apparentés au rock et à la soul. Néanmoins quelques styles de fusion comme l’afro-rock d’Osibisa et l’afrobeat de Fela Kuti, s’inspiraient partiellement du jazz.
Lors des coups militaires et des couvres feux des années 70 et 80, il y eut un déclin de la scène nocturne ghanéenne et de toute forme de musique populaire, le jazz inclut. Mais au début des années 90 et avec la libéralisation de l’économie et le retour à la démocratie, beaucoup de joueurs étrangers de jazz revinrent jouer à nouveau au Ghana. Quelques-uns d’entre eux étaient le pianiste Randy Weston, James ‘Plunky’ Branch (avec le maître batteur Okyerema Asante), le Andrew Cyrlle Quartet (joué lors du PANAFEST 1994 au Ghana) et Montego Joe (Roger Saunders, ancien d’Art Blakey et Baba Oluntunji). Il y a eu ensuite le groupe All Stars (Donaly Byrd, George Cables, Nathan Davis, Idris Muhammad et Milton Mustapha) qui étaient invités par le professeur Komla Amoaku, directeur du Théâtre National du Ghana, et lui-même musicien de jazz. De célèbres artistes africains de jazz ont visité le Ghana à cette époque comme le trompettiste sud-africain Hugh Masekela, le vocaliste libérien Miatta Fahnbulleh, Manu Dibango du Cameroun et les trompettistes nigérians Orlando Julius et Peter King.
Un élément encore plus important pour la scène jazz au Ghana était la libéralisation économique. Beaucoup de ghanéens qui avaient fui le pays pour des raisons économiques commencèrent à revenir. Quelques-uns d’entre eux avaient été exposés au jazz à l’étranger, et donc un nombre de clubs de jazz commença à fleurir à Accra et partout pour leurs besoins. Le premier, aux alentours de 1990, était le Jimmy’s Jazz Club dirigé par le joueur de anche Jimmy Beckley. D’autres étaient le Diane’s Café, le Village Inn, Baseline (ensuite appelée le Jazz Optimism Club), Bywells, le Jazz Tone Club (dirigé par le chanteur afro-américain Toni Manieson), le Odo Jazz Club et des boites de jazz se trouvant dans des hôtels comme Golden Tulip et Palm Beach.
En conséquence, de petits groupes de jazz se multiplièrent durant les années 90 tels que Jimmy’s Jazz Combo, Unconditional Love (Ebo Taylor et le saxophoniste Ray Allan), le D Minor Band, le Asanaba Jazz Combo, Johnny Young’s Karmah Jazz Band, Cherles Dewey’s Wala Band et le Jazz Music Makers. Un autre était Febeja qui avait Soroko aux claviers, Cliff Eck à la guitare, le bassiste togolais Gautier et l’ancien batteur de Fela Kuti, Frank Siisi-Yoyo. Les artistes jazz individuels étaient le trompettiste Osei Tutu et Long John, le chanteur Rama Brew et l’ancien fondateur d’Osibisa avec son groupe Kete Warriors.
Ghanaba était aussi très actif dans les années 90, dirigeant sa bibliothèque African Heritage et travaillant avec à la fois des artistes jazz locaux et internationaux comme Nii Noi Nortey et son groupe d’afro-jazMusiki w’Afrika et le batteur de free-jazz allemand Robyn Schulkowky. Un autre vétéran était le maitre batteur Kwesi Asare qui lorsqu’il était au Royaume-Uni dans les années 50-60 avait travaillé avec plusieurs vedettes du jazz (ainsi qu’enregistrant avec Count Basie) et lors de son retour au Ghana en 1995 a établi un centre de recherche culturel à Larteh dédié à la musique africaine et au jazz.
Années 2000-2010
En 2004, la société de jazz du Ghana fut créée et comprenait des artistes tels que Jimmy Beckley, Smart Pozo Arpeh (Bawasaaba band) et Blay-Ambolley. Au fil des années, l’organisation a organisé des shows qui ont accueilli des artistes américains de jazz, blues et de fusion tels que Kellie Rucker, le groupe américain ghanéen Native Vibe et Vinx et son trio de percussionnistes.
De nouveaux clubs de jazz sont nés à Accra dans les années 2000 dans des lieux comme Taverna Tropicana, Regents Hotel, Smolensky’s, Oak Plaza, Silverbird et Shakes Club. L’Alliance Française a accueilli une série de festivals afro-jazz à partir de 2013. Les plus important sont le +233 Jazz Club, établit en 2010 et ayant son propre groupe résidant Sound Factree band qui comprend le bassiste Philip Acquah, le pianiste Victor Dey, la chanteuse Sandra Houston et le tromboniste Eli Amewode. Le club +233 a aussi beaucoup d’autre artistes jazz tels que l’américain joueur de anche Orin Etkin et le guitariste Colter Harper ; et des noms locaux tels que Kwame Yeboah (le groupe Oheaa Beyeya) le saxophoniste Bernard Ayissa, le guitariste Kyekyeku et le joueur magicien de flute atenteben Dela Botri.
Un autre coin à Accra est le Morning Star Club détenu par la chanteuse Bibi Brew qui était une grande artiste en France durant les années 80-90. A son retour au Ghana en 2000, Bibi a créé son club. Elle y tient des soirées régulières de jazz et son propre groupe qui fait office de résident joue régulièrement. D’autres chanteuses de jazz, R&B et artistes du moment sont Yasmeen Helwani et Ofie Kodjoe née aux Etats-Unis.
Des artistes étrangers de jazz continuent de venir au Ghana et collaborent souvent avec des artistes locaux. Il y a le joueur d’anche Courtney Pine et le batteur ghanéen Robbie Fordjour qui jouèrent ensemble à plusieurs reprises. Kenny Drew Junior (fils du fameux pianiste jazz) a fait des ateliers en 2011 avec des étudiants en musique. Et le guitariste de smooth jazz Earl Klugh, qui a joué à Accra en 2015 avec Big Wellington, un groupe de jazz local. Le ‘Professeur’ de percussion de jazz, Royal Hartigan, amena son Blood Drum Spirit Ensemble au Ghana en début 2015 pour une tournée et des échangés avec des musiciens locaux (Royal est resté et a lancé le Sunsum jazz quartet avec un groupe d’étudiants de l’Université de Kumasi). Un exemple final est le musicologue et musicien américain Steve Feld qui travailla en 2007 sur le CD « Accra Trane Station », le dernier des trois opus de Nii Noi Nartey dédiés à John Coltrane.
Comme beaucoup le savent déjà, le Jazz américain tire ses racines de l’Afrique. Un siècle plus tard, le jazz moderne revient vers la Terre Mère avec les nombreuses collaborations qui unissent les artistes étrangers et africains. Ces échangés ont inspirés, enrichis et stimulé la fraternité internationale de Jazz.
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