Émergence et évolution du Mawal égyptien : une odyssée musicale à travers les âges
Le mawal, joyau de la musique égyptienne traditionnelle, a pris naissance au Moyen Âge dans les régions rurales du Delta du Nil, où il résonnait, imprégné de rythmes libres, à l'occasion de festivités et de moments marquants. Ce récit musical s'est épanoui au fil des siècles, devenant l'âme des mariages, des fêtes et d'autres célébrations à travers tout le pays.
Structuré en trois parties distinctes - introduction, développement et conclusion - le mawal offre une composition poétique mélodieuse inspirée des valeurs locales, des métaphores et des dictons populaires qui se dévoile comme une longue mélopée lyrique, se rapprochant des panégyriques religieux de la mystique soufie tout en abordant des thèmes amoureux. Cela se rapproche aisément de la Geste. En tant qu'expression musicale, il se distingue par sa grande expressivité. Porté par un soliste et souvent accompagné d'un orchestre composé de oud, du qanun, du nay et de la darbuka, il transcende les frontières de l'émotion, transmettant la joie, la tristesse, l'amour et la colère. Des icônes telles qu'Umm Kulthum, Mohamed Abdel Wahab, Abdel Halim Hafez, Sayed Darwish et Farid al-Atrash ont propulsé le mawal à la renommée mondiale, en le rendant indispensable à la culture arabe.
L’âge d'or
L'Age d'Or du mawal coïncide incontestablement avec la période où la légendaire chanteuse égyptienne Um Kalthoum a inscrit son nom de manière indélébile dans l'histoire de la musique arabe. Souvent surnommée "Kawkab al-Sharq" (la Planète de l'Orient), elle est née en 1904 dans le delta du Nil, a débuté sa carrière à un jeune âge et a rapidement attiré l'attention en raison de sa voix puissante et de son talent exceptionnel. Cependant, c'est dans les années 1930 et 1940 que sa carrière a atteint des sommets inégalés, marquant l'apogée de l'âge d'or du mawal.
L'une des caractéristiques distinctives d'Um Kulthum était sa capacité à interpréter le mawal avec une profondeur émotionnelle et une maîtrise technique incomparables. Sa capacité à exprimer une gamme variée d'émotions, à jouer avec les nuances de la mélodie et à improviser avec aisance pendant de longues performances live a élevé le mawal à de nouveaux sommets artistiques. Ses chansons emblématiques, telles que "Enta Omri" et "Al-Atlal", sont des exemples éclatants de la fusion parfaite entre le mawal et d'autres formes musicales.
L'impact d'Um Kulthum sur le mawal a été tellement significatif qu'elle a contribué à définir le genre, le propulsant vers une renommée internationale. Son héritage perdure, et de nos jours, de nombreux artistes s'inspirent encore de sa maîtrise du mawal et de sa capacité à émouvoir les auditeurs, introduisant une notion, ou plutôt une émotion, devenue inhérente à ce registre, il s’agit du "tarab", terme traduit littéralement par "enchantement" ou "extase", transcendant la simple appréciation musicale. Il représente un état émotionnel profond que ressent l'auditeur lorsqu'il est connecté de manière intrinsèque à la musique. Le théologien musulman Al-Ghazâlî (1058-1111) y fit mention.
Le tarab va au-delà des frontières matérielles pour toucher l'âme, créant une harmonie collective entre l'interprète et le public. Cette expérience immersive est souvent atteinte à travers différentes formes musicales, dont le mawal, où l'improvisation et les variations mélodiques amplifient l'expérience du tarab. Ces deux concepts, bien que distincts, convergent dans la recherche d'une connexion émotionnelle profonde à travers la musique. Le mawal devient ainsi l'un des moyens d'atteindre le tarab, de susciter cette extase musicale qui transcende le temps et l'espace à l'instar des chants mystiques du soufisme.
« Néo mawal » et bifurcations
Le mawal a subi par la suite une transformation significative à la seconde moitié du XXe siècle, sous l'influence des chanteurs cairotes qui ont imprégné ce genre de notes plus occidentalisées, parfois au détriment des longues progressions poétiques, privilégiant les chansons courtes à refrain. Au-delà de ses racines rurales, le mawal moderne, souvent qualifié de "néo-mawal", a connu une commercialisation florissante lors des mariages, fêtes et autres. Des artistes de cette nouvelle vague, tels qu'Ahmad Adawiyya et Shaaban Abdel Rehim, ont insufflé une modernité au genre tout en préservant son ancrage dans la vie quotidienne des classes laborieuses urbaines. Une évolution rendue possible selon l'anthropologue Nicolas Puig suite à « une urbanisation péricentrale et périphérique du Caire » conjuguée à un boom démographique. Il ajoute en ce sens qu'une « [] série d’innovations se diffusent, entraînant des modifications profondes au sein des musiques non-académiques. L’amplification, tout d’abord, permet d’établir un univers sonore électrifié qui tranche d’autant plus avec les sonorités acoustiques que des effets sont utilisés, notamment l’effet de réverbération qui donne une profondeur au son. »
Bien que la ligne entre les variétés sentimentales et populaires puisse être floue, le marché, les modes de promotion et de commercialisation, ainsi que les publics visés, sont des indicateurs cruciaux des réalités économiques pour les artistes du néo-mawal. Certains cherchent même à conquérir le marché panarabe de la variété sentimentale, malgré des disparités significatives. Ils doivent naviguer dans ces domaines pour s'assurer une carrière durable et réussie.
En parallèle à cette évolution, le mahraghanat a émergé comme une nouvelle frontière musicale. Souvent considéré comme une forme hybride de "néo-mawal", le mahraghanat est le fruit d'un croisement entre le style rural et les musiques citadines comme le trap et l'électro. Ce genre offre une plateforme unique d'expression, incarnant les réalités des classes laborieuses urbaines et servant de vecteur pour des sentiments politiques esthétisés avec un prisme "décadent" et résolument moderne. Si la frontière entre ces deux expressions musicales a pu sembler floue lors de l'avènement du genre mahraghanat, désormais l'industrialisation, ainsi que les publics ciblés, reflètent des enjeux économiques cruciaux qui y sont liés. Les artistes du mahraghanat, tout en cherchant à accéder au marché panarabe, se heurtent à des disparités significatives, voire à des censures et sanctions.
Si le mawal, comme forme usitée lors de son Age d'Or, semble s'être figé offrant une interprétation dite classique, désuète et nostalgique, son évolution du traditionnel au contemporain témoigne de la diversité et de la richesse continues de la musique égyptienne à travers les siècles, où chaque note résonne comme une mémoire vivante de son histoire musicale. Des artistes émergents intègrent des éléments nouveaux, le fusionnant avec des musiques contemporaines, ce qui contribue à élargir son audience.
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