5 questions à Ghita Khaldi
Ghita Khaldi est fondatrice et présidente de l’association marocaine Afrikayna. En marge de la conférence ACCES 2017, elle a dressé un bilan des 4 années d’existence de son association.
Bonjour Ghita Khaldi, pouvez-vous nous présenter brièvement Afrikayna ?
Afrikayna est une association existant depuis 2013 et basée à Casablanca. Elle mène des actions d’échange inter-culturels sud-sud portant sur : les programmes de formation artistique, de résidence, la co-production de projets et surtout la circulation des projets entre le Maroc et le reste du continent.
Comment est venue l’idée de créer cette association ?
Initialement, nous avons démarré les travaux au niveau d’Afrikayna avec une conviction pan-africaniste : la solidarité permet de progresser ensemble.
Nous devons pouvoir évaluer le volume de choses que nous avons en commun. Cela permet aux peuples et aux artistes africaines de mieux se connaitre, mais aussi de s’enrichir de nos différences culturelles.
Puis, nous avons essayé de comprendre pourquoi cet éloignement, ce faible volume d’échanges entre artistes vivant tous sur le continent africain.
Nous avons fait un travail de recherche auprès d’artistes et d’opérateurs culturels pour essayer de savoir ce qui bloquait effectivement les échanges. Les réponses reçues se résument en une phrase : tant que les artistes du continent n’arriveront pas à se déplacer en Afrique, nous ne pourrons pas avoir des collaborations, nous connaître à travers nos richesses et diversités culturelles.
Quels problèmes furent identifiés et quelles furent les pistes de solution proposées pour les résoudre ?
La cherté des billets d’avion a été le principal obstacle à la mobilité des artistes africains sur le continent !
La contrainte de la mobilité était une réponse partagée par tous. Nous sommes partis de ce constat pour rédiger un projet qui porterait sur la facilitation de la circulation des artistes et professionnels.
Dans un premier temps, le projet a porté sur le secteur musical avant de s’ouvrir à toutes les disciplines du spectacle vivant.
Nous avons écrit ce projet, puis on a tapé aux portes pour voir qui serait partant pour financer. Ça a pris du temps pour expliquer qu’Afrikayna était juste un intermédiaire. L’association faisait une collecte avant de redistribuer les fonds reçus selon certains critères.
Nous avons eu la chance d’avoir un retour favorable d’abord d’opérateurs culturels locaux dont le groupe OCP ( Office Chérifien des Phosphates) qui est notre principal bailleur de fonds en plus du réseau du Technopark du Boultek. Toutes ces organisations travaillent beaucoup sur le développement d’espaces de travail communs, de collaboration et d’échange.
À partir du moment où nous avons eu avec nous ces partenaires qui ont compris, nous avons lancé le fonds « Africa art lines » en janvier 2016. Nous arrivons à la 2e année de déploiement de ce fonds. La première année fut exclusivement consacrée à la musique. Pendant la deuxième, nous avons élargi le champ des bénéficiaires.
Rétrospectivement, quels sont les points satisfaisants et les points pouvant être améliorés ?
Quand on a démarré, on a tenu à se poser les questions réalistes par rapport au terrain marocain et continental, on a compris certaines contraintes.
En ce mois de novembre 2017, notre satisfaction est indescriptible car toutes nos réalisations sont le fruit d’une réflexion collective et pas seulement marocaine. Les chanteurs et les autres professionnels de l’industrie artistique avec lesquels nous avons réfléchi pour faire un diagnostic puis monté Afrikayna viennent du Sénégal, du Mali, du Maroc et d’autres pays de la sous-région.
Autre motif de satisfaction : nous sommes parvenus à rectifier certaines contraintes posées par d’autres initiatives pour la mobilité. Exemple : l’obligation parfois faite aux artistes d’avancer les fonds. Nous avons cherché, trouvé et mis en œuvre des solutions adaptées à nos contextes en évitant par exemple d’envoyer des financements. Nous avons choisi par exemple d’émettre directement des billets d’avion et non de faire des virements ou des transferts d’argent.
La mobilité est un levier important et crucial, mais il fallait alimenter notre action par d’autres leviers. Nous avons lancé une série de Master Class professionnelles appelées « Casablanca drum n base » où on a tenu à maintenir des échanges.
Globalement nous avons une belle communauté de musiciens, mais pas toujours bien formée. Ces Master Class ont permis de créer des échanges entre des jeunes artistes et des artistes ayant réussi dans le monde du show-business. Ces célébrités pouvant être des exemples à suivre. Ces chanteurs à forte notoriété ont proposé aux débutants des exemples de chemins en termes de carrière, mais le principal intérêt des échanges c’est que les carrières proposées aux jeunes étaient centrées sur des africains et sur le continent africain.
Les formateurs passaient 3 jours avec des jeunes musiciens. Les leaders expliquent leur parcours, leur expérience, leurs techniques de jeu font la promotion du fait de s’inspirer des ressources traditionnelles de l’Afrique afin de faire la différence sur la scène musicale mondiale.
En effet, si les artistes du continent continuent à vouloir jouer comme des américains ou des espagnols sans apporter un peu de leurs racines, il leur sera impossible de faire la différence.
Nous avons eu la chance d’avoir été suivis par de très grands noms : Paco Sery, Habib Faye, Marcus Miller, sont venus partager leur expérience et l’importance de s’accrocher au patrimoine local qui risque de s’éteindre si on ne le valorise pas quitte à le mettre dans un écrin contemporain.
Cet accompagnement a été fait avec le soutien de plusieurs co-producteurs du projet.
Entre autres exemples d’actions d’Afrikayna, nous avons travaillé sur le duo entre Stanley Enow et le grand rappeur marocain H Name.
Nous avons collaboré sur des projets existants ayant besoin d’aide. Parmi eux, on peut citer la résidence annuelle Jokko. Elle a démarré avec 3 festivals : Boulevard Casa, Festa 2h Dakar et Assalamalekoum Nouakchott. Cette année l’initiative initiale a évolué pour aboutir sur un projet plus grand appelé Forum des Cultures Urbaines d’Afrique (FOCUS). Cette collaboration rassemble désormais 4 festivals grâce à l’inclusion du festival sur le Niger de Ségou.
Toutes les réalisations précédentes sont des projets permettant aux artistes africains de se voir, d’échanger concrètement, de communiquer, ce ne sont pas juste des billets d’avion…
Quel bilan d’Afrikayna et d’ACCES ?
En 2016, Afrikayna a commencé par le secteur musical. 25 projets d’Afrique de l’Ouest, d’Afrique du Nord et d’Afrique Centrale ont été financés. Mais dans cette première phase, la demande de mobilité était plus orientée vers le Maroc. Nous sommes allés vers les directeurs de festivals en utilisant plusieurs réseaux dont Music In Africa et Arterial Network.
En 2017, il y a eu plus de programmations marocaines dans les autres festivals, ça a rééquilibré le volume d’échanges.
À propos d’ACCES, je suis très optimiste, après ces 2 jours et les thématiques traitées ! Nous savons qu’on peut et doit faire des choses chez nous avec nos propres grilles de lecture et codes culturels.
Avoir des rencontres comme ACCES où nous pouvons être tous ensemble et envisager l’avenir selon nos propres perspectives, c’est intéressant. Le chemin qui reste à parcourir est long, mais je suis très optimiste. Nous pourrons faire avancer le secteur musical. Plus que des projets, il se réalise la prise de conscience du volume de travail à accomplir, merci à la fondation Music In Africa pour cette initiative.
L’an 2018 sera plus riche, en projets, en échanges et en constructions…
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