Droits d'auteur, redevances et piratage musical au Tchad
Par KILA ROSKEM Jean-Pierre
Le droit d’auteur au Tchad devient une réalité avec la création en 2005 du Bureau Tchadien du Droit d’Auteur (BUTDRA). C’est dire que pour comprendre comment se porte le droit d’auteur au Tchad, il faut se rapporter à l’analyse du fonctionnement de cette institution qui est un établissement public à caractère administratif, doté de la personnalité juridique et de l’autonomie financière.
C’est elle qui est chargée désormais de gérer l’adhésion des artistes et créateurs d’œuvres de l’esprit, d’enregistrer les œuvres littéraires et artistiques et de planifier les opérations de recouvrement des redevances.
Au regard de multiples attributions de cette institution, c’est celle qui concerne la perception et la répartition des redevances qui est sans doute la plus importante.
Le BUTDRA représente ainsi une importante institution dans la vie artistique tant il joue un rôle majeur dans le processus de reconnaissance du statut professionnel de l’artiste.
Etre répertorié dans la base de données du BUTDRA constitue l’un des éléments de « distinction » et sans doute de « légitimité » de l’artiste dans la société. Cela donne non seulement la visibilité institutionnelle mais également le statut de « salarié ».
Cependant si théoriquement la création du BUTDRA demeure la concrétisation de la volonté politique de la reconnaissance du droit d’auteur au Tchad, il existe de nombreux défis ou obstacles qui se dressent et qui limitent la portée du travail de cette institution.
Les défis du droit d’auteur au Tchad
La gestion du droit d’auteur est confrontée à plusieurs défis ou contraintes que nous pouvons résumer sous deux catégories : les contraintes d’ordre matériel et d’ordre culturel.
Les contraintes d’ordre matériel
« Il nous arrive de n’avoir pas du tout une seule feuille de papier pour travailler, le BUTDRA n’a jamais reçu un fonds de roulement ».
Ce propos entendu d’un responsable dit déjà tout de l’état d’indigence, dans tous les sens du terme (matériels et humains), dont souffre encore aujourd’hui le BUTDRA. Le manque de matériel de travail fait voir dans cette institution une coquille vide et révèle que l’on ne peut attendre de résultats de cette institution. En dehors de quelques agents formés dans le domaine spécifique de la propriété intellectuelle grâce au soutien ponctuel des partenaires (les principaux partenaires sont: Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI), Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle (OAPI), la Coopération française et le Fonds Européen de Développement), la majorité d’entre eux est sans formation.
A tout cela s’ajoute le défi de l’informatisation des données pour une gestion plus dynamique des adhérents. Alors que le nombre des adhésions augmente de jour en jour, le traitement des informations se fait jusqu’à ce jour de façon manuelle.
Les contraintes d’ordre culturel
Si le droit d’auteur est une notion suffisamment vulgarisée dans certains pays, plus précisément européens à l’exemple de la SACEM (Société française de gestion des droits d'auteur), il n’en est pas de même pour d’autres pays, notamment les pays d’Afrique en général et le Tchad en particulier. Cette situation pourrait s’expliquer par l’analphabétisme du public mais aussi la résistance de celui-ci à l’acceptation de la marchandisation de la culture. En effet, l’imaginaire traditionnel est encore vivace en ville : il est anormal de débourser une quelque somme d’argent pour écouter de la musique. En outre, il faut déplorer l’absence de plan de communication du BUTDRA, ce qui nuit à sa visibilité. Ce défaut de communication, qui se caractérise par des actions ponctuelles suivies de longs silences, n’est pas de nature à faire évoluer les mentalités des partenaires vis-à-vis de l’institution.
Quant à la collaboration avec les usagers que sont les tenanciers de bars, elle n’est pas des plus harmonieuses et est caractérisée par de fréquents moments de tension. Pour beaucoup d’usagers qui ne sont pas suffisamment éclairés sur la question du droit d’auteur, les opérations de recouvrement ne sont organisées que pour les escroquer. Leur forte réprobation vient également du fait qu’ils font régulièrement les frais des agents véreux de l’administration et de la municipalité, lesquels leur font payer diverses sortes de taxes sans qu’elles soient toujours justifiées.
Face donc à des résistances de tous côtés, cette situation problématique va amener les responsables du BUTDRA à changer de stratégie pour négocier un forfait avec le syndicat des bars et celui des radios privées. En effet, en dépit de l’arrêté ministériel n°23 de 2008 fixant la tarification des droits d’exploitation des œuvres artistiques pour tous les usagers, le BUTDRA s’est vu contraint d’adopter une démarche sur la base des forfaits pour tenir compte, selon leurs propres termes, du « côté social ». Toutes ces situations de difficulté que le BUTDRA éprouve pour mobiliser les fonds en vue de les redistribuer aux ayants-droit, révèlent également que le caractère économique de la musique est loin d’être une réalité.
Dans cette logique économique de la musique, il faut noter la pratique du piratage qui est un manque à gagner et qui prend des proportions importantes.
La pratique du piratage, le rôle ambigu des discothèques.
Les discothèques jouent un rôle ambigu dans l’économie musicale au Tchad. En l’absence de maisons de distribution labellisées comme c’est le cas dans d’autres pays, ce sont ces établissements qui constituent l’un des points privilégiés de vente des supports musicaux. Dans ces conditions, l’utilité des discothèques réside dans le fait qu’elles permettent aux artistes de se libérer des contraintes de la vente directe.
Cependant grâce aux facilités d’acquisition de l’outil informatique, beaucoup de jeunes, en majorité des diplômés sans emploi, parviennent à se doter d’un équipement minimum nécessaire aux opérations d’enregistrement. Ils développent dans toute la ville, à l’attention du grand public, des services de transfert de sons et/ou images sur les téléphones portables, presque gratuitement. Pour une somme modique variant entre 100 et 200 FCFA, les clients peuvent faire télécharger sur leur téléphone n’importe quel son ou image vidéo. Cette situation est d’autant plus inquiétante que les services de l’Etat affichent leur impuissance pour y mettre fin. En laissant faire, l’Etat contribue tacitement à maintenir la musique dans sa sphère traditionnelle.
En guise de conclusion
La création du BUTDRA a été perçue par tous les acteurs comme étant un pas vers la professionnalisation du secteur artistique et singulièrement de la musique au Tchad. Mais le désenchantement s’installe aujourd’hui parce que la réalité du droit d’auteur demeure balbutiante au vu des nombreuses contraintes évoquées.
L’échec du BUTDRA rappelle celui de nombreuses autres institutions publiques au Tchad. En effet le souci de créer ces institutions obéit plus à un effet de mode qu’à une logique de résultats. Il s’agit de ressembler à d’autres Etats juste pour faire bonne figure. Que ces institutions fonctionnent ou non, cela ne semble émouvoir personne.
Sources:
- Carrefour n° 41, septembre-octobre 2006, p. 9.
- Arrêté n°023/PR/PM/MCJS/SG/BUTDRA/2008 portant tarification des droits d’exploitation des œuvres littéraires et artistiques protégées au Tchad.
- Arrêté n°024/PR/PM/MCJS/SG/BUTDRA/2008 portant répartition des redevances des droits d’auteur des œuvres littéraires et artistiques protégées au Tchad.
- BOURDIEU Pierre. La distinction. Critique sociale du jugement. Paris : Minuit, 1979, 672 p.
- KILA ROSKEM Jean-Pierre. L’émergence d’une scène musicale à N’Djamena : identification des acteurs et des territoires. Avignon : Thèse de doctorat en Sciences de l’Information et de la Communication. Université d’Avignon, 2014, 349 p.
- MANDO Tala. Droit d’auteur au Tchad : Qui dit vrai ? N’Djaména : Carrefour n° 58, juillet-août 2009, p. 11.
- MANDO Tala. La piraterie : un mal insidieux. N’Djaména : Carrefour n° 58, juillet-août 2009, p. 12.
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