Dakar Music Expo milite pour un secteur musical africain résilient, viable et inclusif
Pour sa seconde édition, le salon Dakar Music Music Expo (DMX) a proposé, du 17 juin au 21 juin 2021, un programme riche avec des panels de haut niveau et des concerts d'une grande qualité. Le tout, dans une atmosphère post-covid où les gestes barrières étaient de mise.
Initié par le promoteur sénégalais Doudou Sarr, ce nouveau salon annuel international déjà prééminent sur le segment des industries culturelles et créatives au Sénégal, réunit depuis deux ans, professionnels, décideurs, organisateurs d’événements, associations professionnelles, agences et entreprises de l'industrie musicale, dans la capitale de la Teranga, pour célébrer la création africaine autour de débats, de showcases et de rencontres pour se créer un réseau et des opportunités professionnelles...
Des panels de haut niveau
Cette année, avec la nécessité de relancer le secteur dans un contexte de crise sanitaire, les panels ont tourné autour du défi pour les pays ouest-africains, principalement le Sénégal, à construire de nouveaux modèles économiques de production et de diffusion, en s'appuyant sur le digital.
C'est ainsi que s'est tenu le jeudi 17, le panel initial sur les mécanismes de distribution et de rémunération avec en toile de fond la question : comment vivre de sa musique à travers le numérique ? La rencontre a réuni les responsables de deux des principales plateformes locales de vente de musique en ligne, Ziksen et Musik Bi.
La question a été discutée de nouveau le second jour, avec deux des managers d'artistes sénégalais les plus en vue, Mérou Dieng (Believe Sn) et Idrissa Fall, agent du rappeur numéro un au Sénégal, Dip Doundou Guiss, avec cette fois-ci la question de la visibilité des artistes sur Internet.
C'est aussi la question du digital, trame centrale du DMX 2021, qui a clôturé les débats du salon le samedi 19, avec Amadou Fall Ba d'Africulturban, le rappeur et producteur Iss 814, le producteur Safouane Pindra d'Optimiste Produktions et le Français Yann Gilg, responsable du projet FACC, qui ont parlé des bénéfices de la digitalisation des cultures urbaines.
Pour Amadou Fall BA : « Internet ne devrait pas être le pesticide des cultures urbaines, il faudrait que les acteurs se l'approprient, mais il reste un outil au service des cultures urbaines ».
D’autres échanges également très riches se sont tenus avec des professionnels du secteur, notamment autour de questions importantes comme la place des femmes dans l’industrie musicale avec Maman Faye de la structure We Management, Fatoumata Pindra d’Optimiste Produktions et Camille, manager et responsable de la structure Kaani.
La question du rôle et des enjeux pour les managers d’artistes dans ce contexte de crise a été aussi soulevée, dans un talk qui a réuni Ousmane Faye, (manager d'Omar Pène), Moustapha Ndiaye (AMAA), Samba Diaité (Orchestre Jigeen ni) et Cédric David (Mnf Latam), tandis que Jean-Pierre Seck, Jean-Pierre Senghor et Daniel Gomes ont abordé le sujet lancinant du rôle des droits de l’auteur dans l’économie culturelle, le vendredi.
Selon Moustapha Ndiaye, secrétaire général de l'association sénégalaise des managers et et agents d'artistes (AMAA), « le rôle des managers et leur statut devraient être aussi discuté comme celui des artistes et Dakar Music Expo, justement, permet de poser sur la table, tous ces problèmes du secteur musical. Ce genre d'évènement structurant de manière significative le secteur, est une vraie nécessité ».
Le samedi a vu un débat sur l’émergence des musiques actuelles au Sénégal se tenir avec Lamine BA (Music In Africa), le chanteur Alibeta et le promoteur d’Electrafrique, DJ Cortega.
Les professionnels présents au DMX 2021 ont pu également suivre les présentations des marchés musicaux hispaniques et latino-américains, du marché italien, français et africain (Brahim El Mazned de Visa For Music et Claire Diboa de 2C Production) ainsi que des films documentaires, notamment Le silence est un cri du rappeur africain d'origine togolaise, Elom20ce, Africa Mia de Richard Minier et Édouard Salier, ainsi que Tonton Manu, le portrait de Manu Dibango.
Des showcases de grande qualité
Dakar Music Expo a été l'occasion pour le public dakarois et les professionnels présents de renouer avec les ambiances chaudes et festives des concerts, après près d'un an sans grand événement.
À cette occasion, des artistes de la scène émergente et des légendes de la musique sénégalaise ont investi de nouveau la scène de l'Institut Français de Dakar.
Placée sous l'égide des femmes, la première soirée a vu les jeunes chanteuses Shula Ndiaye du Sénégal, Tifa de la Mauritanie, la chorale Will's Afro Choir, Amira Abed et Korka Dieng, soutenues par le backing band Jigeen Ni, offrir au public un aperçu de leurs compositions originales.
La mauritanienne Tifa a été la belle découverte de la première soirée du DMX. Arrivée discrètement, presque sur la pointe des pieds, elle a pourtant réussi à entrainer tout le monde dans son univers musical aux influences riches et aux mélodies captivantes, mises en valeur par une belle voix et un sens parfait de l'interprétation.
Clôturée par la grande diva Soda Mama Fall, cette soirée d'ouverture jetait les bases d'une édition pleine de promesses...
Alex Boicel, directeur d'Afromondo Production, basé à Montréal au Canada, venu assister au DMX nous confiera avoir particulièrement aimé cette première soirée : « Les talents féminins ont tout simplement été époustouflantes. J'ai beaucoup Aimé Tifa, ainsi que l'orchestre Jigeen ni. Ce soir, j'espère revoir Mariaa Siga que j'ai eu la chance de suivre il n'y a pas longtemps à Abidjan, elle est vraiment impressionnante ! »
Justement, le lendemain, après un solide showcase de FULA, l'artiste d'origine sénégalaise du label italien Noxx Management, la talentueuse Mariaa Siga prend ses quartiers sur la scène de l'IF. Son show débute par un prélude réussi et plonge immédiatement l'assistance dans l’ambiance. Le ton est donné, le public bouge. Mariaa démontre une belle maitrise de la scène. Elle enchaîne les interprétations et emporte tout le monde dans son sillage.
20 minutes et s'en va ; c'est court mais suffisant pour donner envie de la revoir et découvrir son spectacle en entier.
Le concert se poursuit avec un show énergique du rappeur Elom 20ce qui finit de mettre une ambiance folle, avant qu'Obree Daman n'investisse la scène. Là aussi, les premières notes suffisent à happer toute l'assistance...
Tout de noir vêtu, Obree, admirablement accompagné par l'Africa RemiXX Orchestra, va raconter durant une vingtaine de minutes, avec authenticité, talent et humilité son histoire. Son grain de voix est agréable, ondulé ; le phrasé, d'une grande souplesse et soigné, magnifie les classiques avec une rare pureté.
On ne peut pas manquer de penser à la formule de Nina Simone pour définir ce qui se passe sous nos yeux : « To be Young, Gifted and Black ». Une vraie claque artistique !
Cheikh Ibra Fam et Diyane Adams qui prendront par la suite le relais, assureront tour à tour un spectacle d'une grande qualité également. Cheikh Ibra fait montre, avec aisance, d'une grande précision ; au fur et à mesure du show, il se révèle excellent et plein d’allant, toujours porté par un backing band efficace - le public ne s'y trompe pas, des applaudissements nourris l'accompagnent pour sa sortie.
Diyane, c'est d'abord une belle voix, des lyrics en français, en anglais et en wolof, dans une ambiance acoustique qui favorise l'écoute. Ses envolées qui confrontent des notes fluettes à des accords puissants, parlent d'amour. Ses intonations, parfois américanisantes, sont mêlées à des notes bien de chez nous, rappelant que Diyane est un vrai « Ndar-Ndar », aussi ouvert aux influences extérieures qu'enraciné dans ses propres traditions, aussi talentueux que classe.
Iss 814 en showcase, Alibeta en première partie et l'Orchestra Baobab qui célébrait ses 50 ans, c'était le programme alléchant proposé par le DMX 2021 pour la dernière soirée à l'IF.
Le rappeur sénégalais avait concocté pour l'occasion, une avant-première d'un projet à venir, fait de set afro pop. Quant à Alibeta, il a fait honneur à sa réputation. Il a séduit par sa musicalité, le dialogue gracieux qu’il instaure et l’émotion qu’il distille dans ses interprétations.
Les doyens de l'Orchestra Baobab qui fêtaient la 50e année de leur groupe ont mis le feu à la scène de l'IF. Avec une aisance que seule offre la longue expérience de la scène et le talent, nos papys ont ravi le public. Leur show, d’une grande homogénéité était plein de chaleur et de douceur. Assurément, l'un des moments les plus marquants de la soirée.
Durant 5 jours, grâce à une programmation séduisante et originale par la qualité et la diversité des artistes conviés, le Dakar Music Expo a fait dialoguer les générations et mis en lumière les talents d'hier et de demain, tout en réfléchissant sur les pistes à emprunter pour un secteur musical africain encore plus résilient, plus viable et plus inclusif.
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