Musique sénégalaise : Musik Bi a fait un bilan
Musik Bi a tenu un atelier le 27 février 2018. La rencontre avait plusieurs buts : dresser un état du secteur de la musique au Sénégal et passer en revue ses trois principaux axes que sont la production, la promotion et la distribution.
Pour chacun de ces points, il a été choisi d’aborder le sujet à trois niveaux : d’abord faire un état des lieux, ensuite identifier les contraintes et enfin proposer des solutions.
Les participants étaient des entrepreneurs culturels tels que Moustapha Diop le directeur de Musik Bi, Luc Mayitoukou ; des chanteurs tels qu’Abdou Guité Seck ; des responsables de structures de gestion collective telles que la SODAV ; des producteurs tels que Ngoné N’Dour et des représentants du gouvernement et d’organismes culturels internationaux tels qu’Aziz Dieng.
Haro sur le cumul des métiers !
Globalement, l’ensemble des participants se sont entendus : d’abord sur le fait que les métiers de la musique ne sont pas clairement définis au Sénégal. Ce cumul de plusieurs casquettes finit par créer d’énormes problèmes.
« Il n’y a pas d’éditeurs de musique au Sénégal, je dis bien éditeur car c’est un métier spécifique différent de producteur » a expliqué Aziz Dieng.
Expliquant le métier d’éditeur de musique, Aziz Dieng a précisé que : « c’est un acteur culturel ayant un carnet d’adresses important grâce auquel il peut valoriser l’œuvre des artistes musiciens »
Le nombre élevé d’artistes s’autoproduisant est une autre spécificité de l’industrie musicale sénégalaise relevée par la présidente du conseil d’administration de la SODAV et directrice du label Prince Arts Ngoné N’Dour.
« La tendance à l’autoproduction n’est pas une spécificité sénégalaise » a précisé Luc Mayitoukou. « S’autoproduire n’est pas un problème si l’on apprend ces métiers ».
Aziz Dieng a annoncé que l’État sénégalais travaille sur le lancement d’une licence de producteur de spectacle. Cela permettra de professionnaliser les acteurs.
Quelle imposition pour les entreprises culturelles ?
Ensuite, le débat a porté sur la fiscalité. Il faut modifier la loi sénégalaise pour alléger la fiscalité des entreprises culturelles, a plaidé Ngoné N’Dour. S’exprimant en tant que patronne de Prince Arts, elle a pris un exemple pour illustrer le faible respect que la population a pour les œuvres de l’esprit : « dans la rue, vous ne verrez personne vendre des fausses cartes d’unités de téléphonie mobile. Pourtant dans tous les carrefours de la capitale sénégalaise, vous verrez des marchands ambulants proposer des CD et des DVD piratés ! C’est un scandale ! » A-t-elle conclu; selon elle, la faillite des maisons de production s’explique par ce laxisme érigé en mode de vie au Sénégal.
« Comprenez bien une chose ! » a lancé le directeur des arts Abdoulaye Koundoul « l’État ne renoncera jamais à des recettes fiscales si les artistes ne s’unissent pas pour plaider pour la mise en place rapide de mesures d’exonérations fiscales »
Abdoulaye Koundoul a par ailleurs rappelé qu’il y a déjà eu au Sénégal le « projet de coordination des entreprises culturelles ». Luc Mayitoukou était un des collaborateurs, mais ce projet n’avait pas produit les résultats escomptés.
Téléphonie mobile : forces et faiblesses
S’exprimant en qualité de directeur de Musik Bi, Moustapha Diop a dit qu’au Sénégal, le taux de pénétration du téléphone mobile est de 115%. Autrement dit, chaque habitant de ce pays a au moins 1 téléphone et demi.
Autre information donnée par la même source : « aujourd’hui, la musique est plus regardée qu’écoutée ».
Ce décor planté, Moustapha Diop a déploré que les opérateurs de téléphonie mobile « prélèvent jusqu’à 70% du prix d’une chanson achetée par sms. C’est excessif ! L’État doit intervenir ! Nous avons plusieurs fois écrit à l’Agence de Régulation des Télécommunications et des Postes (ARTP) pour demander que le taux prélevé par les opérateurs de téléphonie mobile soit plus faible et fixé administrativement. Hélas, nous n’avons jamais eu de réponse ! »
Autre problème évoqué : les opérateurs de téléphonie mobile ne reversent les recettes des téléchargements légaux qu’à la fin du mois alors que les plateformes de vente en ligne paient les artistes chaque fois qu’ils le demandent.
Prenant la parole sur ce sujet, Ngoné N’Dour a expliqué que les sociétés de téléphonie mobile prélèvent « 75% du montant d’achat des chansons vendues comme tonalités d’attente communément appelées Dalal Tones au Sénégal. Nous avons écrit à Abdoul Aziz Mbaye, le conseiller en Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC) du président de la République Macky Sall pour solliciter l’intervention de l’État afin que les artistes puissent vivre de leur art, mais nos lettres et notre plaidoyer n’ont pas encore produit d’effets ».
Reprenant la parole, le directeur des arts Abdoulaye Koundoul a estimé que « les artistes doivent faire un plaidoyer destiné aux populations en utilisant des termes qui vont toucher les gens. Par exemple il faut dire que 75% de prélèvement c’est du riba (terme islamique désignant de l’argent acquis de façon illicite, pratique proscrite par cette religion majoritaire au Sénégal) ».
La corruption dans les médias, un autre grand problème !
L’artiste Julio l’Absolu a dénoncé le fait que certains animateurs d’émissions musicales radiodiffusées exigent de l’argent pour diffuser des chansons.
L’auteur de l’album Urgences a souhaité que l’obligation de diffuser un volume déterminé de musique sénégalaise soit imposée aux médias locaux dans le cahier des charges à respecter pour avoir l’autorisation d’ouvrir un organe de presse.
« C’est à cause de cette corruption que vous avez des artistes mineurs, voire amateurs tels qu' Ouzin Keita plus souvent présents dans les médias que des auteurs-compositeurs confirmés » s’est indigné Abdoulaye Koundoul.
Conclusion
« Certains artistes se réjouissent lorsque leurs œuvres sont piratées car cela leur fait de la promotion » a lancé un des jeunes rappeurs présents lors de ce panel.
« Faire la promotion ce n’est pas prostituer son œuvre » a rétorqué le conseiller juridique de la SODAV. Lors de ce panel, des projets de formation pour la professionnalisation de l’industrie musicale sénégalaise ont été annoncés.
Le mouvement Hip Hop a été présenté comme un exemple car ses membres se sont adaptés aux NTIC.
À propos des NTIC, le groupe Maabo a été cité comme un exemple d’adaptation « ils ont compris que les albums ne génèrent plus de revenus, aussi ils sortent un single tous les trois ou six mois, cela leur permet d’exister médiatiquement et de toucher le public qui consomme la musique sur YouTube »
Clôturant les échanges, Moustapha Diop de Musik Bi a indiqué que ce panel se tenait pour le 2e anniversaire de la plateforme de vente en ligne. La prochaine rencontre d’échanges sur des thèmes importants de la musique sénégalaise se tiendra dans trois mois, peu avant la fin du mois de mai 2018.
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