Rumba congolaise : une musique qui résiste à l’épreuve du temps
La 4è édition de Rumba Parade, le festival dédié à la rumba congolaise, a eu lieu du 14 au 16 décembre 2017 à Kinshasa. Parmi les activités prévues par les organisateurs, deux journées scientifiques ont été organisées à l’Institut national des arts (INA). Music in Africa y a pris part.
Organisées en matinée à l’INA, en parallèle des concerts livrés en soirée à la Délégation Wallonie-Bruxelles de Kinshasa, les rencontres scientifiques des 14 et 15 décembre ont fort bien renseigné les participants sur certains contours essentiels de la rumba.
Et, pour ce qui est de la dernière journée du colloque Rumba Parade, elle n’était pas des moindres pour avoir particulièrement mis en exergue le lien existant encore entre la rumba originelle et celle jouée par les musiciens actuels dont certains se réclament dignes héritiers. Maïka Munan, musicien et arrangeur congolais était mieux placé pour l’expliquer, lui qui a collaboré avec des grands noms de la musique congolaise tels que Tabu Ley.
En substance, l’exposé de Michel Ngongo, musicien et enseignant à l’INA, s’est étendu sur les « paramètres techniques modernes et la numérisation de la rumba congolaise » dont il a présenté les avantages. Et, conformément à l’esprit du thème général du colloque, à savoir « Odyssée et épopée de la rumba congolaise, quêtes d’identité et d’universalité », il a abordé son sujet en s’appuyant sur la musique de Joseph Kabasele, dit Grand Kallé, à qui le festival a rendu hommage cette année.
Michel Ngongo a proposé à l’assistance une étude de la musique de Grand Kallé qui en a fait ressortir les éléments ayant résisté à l’usure du temps. Il a circonscrit, parmi ceux-ci, la mélodie, l’orchestration et le rythme. À grand renfort de partitions ou exemples sonores, il a démontré, de façon évidente, comment ces éléments, encore d’usage aujourd’hui, ont influencé la musique au-delà des frontières congolaises.
S’étant focalisé au final sur deux de ces aspects, à savoir la rythmique, rendue au travers de ses instruments de percussion, et le côté festif ou dansant de sa musique. De manière condensée, l’on devrait retenir que « ces battements connus de tous qui faisaient l’identité de Grand Kallé étaient pareils à ceux de la musique cubaine produits à l’aide de claves, ces bouts de bois qui donnaient une certaine rythmique ». « C’est ce qui a finalement donné naissance au roulement de la caisse claire souvent utilisée dans notre musique, appelée sébène », a-t-il renchéri.
Par-delà, cette introduction aux fondamentaux originels de la rumba, Michel Ngongo a aussi parlé du sébène lui-même qui, selon ses dires, « a commencé plutôt vers les années 1940 ». Et de poursuivre : « Grand Kallé a essayé de le jouer et de la petite partie dansante qu’elle constituait au départ, le sébène est devenu pratiquement une forme de composition musicale baptisée générique où la part belle est faite à la danse ».
S’approprier la rumba
Maïka Munan, à qui l’on donne d’ordinaire l’étiquette d’arrangeur, a fait savoir que ses compétences s’étendaient bien au-delà, à savoir qu’il était réalisateur. Et donc, à ce titre, il a expliqué : « Je chapeaute les productions, j’interviens en tant que musicien, je suis sur la plupart des instruments. Bien sûr, j’écris des arrangements mais je ne les fais pas sans être réalisateur. Lorsque je travaille sur les productions d’un chanteur, il ne vient qu’avec ses chansons et moi j’organise toute la production ».
Il s’est étendu sur son expérience professionnelle depuis l’aube de sa carrière à ce jour. Il a introduit son propos avec cette affirmation qui a laissé l’auditoire pantois. « J’ai un parcours qui est peut-être à l’opposé du vôtre. Je suis essentiellement un musicien autodidacte. Je suis allé apprendre la musique bien après que je suis devenu musicien professionnel. », a-t-il affirmé.
Les étudiants étaient ravis d’entendre cet expert au parcours plutôt exceptionnel. « J’ai eu la chance de travailler avec mes aînés, les gens de ma génération, les jeunes et les plus jeunes encore. J’ai donc une sorte de vue panoramique de l’évolution de la musique congolaise. », a confié Maïka Munan.
Si d’aucuns ont apprécié à sa juste valeur la teneur des exposés, Maïka, lui, s’en est encore plus réjoui estimant que « l’INA commence à sortir de sa tanière ». Il serait donc à présent en mesure de jouer suffisamment son rôle, soutient l’artiste, « de former les musiciens de demain voulus bien meilleurs que ceux du passé ».
Pour ce faire, le champ de la formation devrait être plus étendu. Ce qui, selon Maïka, reviendrait à ce qu’ils étudient la musique mais aussi tous les métiers qui gravitent autour pour en maîtriser les contours. « Je crois que l’on devrait même donner des cours sur les droits d’auteur, le management, etc., pour que l’artiste qui sort d’ici ne soit pas à l’image de leurs aînés qui étaient essentiellement des autodidactes », a-t-il suggéré.
Et de renchérir : « Le fait que l’INA sort de son classicisme pour aller vers le terrain et s’approprier cette rumba qui est essentiellement kinoise est une avancée. Mais il faut qu’il y ait un suivi et que tout ce qui a été dit soit mis en pratique ».
Music in Africa, portail de référence
Entre les exposés de deux professionnels de la musique, Michel Ngongo et Maïka Munan, l’assistance du jour avait tout aussi religieusement prêté l’oreille à celui du professeur Ribio Nzeza, vice-président de la Fondation Music in Africa. En effet, il fut d’un grand intérêt pour les jeunes musiciens et les professionnels présents.
Pour certains, l’expérience de la Fondation Music in Africa présentée par Pr Ribio Nzeza était une nouveauté. D’apprendre ainsi l’existence de cette plateforme, le nec plus ultra en matière de présentation de l’importante palette de la musique africaine, en a ravi plus d’un.
Qui plus est, insistant que « Music in Africa est le portail de référence pour les professionnels et les artistes et qu’il permet de connaître en temps réel les nouvelles tendances musicales sur le continent ». L’intérêt a été plus grand lorsqu’il a démontré les avantages et facilités offerts aux artistes congolais de se constituer une vitrine via le site. Il a souligné que, par-delà l’ouverture au monde, il permet, de manière efficiente, l’interconnexion entre artistes africains.
Depuis 2015, la Fondation Music in Africa organise avec ses partenaires locaux, notamment le bureau de liaison de Goethe-Institut Kinshasa, des ateliers destinés aux artistes, managers et professionnels du secteur musical.
Il apparait que le colloque scientifique organisé pendant le festival Rumba Parade était d’une importance capitale pour les étudiants et les professionnels de la musique congolaise.
« Il est crucial de restaurer l’histoire », a déclaré Maïka Munan. Avant d’ajouter : « Il faut que les gens écrivent cette histoire de la musique congolaise avec des données scientifiques. Il faut que tout ce qui a été joué intuitivement soit codifié. Il faut des partitions écrites de toutes les musiques que nous avons créées, pour pouvoir les transmettre sans distorsion, parce que ce que l’on transmet oralement finit par subir une distorsion. Et, au bout du compte, ce que l’on transmet n’est pas fidèle à la source ».
Article original publié le 19 décembre 2017 sur Adiac-Congo
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