Droits d'auteur, collecte de redevances et piraterie musicale en Tanzanie
Par John Kitime
Ce texte traite de la collecte des redevances en Tanzanie, retraçant son histoire d’avant l'indépendance, en examinant notamment les mesures prévues par le gouvernement dans la gestion collective, sa mise en œuvre ainsi que les difficultés rencontrées par les musiciens pour percevoir leurs redevances.
L’historique (de 1950 aux années 80)
Sauti ya Dar es-Salaam (La Voix de Dar es-Salaam), créée en 1951, est la première radio du pays. Au début, la radio n’émet que vers Dar es-Salaam. En 1955, les services sont étendus à l’arrière-pays et la radio est rebaptisée Tanganyika Broadcasting Services. En Juillet 1956, la radio devient la Tanganyika Broadcasting Corporation. En 1961, quelques années après l'indépendance, elle est rebaptisée Radio Tanzania Dar es Salaam (RTD).
Tout au long de cette période et quelques années après l’indépendance, la RTD verse des redevances aux titulaires de droits dont les œuvres sont diffusées sur ses ondes en se basant sur les relevés détaillés de diffusion. La RTD verse également ses contributions à la société britannique de gestion du droit d’exécution publique (British Performing Rights Society (PRS)). Cependant, la station ne garantit le versement de droits qu’aux auteurs-compositeurs étrangers; les musiciens africains ne perçoivent rien. Ce n’est que vers 1964 que cela est porté à l’attention du public et la RTD est chargée de cesser tout paiement car ceci est considéré comme un acte de colonialisme.
Depuis le milieu des années 50, les musiciens tanzaniens traversent la frontière pour enregistrer leurs disques au Kenya puisqu’il n’existe aucune infrastructure d’enregistrement en Tanzanie. Autour de 1975-1976, la querelle politique entre le Kenya et la Tanzanie mène à l’effondrement de la Communauté de l’Afrique de l’Est. Le gouvernement tanzanien ferme ses frontières avec le Kenya pendant un certain temps. C’est un coup dur pour les musiciens tanzaniens, qui dépendent des infrastructures d’enregistrement kenyanes pour enregistrer leurs albums. Ces derniers disparaissent de la scène musicale ne pouvant qu’enregistrer dans les studios appartenant à la radio publique alors connue sous le nom de Radio Tanzania Dar es Salaam, après quoi leur musique n’est jouée qu’à la radio. Ce système perdure pendant les 20 prochaines années. Il arrive qu’un groupe tanzanien traverse illégalement la frontière vers le Kenya pour enregistrer et sortir des albums. D’autres s’installent au Kenya où ils font carrière. Simba wa Nyika Band est cité comme un bon exemple.
Le gouvernement tanzanien établit la société d’état du cinéma tanzanien (Tanzania Film Company (TFC)) en 1968, chargée de fournir des facilités d’enregistrement entre autres. La TFC enregistre et édite quelques chansons dans les années 70, bien que, les disques sont pressés en Zambie. Le gouvernement crée également Dar es Salaam Bicycle Company (DABCO), la seule société autorisée à importer et à vendre des instruments de musique et la seule autorisée à importer et à distribuer des disques. Cela provoque une grande pénurie de disques dans le pays.
En 1976, la cassette audio est introduite au pays. Les entrepreneurs saisissent l’opportunité de s’enrichir du marché très avide de la musique. C’est ainsi que débute l'entreprise de la copie et de la vente de musique sur cassettes audio et le piratage de la musique est né. Les pirates commencent d’abord par vendre des cassettes de chansons étrangères mais des copies de la musique locale apparaissent lentement dans les magasins. Cette situation inquiète les musiciens locaux, qui en 1987, commence à se plaindre du piratage de leurs œuvres et font sérieusement pression sur le gouvernement pour une meilleure législation sur le droit d'auteur. La loi de l'époque (Copyright Law No 61 of 1966), n’existe que sur papier et n’est jamais appliquée efficacement.
La situation actuelle (de 1990 à aujourd’hui)
Au milieu de l’année 1993, le Conseil national des Arts[i] présente le premier projet d’une nouvelle loi sur le droit d’auteur, mais il faut attendre encore six ans pour que cette loi soit présentée et ratifiée par le parlement. Durant ces années, les pirates s’enrichissent et se dotent d’équipements de pointe et de systèmes de distribution plus efficaces. L’achat de produits pirates fait désormais partie de la culture. En 1999, la Tanzanie présente enfin la nouvelle loi sur le droit d’auteur et les droits voisins (Copyright and Neighbouring Rights Act (No. 7 of 1999)). Après plus de 10 ans de lutte, menée principalement par des musiciens, qui face au piratage musical qui prend naissance et se propage dans les années 80, ressentent la nécessité d'une meilleure loi.
En 2006, le gouvernement publie les règles relatives à la loi sur le droit d'auteur et les droits voisins (Production et distribution d’enregistrements sonores et audiovisuels)[ii]. Ces règles mentionnent entre autres, l'utilisation d’étiquettes anti contrefaçon apposés sur les CD ou DVD originaux. 2. Il est interdit de produire, de distribuer ou d’importer des enregistrements sonores ou audiovisuels en Tanzanie, sauf obtention d’une licence délivrée par la société de droits d'auteur de la Tanzanie (Copyright Society of Tanzania) dénommée "Société." 3. Une étiquette anti contrefaçon, dénommée HAKIGRAM, doit être apposée sur chaque enregistrement sonore ou audiovisuel distribué, offert ou autrement accessible au public par la vente, la location ou autrement sur le territoire de la République Unie de la Tanzanie.
La loi prévoit la création de la Société du droit d'auteur de la Tanzanie (COSOTA)[iii], l’organe qui a pour fonction de contrôler l’application de la règlementation. La loi échoue car la société du droit d’auteur, financée par le gouvernement, n'a jamais obtenu les fonds initiaux pour démarrer le projet et assurer une mise en œuvre efficace.
En 2013, le gouvernement tanzanien présente la loi sur les films et les produits musicaux (Films and Music Products Regulations 2013), qui propose des vignettes fiscales apposées aux supports audiovisuels. Cette loi exige une vignette pour tous les supports audiovisuels (CD, DVD, etc.). Malheureusement cette initiative échoue. Aujourd'hui, les distributeurs de musique ont presque complètement cessé leurs activités, sauf pour quelques albums de gospel. Les musiciens ne sortent que des singles en assurant une promotion massive en vue de tirer un revenu des concerts et non de la vente de disques.
Avec l'introduction du multipartisme en 1992, le gouvernement autorise la création de radios et télévisions privées. Selon les statistiques de l'autorité de régulation des communications en Tanzanie (TCRA)[iv], quelques 80 stations de radio et 31 chaînes de télévision voient le jour depuis 2012. Aucune ne paie de redevances suivant l’exemple de la radio publique qui ne verse aucune redevance aux musiciens - et invoque encore et toujours le prétexte: «Nous promouvons votre musique ». Il arrive qu’ils cessent tout simplement la diffusion des œuvres d’un musicien qui les incommodent. Les DJs corrompus exploitent les musiciens qui ne souhaitent qu’une diffusion sur les ondes dans le seul but d’obtenir une réservation pour un spectacle. Les musiciens savent qu’il faut payer pour une diffusion sur les ondes des radios en Tanzanie.
En 2013, le réseau des musiciens tanzaniens (TAMUNET), une organisation de musiciens locaux, produit un rapport sur la gestion de la collecte et de la distribution des droits d'auteur. Le rapport propose que la radio publique soit le premier diffuseur à verser des redevances aux artistes. Hélas, il n’en est rien.
Les musiciens obtiennent désormais des redevances de l'utilisation de leur musique comme sonneries et tonalités de rappel, mais les paiements ne sont pas prévisibles et des informations sur les revenus générés ne sont pas facilement disponibles. En Mars 2015, le gouvernement émet un nouveau projet de loi sur la communication publique, en cours d’élaboration. Le projet revisite les différents modes de paiement de la redevance. Toutefois, le fait que les musiciens les plus établis tolèrent la diffusion gratuite de leurs œuvres, fait défaut dans la mise en œuvre du mécanisme de la gestion collective. C’est là un des arguments souvent employés par les utilisateurs de musique. En conclusion, malgré les intentions apparentes du gouvernement, la collecte des redevances en Tanzanie s’avère en grande partie infructueuse, d’où la difficulté pour les musiciens d’envisager une carrière professionnelle et de s’assurer d’un revenu de base.
[ii] http://www.wipo.int/wipolex/en/text.jsp?file_id=216625
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