Censure étatique et pressions sociales sur les musiciens au Tchad
La censure se définit généralement comme une limitation partielle ou totale de la liberté d’expression ; elle peut prendre de multiples formes. Les artistes tchadiens n’en sont hélas pas épargnés. Mais à l’ère du numérique, il est très aisé de braver l’interdit même si les risques restent toujours aussi grands.
Par Allafi Amadou Nganansou
Le secteur de la musique tchadienne, qui regorge de nombreux artistes, n’échappe pas aux risques de la censure, qui plane incessamment sur lui. Malgré le manque de créativité pour se démarquer de la rumba congolaise et des sonorités d’inspiration soudanaise, les artistes tchadiens, en particulier les rappeurs, sont devenus de véritables chroniqueurs de la société. Ils sont aujourd’hui les plus suivis par les jeunes.
Dans leurs textes, beaucoup évoquent les difficultés du quotidien et dénoncent les systèmes politiques, ainsi que la mauvaise gouvernance du pays. Pour cela, la plupart de leurs œuvres est censurée, quand on sait que la liberté de parole pourrait jouer un rôle crucial dans la prise de conscience politique de la jeunesse.
La censure à la télévision et la radio publique
Les événements subis par le Tchad, de la guerre civile de 1979 à la rébellion du 02 février 2008, ont intimidé le peuple, qui s’est habitué à chanter, parfois par intérêt, les louanges du pouvoir en place.
La radio nationale et la télévision tchadienne, sont aujourd’hui des organes de censure des musiques engagées ou dénonciatrices. Avant même que les ondes ne diffusent une œuvre de ce genre, elle est automatiquement censurée par les responsables de ces médias, pour éviter de frustrer le pouvoir.
Le hip-hop est un mouvement culturel né dans les années 70 à New-York (USA), qui regroupe plusieurs pratiques artistiques, dont le rap. Importé au Tchad, il est devenu un mouvement de révolution et de contestation, pour une jeunesse engagée et déterminée, toujours prête à parler au nom du peuple
De ce fait, les œuvres rappées sont les plus censurées par les radios et télévisions publiques. Jamais à la Télé Tchad ou à la radio nationale, on ne pourrait diffuser une composition du groupe Samuraï, de Ray’s Kim, Fattaall, Dog Faddah, Imaam T, Sultan, Moussa Aimé, Kombattant engagés, Amida de Padjiray ou encore N2A.
Ces artistes, des plus engagés, ne cessent de dénoncer la politique du gouvernement, les détournements des deniers publics. Ils sont « l’ennemi numéro 1 » du gouvernement.
À travers le mouvement citoyen IYINA, quelques musiciens engagés ont organisé la résistance. Après une vague d’arrestations de membres de la société civile, ils ont décidé de donner des concerts dans les grandes villes du Tchad, en commençant par N’Djaména, la capitale. Mais leurs autorisations de concert ont été annulées et les responsables des salles de spectacles ont été appréhendés par les agents de renseignements et de sécurité du parti au pouvoir, pour interdire toute manifestation visant à demander la libération des détenus.
Le recours aux médias sociaux
Dans ce contexte asphyxiant, beaucoup de musiciens ne jugent plus utile de passer par les radios pour se faire entendre. À travers les réseaux sociaux, « ma musique est écoutée partout », explique un rappeur tchadien qui préfère rester anonyme.
Les musiciens boostent leurs chansons sur YouTube et sur les médias sociaux qui, en moins d’une semaine, parviennent à réunir une très forte audience.
À l’heure des nouvelles technologies de l’information et de la communication au Tchad, censurer les œuvres n’empêche pas les artistes de se faire entendre à travers monde.
Le paradoxe des contenus obscènes et abusifs
Il est vrai que certains artistes véhiculent des messages pertinents souvent mal interprétés, comme ce fut le cas pour Abdoulaye Nderngué, emprisonné pendant 2 ans, pour une œuvre musicale soutenant que l’échec scolaire n’est pas une fatalité, mais qu’il existe d’autres opportunités de réussir dans la vie. Son texte avait alors été considéré par beaucoup, comme une incitation à la désertion des classes et à la délinquance.
Cependant, les auditeurs et mélomanes tchadiens très sensés, savent aussi être critiques à l’endroit de certains contenus dont le caractère obscène et diffamatoire ne fait l’ombre d’aucun doute. Le plus souvent, ces chansons n’ont pour seule fin que de faire danser.
Pour ce genre de composition, nul ne s’aurait s’opposer à une censure. Mais la quasi-inexistence de textes juridiques statuant sur les contenus artistiques, pose problème quand il faut réprimer les auteurs de chansons ou vidéos abusives.
Contrairement à certains pays comme le Cameroun où il existe des textes de loi règlementant les contenus artistiques et prédisposant des sanctions en cas d’incitation à la haine ou à l’immoralité, le Tchad dispose d’une faible législation.
Un paradoxe, quand on constate que l’immoralité est finalement moins censurée que les œuvres sensées et édifiantes, qui proposent pourtant un diagnostic intéressant de la gouvernance.
La censure, un frein à la démocratie
La censure musicale n’a pas sa raison d’être dans un pays qui se veut démocratique comme le Tchad. La liberté d’expression est un élément majeur de la démocratie, or censurer des œuvres, surtout quand elles sont vraies, relève plus de la tyrannie.
Le développement du secteur musical au Tchad se jouera aussi sur cet aspect. Les radios et télévisions publiques doivent remédier à la pratique de la censure systémique, qui étouffe l'artiste dans son désir d’expression.
Au Tchad, même si la constitution de la République garantit : « la liberté d’exprimer ses idées et ses opinions par tout moyen de communication est reconnu à tout citoyen », ce droit est très loin effectif.
Avertissement/Clause de non-responsabilité
Les aperçus de Music In Africa fournissent des informations générales sur les scènes de musique dans les pays africains. Music In Africa comprend que l'information contenue dans certains de ces textes pourrait devenir dépassée avec le temps. Si vous souhaitez fournir des informations plus récentes ou des corrections à l'un de nos textes, veuillez nous contacter sur info@musicinafrica.net.
Édité par Lamine BA
Comments
Log in or register to post comments