Gumbe, musique populaire de Guinée-Bissau
La Guinée-Bissau s’est nourrie culturellement de ses diverses composantes ethniques : Manjaque, Mandingue, Mancagne, Balante, Diolas, Baïnouk, Badiaranké, Soussou, Baga, Papel Landoma, Bayot, Tenda, Bijago, Peuls, Floups, Pkumel, Koniake ou encore Nalu…
Origine
Style musical très rythmé d'Afrique de l'Ouest, le gumbe (goumbé), nom aussi de la danse et de l’instrument, a été originellement pratiqué en Guinée-Bissau par les « lambats » (les griots), qui s’accompagnaient alors de tambours gumbe, de sico, de palmas et de tina (une calebasse creuse renversée dans un récipient cylindrique rempli d’eau).
Musique traditionnelle d’origine animiste, à la fois entraînante et chaleureuse, le gumbe de la Guinée-Bissau est aussi un chant dédié aux génies tutélaires. Il accompagne tous les évènements de la vie sociale (naissance, mariage, décès, circoncision…). C’est aussi un moyen de communication entre deux villages rapprochés. Le gumbe est également présent en Sierra Leone, en Gambie et au Sénégal.
Les pionniers de la modernisation
Les prémices de la modernisation du gumbe remontent à la fin des années 1960 avec Cobiana Jazz (ou Cobiana Djazz), un groupe fondé en 1969 par de jeunes musiciens, dont les auteurs-compositeurs Ernesto Dabo, Aliu Barry et José Carlos Schwartz. Surnommés « les voix du peuple », ils font tous trois partie d’un mouvement culturel contestataire, et sont considérés comme des rebelles par le gouvernement portugais d’António de Oliveira Salazar
Considéré comme l'un des plus grands groupes du pays, Cobiana Jazz développe de l’afro-pop tiré des sonorités du terroir, gumbe, koussoundé, brassa et nalou, agrémenté de kizomba (rythme cadencé d’Angola), de jazz, de soul ou de funk. Ces artistes engagés militent pour l'indépendance de leur pays, incitant dans leurs textes chantés en créole portugais, les Bissau-guinéens à la résistance anticolonialiste.
Exilé au Portugal, le groupe acquiert bien vite une immense réputation dans les pays lusophones, grâce notamment à une invitation en 1971 à la RTP (Radio-Télévision du Portugal). Cobiana Jazz retourne en 1974 au pays pour célébrer le premier anniversaire d'indépendance de la Guinée-Bissau acquise le 24 septembre 1973.
Ernesto Dabo forme au début des années 1970 le groupe Djorson, avec Gregório de Almeida a.k.a. Gundas et les frères Duko et Zeca Castro Fernandes. Avec cette formation, il enregistre à Lisbonne le premier disque de l’histoire musicale bissau-guinéenne, M'ba Bolama. Cette réalisation, considérée comme l’opus annonciateur du gumbe moderne, vaut à Ernesto Dabo le titre de précurseur du genre. Il composera de nombreuses chansons et collaborera avec divers artistes, tout en poursuivant des études de droit international.
Aliu Barry, après des études à Cuba de 1976 au 1978, est nommé directeur des Arts et des Scènes (1978-1980) de Guinée-Bissau. Les années 1990, voient le militant Aliu Barry rejoindre la Ligue Bissau-guinéenne des Droits de l'Homme (LGDH). Formateur de nombreux jeunes musiciens bissau-guinéens, Aliu Barry se retire ensuite de la vie publique pour devenir agriculteur. Il décède le vendredi 19 Juillet 2013, des suites d’une longue maladie.
Quant au poète polémique et prolifique José Carlos Schwartz, né le 6 décembre 1949, il meurt le 27 mai 1977 dans un mystérieux accident d'avion près de La Havane (Cuba), alors qu’il est diplomate à l'ambassade de Guinée-Bissau à Cuba.
Les années 1970/1980
Dans les années 1970, de nouveaux groupes et artistes vont contribuer à la popularisation du gumbe, apportant chacun leurs propres couleurs musicales, et dénonçant dans des textes engagés et réalistes, les problèmes sociaux et politiques.
- Nkassa Cobra
Groupe fondé au tout début des années 1970, Nkassa Cobra se singularise par son indépendance et ses adaptations du gumbe traditionnel aux parfums kizomba. À la fin des années 1970, Nkassa Cobra était composé de Djilys Mamô (batterie), Tadeu Banana (percussions), Pwkw Gonçalves (basse), Joao « Djon » Motta (guitare solo), Baba Djalô (guitare accompagnement), Ze Augusto « Codê » (voix), Nene Tuty (voix) et Naka Ramiro (lead vocal).
Au bout de 15 années d’exploration du goumbé traditionnel, Nkassa Cobra sort l'album Naka& N'Kassa Cobra Vol. 1 (100% Goumbé). Après les départs de Naka Ramiro et Nene Tuty, le groupe, rejoint par le percussionniste Lile Son, enregistre Lundju (label Lusafrica), un album de fusion fidèle au rythme gumbe.
- Super Mama Djambo
Fondé en 1973 par Adrian Atchuchi, Super Mama Djombo représentait la première identité musicale de la Guinée-Bissau indépendante. Cette formation dont le nom fait référence au dieu protecteur des guerriers, a débuté dans les mariages et les fêtes privées dans la région de Bissau. Le pays alors sous domination coloniale portugaise lutte pour son indépendance : le PAIGC d'Amilcar Cabral engage une lutte de libération dans les zones rurales aussi bien que dans les villes dès 1959.
En 1974, Super Mama Djombo, composé de jeunes musiciens amateurs dont Armando Pereira, Wye Sissoko (percussions) et Ze Manel (guitare), trouve en son leader Adrian Atchutchi, celui qui va leur apporter un souffle militant et du professionnalisme. Il fusionne divers rythmes du pays (gumbe, musique mandingue, sonorités créoles) à de la kizomba angolaise, le tout chanté en créole portugais. Leur succès est immédiat avec le tube « Pamparida », une adaptation d'une chanson populaire à destination des enfants, diffusée en boucle à la radio.
À la sortie en 1978 de l'album Na Cambança enregistré à Lisbonne (Portugal), le groupe tourne en Europe et en Afrique. En 1986, il se disloque, laissant une forte contribution à la naissance d'une culture nationale et indépendante. Le groupe se reforme en 2012 pour une tournée européenne.
- Naka Ramiro
Fils d'un fonctionnaire qui le traîne aux quatre coins du pays, Ramiro Gomez Dias aka Ramiro Naka, né en 1955, glane sans le savoir tout ce qui influencera sa future vocation musicale : musique peule, malinké et mandjak, sans oublier les accents du créole portugais. Formé à plusieurs disciplines dont le chant initiatique, il rejoint à 17 ans le Cobiana Jazz et délaisse les études au désespoir de son père.
Par la suite, il intègre comme lead vocal Nkassa Cobra, alors groupe phare du pays. S’inspirant de ses diverses influences, il entame une carrière solo et lance le gumbe blues créole, un concept au carrefour du blues et des sonorités traditionnelles, enrichi du swing et du gumbe. Sa musique est un savant mélange d’influences africaines, de fado, de samba et même de rap. Fondateur de l’association Na kasa darte et d’un festival à Bissau, Ramiro Naka, dit le « roi du gumbe », est aussi comédien, conteur et peintre...
Mais aussi…
De nombreux groupes et artistes intégreront le gumbe dans leurs créations musicales : Tabanka Djaz (gumbé, fado, samba, morna, coladeira, kizomba), Sido (gumbé, koussounde, kizomba, bossa nova, rumba, zouk, salsa), Manecas Costa (gumbe acoustique), Binhan Quimor (gumbe, tina), Justin Delgado (gumbe-pop), Patcho de Lima (le bad boy du gumbe-rap), Domingo Gonçalves aka Pwkw (référence de la basse gumbe) ou Maio Coope (gumbe-jazz).
Les femmes et le gumbe
Après l’indépendance, les femmes commencent à s’imposer dans la musique, comme la pionnière Dulce Neves, chanteuse du Super Mama Djombo. Depuis 2000 une nouvelle génération de femmes comme Tchuna Barry, fille d’Aliu Barry ou Zalyka (entre jazz, gospel, blues, afro- folk, gumbe) s'impose.
Discographie
_ CD1 – José Carlos Schwartz et le Cobiana Jazz Vol. 2 - 1978 – Label : Sonafric
_ CD2 - Naka& N'Kassa Cobra vol.1 (100% Goumbé) - 2007 - Label : N'Kassa Cobra Production
_ CD3– Ar Puro (Super Mama Djombo) – 2008 - Label : Smekkleysa
_ CD4 – Gumbe Blues Kréol (Ramiro Naka) - 2009 – Label : Na kasa darte
_ CD5– Udjus di Mininus (Dulce Neves) - 2016 - Label : DulceN eves Prod.
Références
_ Livre : Musiciens africains des années 80 par Nago Seck et Sylvie Clerfeuille – Editions L’Harmattan - 1986
_ Livre : Les musiciens du beat africain par Nago Seck et Sylvie Clerfeuille – Préface de Jack Lang – Editions Bordas - 1993
_ Exposition + livret + compilation : Les grandes figures des musiques urbaines africaines - Editions Afrique en Créations - 1996
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Édité par Lamine BA
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