Fragile : Lydol brise son mur de glace
Deux ans après son dernier album, l’artiste a dévoilé de façon inattendue un nouvel EP le 1er mars 2024 nommé Fragile, composé de 6 titres. Naviguant entre les époques, il est avant tout, un disque introspectif pour la slameuse, qui se saisit de l’occasion pour lever le voile sur un coté intimiste de l’être humain : les émotions. La chanteuse se tourne vers une nouvelle destination. Analyse.
Nwafo Dolly Sorel de son vrai nom, ne sait pas faire les choses à moitié. Nous sommes le 6 février 2024, à 7h23 minutes, lorsque Lydol s’avance innocemment sur une ruelle canadienne, et fait une annonce qui marque le naturel, et la spontanéité, et ce, en une minute et dix secondes. Dans sa poche, elle présente ses deux précédents disques (Slamthérapie et Hybride) avant de poser les mots tels qu’elle sait le faire. En marge de ce moment unique, ce qui attire mon attention, ce n’est pas son traditionnel look en dreadlocks, non. C’est le fond sonore qui l’accompagne, qui d’ailleurs est le morceau qui porte le mini-album, la piste Une.
Du Ying et du Yang
Sur la pochette duochromique, en noir et blanc, j’aperçois la meilleure artiste féminine de musique Afro urbain aux Canal d’Or Acte 14, les yeux fermés, en mouvement de chute. Si l’on regarde la prise de face, on voit l’artiste entrain de tomber, par contre, si l’on regarde de profil, on voit la chanteuse comme adossée sur un tablier invisible. L’effet recherché par l’équipe photographique est nette, car cette pochette suscitera des interrogations plus ou moins légitimes sur les réseaux sociaux. La couleur noire symbolise ici la puissance, mais c'est aussi l'obscurité, l'absence de lumière, crainte ultime d’être vulnérable au regard de ses émotions. Le blanc choisi également signifie une forme d’'innocence, la simplicité, de l'inexistant et de l'immatériel. Ces deux couleurs ne sont donc pas prises au hasard car leur symbolique pour l’EP épouse une forme d’équilibre émotionnel, une opposition nécessaire un peu comme le bien et le mal.
Le disque s’ouvre par « Lionne Louve et Lièvre », chanson produite par Teddybeatz, un talentueux arrangeur camerounais connu (Il a notamment fait des tips auprès de Krys M et de nombreux autres artistes). Le titre démarre par 7 secondes de guitare ultra bass en arrangement, puis 7 secondes de batterie, avant une entrée en matière vocale agrémentée de rifts étranges, sous un air sahélien, de griot à la Djeli Moussa Condé ou Bamba Groove. Lydol est allée péchée de ces influences aux confins de son séjour malien, burkinabè et sénégalais en 2022. Sur cette track première, elle célèbre la femme multi facette, qui sait se dresser face aux contingences du monde. D’ailleurs, la symbolique du titre est un profond miroir entre le rôle protecteur de la louve, la force d’une lionne, et la discrétion du lièvre.
Le clip lui, qui cumule à plus d’un million de vues, est une production visuelle à part entière, qui mêle interprétation théâtrale, et performances chorégraphiques, je dirai même scénographiques. Dans cette case, plusieurs créatifs se sont impliqués notamment Lecris Mila à la réalisation, Ekie Bozeur au mastering, Afrokrema aux accessoires, ou encore David Fanaged pour les costumes.
Le voyage immersif
« Liè Wòn Ñgyê » est la deuxième piste, plus dansante, me conforte à l’idée que la chanteuse et slameuse mise sur le parallélisme musical à travers l’usage en arrangements de la guitare, pour une mélodie qui y mêle les sombreros du Mexique, la pop, et l’afrobeat. Entre ruptures amoureuses, douleurs psychologique, « goumin » comme on dit en local, le message est que chaque humain a un cœur, et qu’il est nocif de jouer avec les sentiments. « Katerina » lève le voile sur la dépression et la pression sociale exercée sur les femmes, en rapport avec le mariage, l’hypothèque parfois de son avenir, une liberté limitée ou dissimulée sous des prétextes supra sociales néfastes. Alors, elle fait appel au « Temps » pour être l’ultime guérisseur des blessures, des plaies profondes. Un titre particulièrement personnel pour l’artiste, quand on réalise une extrême solitude face aux souffrances.
De cette quatrième chanson, Lydol étonne par le choix non linéaire signé d’Andjamy à la production, avec des ingrédients de variété française, de mélo-pop via les changements phonographiques. Une magie qui peut être sublimée en live, par du violon, et du piano, et Lydol à la voix en toute simplicité. « Is She Me » le cinquième titre rentre dans ce couloir à la fois moderniste et traditionnaliste par l’usage de l’anglais, du pidgin, pour une teinte très Folk, avec des artifices hérités du Njang de la région du Nord-Ouest Cameroun, magnifié par de belles notes de piano. « Ecstasy » me rassure sur le respect d’une direction artistique assumée par Lydol. A l’écoute sur cette dernière chanson, je croirais entendre un mélange de Simi, Foxy Brown, et de Lil Kim en miniature.
En conclusion, les sonorités de ce mini-album, sont plus audacieuses que sur Hybride et le ton est à l’introspection. Lydol a su entretenir la magie à travers plusieurs spectacles Live dans les villes de Douala, Yaoundé et Garoua en Mars 2024. Le disque alterne des ballades torturées et des morceaux plus pop, afrobeat et pleines de couleurs, on y ressent de la recherche, et de la perspective.
Lydol ouvre ainsi le disque avec une guitare acoustique, et un chant murmuré, presque pleuré avec les cœurs Cindy Vox, Evina, ou encore César Baboule. Si la fragilité se conjugue ainsi en musique, c’est parce que l’artiste regarde plus loin, et expérimente des formules qui sortent de l’ordinaire. La force du slam transforme une voix et une vie, pour mettre de l’encre dans une existence qui ne nous apparient plus complètement. L’être humain, longtemps catalogué par ses émotions, doit comprendre que parfois les imperfections cachent une forme de beauté : L’humanisme. Car que serions-nous si nous étions dénués de tous sentiments ? La fragilité en force et faiblesse, il est plus qu’urgent de percer le mystère quand des mains sont tendues : C’est exactement ce que Lydol essaie de conter en africanités. Et si « Fragile » cachait une fleur sonore plus belle ? L’aventure se poursuit pour un EP digeste et immersif, pour qui je donne une note de 10/10.
Année : 2024
Artiste : Lydol
Label / Organismes : Cité Internationale des arts de Paris/ Institut Français
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