Musique classique au Cameroun
Par Adeline Tchouakak
La musique classique au Cameroun est un parcours du combattant. Les chœurs et amoureux de ce genre musical se battent pour la faire vivre, mais avec des moyens très limités.
Origines
Chants harmonisés à quatre, voire huit voix. Qui s’élèvent dans des cathédrales. Accompagnés d’un synthétiseur et pas d’un orchestre. C’est toute la différence au Cameroun.
C’est en 1843, avec l’arrivée des missionnaires protestants conduits par Joseph Merrick, que la musique moderne commence à prendre ses quartiers au Cameroun. Fortement religieuse comme il en est des origines même des notes musicales (en effet le moine italien Guido d’Arezzo au 11ème siècle est l’inventeur des notes musicales) c’est à l’église qu’elle est enseignée.
Habitués aux chants et instruments traditionnels tels que tam-tam, tambour, mvet - un instrument de musique à cordes des peuples Fang-Beti, shakers, balafon etc. pour louer Dieu, les locaux ne l’acceptent pas : « Nos aïeux estimaient que cette musique est trop compliquée et qu’ils se sentaient mieux avec des chants simples qu’ils connaissaient et qui ne nécessitaient pas forcément un apprentissage particulier comme c’est le cas avec la musique classique », explique Ange Cécile Ndzengue, maitre de chant du Chœur classique de Yaoundé (cofondé en 1969 par son père, Me Elle Ntonga).
Les prêtres et pasteurs ne se découragent pas pour autant. Ils commencent par enseigner des chants à l’Unisson puis, à deux voix, trois voix et enfin quatre voix. Ils se mettent à enseigner le solfège aussi. Les chrétiens commencent à s’y habituer. Des oratorios de Jean Sébastien Bach sont entonnés lors des célébrations eucharistiques. Le Messie de Georg Friedrich Haendel et des pièces de Wolfgang Amadeus Mozart aussi. Quelques chorales spécialistes du Grégorien se forment dans des Eglises catholiques. Et au fur et à mesure que les églises et temples sortent de terre, ses dirigeants s’arrangent à ce qu’il y ait, en marge des chœurs traditionnels, une chorale classique dans chaque paroisse. Un chœur prestigieux pour des messes et occasions précises.
Éducation et formation
Aujourd’hui, les airs d’Antonio Vivaldi, Ludwig Van Beethoven, Felix Mendelssohn, Giuseppe Verdi et beaucoup d’autres n’ont plus de secret pour les chorales classiques camerounaises comme le Chœur Madrigal, le Grand Chœur Classique de la cathédrale de Yaoundé, la chorale de l’Université de Douala, le Chœur de la Fraternité, le Chœur du Diapason, etc. Ces derniers interprètent ces classiques lors des messes, concerts, cérémonies de mariages, deuils et quelques rares fois, au cours de cérémonies officielles.
Certainement pas comme des élèves d’un conservatoire mais selon leurs sensibilités, leurs cultures et leurs connaissances : « Je n’ai jamais été dans un conservatoire mais grâce à la lecture des partitions, aux disques que j’écoute, vidéos et autres supports, je me forme en imitant mes idoles comme Andrea Bocelli », argue Hyacinthe, choriste.
C’est ainsi que se fait la formation dans les chorales : « Nous n’avons pas de conservatoires au Cameroun. Le meilleur moyen pour nous d’apprendre, c’est de copier sur Internet les techniques de chant, les vocalises, les différentes façons d’interpréter des pièces d’envergure et aussi comment composer », explique Jean Eric Bitang, maitre de chœur de la Chorale de l’Université de Douala.
Des choristes ont aussi la possibilité de se former dans des associations qui se sont formées spontanément pour combler ce déficit. Entre autres, l’association Le Métronome dirigée par le pianiste Théophile Désiré Aboudi et l’association Arbre à Musique, que coordonne Maitre Raymond Pende, musicologue. Le premier a complété sa formation auprès de la pianiste française Hildegarde Fesneau et le second, en France. Ils organisent des sessions de formation toute l’année avec des ‘master classes’ animées par des pensionnaires de conservatoires européens. Des jeunes enfants y apprennent le solfège, à jouer du piano, flûte, violon, guitare et le chant. C’était encore le cas l’année passée avec la pianiste et chef de chant du conservatoire national de Paris, Françoise Ferrand, accompagnée du baritone camerounais Florent Mbia, pendant qu'ils conduisaient une classe de chant.
D’autres camerounais qui ont eu la chance d’aller se former dans l’Hexagone reviennent partager leurs acquis avec leurs compatriotes. C’est le cas du musicien de basse Jacques Greg Belobo (ancien membre du chœur classique de Yaoundé aujourd’hui chanteur d’opéra sur des scènes du monde) et du baryton Clou L’Avenir Belingui (formé au chœur philarmonique de Lagos). Ce dernier a créé un chœur indépendant Festy Classic Group pour des prestations ponctuelles un concept annuel intitulé : Noël des enfants de chez nous. Cette dynamique est complétée par des concours de chants lyriques et de piano dans les zones diocésaines. Le plus célèbre jusqu’ici est le Concours Aguimucla (Association pour la gestion de l'univers et des intérêts de la musique classique). Tous ces volontaires ont pour objectif commun d’ouvrir un conservatoire au Cameroun afin de suppléer au gouvernement qui n’y songe pas encore.
Obstacles
En dehors de la formation, les amateurs de chants classiques n’ont pas d’espaces pour s’exprimer. La plupart des chorales classiques au Cameroun font des prestations dans des églises. Celles qui ont les moyens, s’offrent le luxe d’une salle de spectacle une fois l’an. Avec en moyenne deux synthétiseurs pour les accompagner. Tous chantent et jouent par amour. Ils n’attendent pas de rémunération pécuniaire. C’est la passion qui commande leurs sacrifices : « Généralement, quand des particuliers nous invitent pour des prestations, on reçoit en moyenne 100 000 Fcfa ($165). Une fois cette somme répartie, chaque choriste a au plus 2000 Fcfa ($3.30) pour la journée », témoigne Ange Cécile Ndzengue, Maitre de chant du Chœur classique de Yaoundé. Malheureusement, le public ne soutient pas ces efforts. C’est des choristes et de rares initiés qui assistent à ces concerts de musique qu’on qualifie généralement de religieuse. Les raisons de ce dédain sont multiples. « Beaucoup considèrent la musique classique comme celle des sectaires et d’autres estiment qu’elle est réservée aux bourgeois. Comme la société camerounaise est en majorité pauvre, on comprend bien pourquoi les gens sont réticents », tente de justifier Clou L’Avenir Belingui, chef de chœur du Festy Classic Group.
De ce dédain et cette précarité sont nés des génies qui ont trouvé leur épanouissement dans des compositions tels que le célèbre Maitre Daniel Doumbe Eyango (décédé), Gaspard Mbole, Jules Tékam, Jean Eric Bitang, etc. D’autres maitres se sont penchés sur l’harmonisation des chants locaux que le public préfère. Notamment, Patrick Ewoungouo, René Esso (de regrettée mémoire), Raphael Tchomnou, etc. et de nombreux jeunes passionnés qui malgré la volonté et la détermination, manquent cruellement de moyens techniques pour parfaire leurs talents. La musique classique au Cameroun a encore du chemin.
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