Droits d'auteur, redevances et piratage musical en République Centrafricaine
Par Paul-Crescent BENINGA
La question des droits d’auteur en République Centrafricaine (R.C.A) a été, à l’instar de nombreux pays d’Afrique Centrale, au cœur des débats à multiples rebondissements. Ceux-ci portent, d’une part, sur la légitimité des institutions en charge de la gestion des droits d’auteur, et, d’autre part, sur le cadre législatif qui n’assument plus les réalités du monde artistique.
Il apparaît donc clairement que le secteur artistique centrafricain connait un grand désordre au point qu’il est difficile aux artistes de jouir de leurs droits. L’intérêt de cet article est de présenter le droit d’auteur aussi bien dans son contexte d’émergence que son évolution et ses différents aspects en RCA.
Dans le cadre de cette analyse, le droit d’auteur est défini comme l’ensemble des règles aussi bien légales que réglementaires destinées à assurer la protection de la création, de la cession, de la commercialisation de toute œuvre d’esprit (œuvres artistique, culturelle, littéraire et bien d’autres).
Contexte d’émergence du droit d’auteur en République Centrafricaine et la naissance du BUCADA
Pendant longtemps, les artistes centrafricains ont adhéré à des sociétés des droits d’auteur en Occident et dans bien d’autres pays d’Afrique de l’Ouest. Jusque dans les années 80, nombre d’artistes centrafricains ont adhéré à la Société des Auteurs, Compositeurs et des Editeurs de Musique (SACEM) en France et au Bureau Sénégal des Droits d’Auteur (BSDA) au Sénégal. A titre d’illustration, nous citerons les artistes comme Rodolphe Bekpa, Charlie Perrière et bien d’autres dont les Droits d’Auteur sont gérés par la SACEM. Ce recours à des sociétés étrangères prendra fin au début des années 80, car à l’initiative du journaliste Takelepou, sera fondé en 1985 le Bureau Centrafricain des Droits d’Auteur (BUCADA). L’objectif visé par le fondateur du BUCADA est de protéger et de gérer les droits d’auteur des artistes centrafricains tout en garantissant lesdits droits au travers d’une convention de réciprocité signée avec d’autres organismes.
Des dysfonctionnements à la suspension du BUCADA : une aubaine pour les fondateurs du CACC
De nombreux dysfonctionnements ont été constatés et relevés par les artistes centrafricains au sujet de la gestion des droits d’auteur par le BUCADA. L’irrégularité constatée dans le paiement des droits d’auteur, l’absence de la protection des œuvres musicales centrafricaines, la tolérance face à la piraterie, la gestion opaque des subventions etc. font partie des dysfonctionnements relevés. A cela s’ajoutent les difficultés relatives à la procédure de collecte et de redistribution des fonds. A ce sujet, un artiste co-fondateur du CACC affirme qu’ : « au temps de BUCADA, personne ne sait comment les droits d’auteurs sont collectés et redistribués (…), alors que nos droits sont régulièrement perçus par le BUCADA, mais pour nous donner, c’est une autre histoire (…) »
Au regard de ce qui précède, après plusieurs tentatives visant à redresser le BUCADA, l’on est arrivé à sa suspension. En effet, en date du 22 juin 2016, la Ministre en charge des Arts et de Culture a pris une circulaire qui suspend jusqu’à nouvel ordre le BUCADA. Pour madame Aline Gisèle Pana, « aucun artiste n’a perçu de droits depuis l’existence de cette structure, et en attendant la mise en place des organes habilités à gérer la nouvelle société du droit d’auteur et des droits voisins, j’ai suspendu par arrêté les activités de l’équipe provisoire des percepteurs des droits d’auteur. J’attache du prix à la stricte application de la présente note circulaire ». De cette circulaire, il apparaît clairement que le Ministère de tutelle décide de mettre de l’ordre dans la gestion des droits d’auteurs.
Pour nombre d’artistes interrogés au sujet de cette décision, il ressort un sentiment de soulagement. A ce titre, un artiste affirme: « enfin, on a décidé de prendre les taureaux par les cornes. Nous avons attendu pendant longtemps cette décision (…). » A la suite de cette suspension, un comité ad hoc a été mis en place pour assurer l’intérim et procéder également à la restructuration du BUCADA.
A cette suspension s’ajoute la création d’un Collectif des Auteurs et Créateurs de Centrafrique (CACC) le 17/04/2016. Pour Gervais Lakosso, coordonnateur du CACC, « Le CACC va s'atteler à mettre en place des accords de réciprocité afin de faciliter le rapatriement des droits situés à l'étranger ». Implicitement, les artistes centrafricains se retirent du BUCADA. Cet imbroglio politico-institutionnel a entrainé d’énormes conséquences sur le paysage artistique centrafricain.
Impact des imbroglios politico-institutionnels sur le paysage artistique centrafricain
Nul doute, les dysfonctionnements présentés impactent sur le dynamisme du paysage artistique centrafricain:
Origines des dysfonctionnements du BUCADA
Il serait prétentieux de faire une liste exhaustive des problèmes auxquels la gestion des droits d’auteur est confrontée en Centrafrique. Toutefois, nous pouvons citer quelques : l’impréparation des acteurs, l’absence d’un cadre juridique adéquat et bien d’autres. Dans les années 80, les artistes centrafricains, conscients de ce qu’il faut pour sortir de la tutelle des organes étrangers en charge de la gestion des droits d’auteur, ont mis en place le BUCADA en mésestimant les exigences du secteur artistique. Très vite, le BUCADA est confronté à un problème de ressources humaines capables de s’adapter aux sempiternelles mutations survenues dans le secteur.
S’agissant du cadre législatif, l'État centrafricain a ratifié les traités administrés par l’OMPI. Du point de vue international, ces traités posent le cadre législatif et juridique des droits d’auteur et évoluent dans le temps. En revanche, du point de vue national, la loi qui traite de la question des droits d’auteur en R.C.A date de plus de trois décennies et n’est pas jusqu’ici réaménagée.
Les conséquences de la mauvaise gestion des droits d’auteur : la piraterie galopante
Assurément, les dysfonctionnements liés à la mal gouvernance dans le secteur artistique et culturel ont biaisé le dynamisme du paysage artistique centrafricain. Les artistes centrafricains, n’ayant pas bénéficié des frais que génèrent les droits d’auteur, s’inscrivent majoritairement dans la mendicité au point de vendre à des prix dérisoires leurs cachets. Aussi, l’absence d’une politique rigoureuse de lutte contre la piraterie galopante oblige les artistes et producteurs centrafricains à vendre à vil prix les CD et autres supports de musique. Le marché centrafricain est inondé de piraterie au vu et au su de tous les acteurs impliqués dans la gestion des droits d’auteur. En effet, il existe des personnes à l’affut qui achètent un CD original et se chargent de les multiplier et de les vendre en parallèle, ceci au grand dam du BUCADA. Ainsi, les CD piratés inondent le marché ainsi que les call-boxes de transfert de musique qui jalonnent les bords de la route au mépris des autorités.
Source: -Sultan Zembellat « les droits d’auteur centrafricains » in Maziki (site d'informations sur le secteur musical en RCA), consulté le 19/09/2016 à 08h22 -Entretiens à Bangui (RCA): octobre et septembre 2016. -« Centrafrique : Conclave autour des droits d’auteur » in Africa-info, consulté le 16/09/2016 à 11h04. -Gervais Lakosso, « création d’un collectif des auteurs et créateurs de Centrafrique », in Journal de Bangui, consulté le 20/09/2016 à 06h03. -Les traités administrés par l'OMPI et ratifiés par la RCA : Convention instituant l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (23 août 1978), du Traité de coopération en matière de brevets (24 janvier 1978), de la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques (3 septembre 1977) et Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle (19 novembre 1963).
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