La politique et la musique en République démocratique du Congo (1)
Y aurait-il un lien entre la politique et la musique ? Découvrez comment les musiciens ont influencé la scène politique avant et après l'indépendance du Congo-Kinshasa.
Par Dadou Moano
La République démocratique du Congo est le berceau de la rumba congolaise, un genre musical ayant une filiation avec la rumba cubaine. La rumba congolaise est le fruit d’une évolution qui s’est échelonnée de 1890 à 1898 avec les travaux du chemin de fer entre Matadi-Kinshasa qui a rassemblé des ouvriers étrangers (plus ou moins 6 243 travailleurs étrangers dont 4 559 de l'Afrique Occidentale britannique).
La rumba congolaise s’est construite avec plusieurs influences, elle s’est révélée comme étant un éclectisme musical qui mêle du folklore interne, aux apports européens, ouest africains, et cubains. Kinshasa la capitale est véritablement l’épicentre de la rumba congolaise qui a réussi à conquérir l’Europe, les Etats unis, et l’Asie.
C’est une musique qui a eu toute son importance dans la vie sociale des Congolais, elle a connu au fil de l’histoire de très fortes interactions avec la politique, au point de se transformer, parfois, en outil de combat entre le peuple et le pouvoir.
La rumba congolaise a donc cheminé avec l’état congolais sur la période prénatale de cet état, la période coloniale, la période post colonial, la haute dictature, post Mobutu, jusqu’à nos jours. Il y a donc eu des grandes interfaces entre le monde musical et le monde politique.
L’Etat en guerre contre les influenceurs
La période coloniale caractérisée par une politique de « soft apartheid », un apartheid « doux » conparé à celui qui sévira en Afrique du Sud, mais strictement appliqué. L’état contrôle aussi la culture les médias (diffusion, censure, spectacles, journaux, etc.) en vue d’éviter que la population noire capte des messages susceptibles de la soulever contre le colon belge.
Le pouvoir colonial est donc très attentif sur tous les influenceurs et les leaders d’opinion. Le musicien Adou Elenga est le premier musicien à en faire le frais avec sa chanson considéré comme engagée « Ata ndele mokili ekobaluka » dont la première version interprétée dans les années 40, fut perçue comme subversive par le pouvoir colonial parce que dans cette chanson, ce dernier émettait le vœu de voir le monde « changer », dans un contexte politique où le désir de la liberté donc de l’indépendance devenait de plus en plus fort dans la population. La chanson lui valut un séjour en prison.
La chanson d’Adou Elenga captait aussi l’attention des kimbaguistes, les membres d’un mouvement religieux puissant qui croyaient au message de leur prophète Simon Kimbangu qui disait « Mondele akokoma moyindo, moyindo akokoma mondele » que l’on peut traduire par « le blanc deviendra noir, et le noir deviendra blanc, pour prédire les changements sociaux et politiques anticipés.
Certains de ses disciples donnèrent à ce message une coloration anticolonialiste, ce qui inquiéta les autorités belges qui arrêtèrent Kimbangu. Celui-ci meurt en prison des années plus tard.
Après trente-cinq ans de persécutions et de clandestinité, le kimbanguisme sort de l'ombre sous l'influence des fils de Simon. À la veille de l'indépendance du Congo belge (1960), sa branche « officielle » devient l'Église de Jésus-Christ sur la terre selon Simon Kimbangu (E. J.C.S.K.), se structure et grandit, regroupant plusieurs centaines de milliers de fidèles au Congo-Kinshasa et dans la région de Brazzaville J.C.S.K.). Elle est la première Église noire à être admise au Conseil œcuménique des Églises (1969).
Un autre géant de la rumba congolaise Antoine Wendo interprète, « Marie-Louise », une composition de son ami Bowane, un tube à succès qui a été qualifié de sataniste par l'Église catholique qui à l’époque, était le bras séculier du pouvoir colonial. L’artiste qui était catholique fut excommunié, et a eu des soucis avec la police. Sa carrière fut fortement entravée par la suite.
Il faut dire que l’Église était l’espace par excellence de l’encadrement des chanteurs, les paroisses jouaient un rôle prépondérant dans l’encadrement de la jeunesse pour que celle-ci ne succombe pas à la musique « mondaine » qualifiée de musique de voyous et de délinquants,. Les chansons avec des thématiques sur l’amour, l’alcool, etc. N’étaient pas « du tout catholique » selon les religieux. Des élèves étaient exclus des écoles par le simple fait d’avoir fredonné des tubes musicaux.
Avec la commercialisation, des phonographes et des postes radio, l’apparition des groupes et des éditeurs musicaux, le développement de l’industrie musicale prend son essor, et l’audience augmente. À côté de cela, le milieu des noirs s’organise autour des mutualités et des associations, la musique y trouve un bon terreau. Des rencontres de loisirs cohabitent, se font aussi des salons politiques et des foras qui assemblent ceux qui veulent s’émanciper, ceux qui souhaitent voir arriver « le lipanda » (l’indépendance).
Des mouvements panafricains s’organisent, le vent de la décolonisation souffle sur l’Afrique, le Congo le sent également. Un courant musical congolais apparaît aux côtés de la musique dite panafricaine. L’élite congolaise notamment les « évolués », ces Congolais considérés par le pouvoir colonial comme « civilisés ».
Le statut d’ « évolué » était obtenu à l’issue d’un véritable parcours du combattant : des inspecteurs venaient s’assurer de la propreté de l’habitat, de l’usage de couverts et de vaisselle, de la composition de la famille monogamique, de l’hygiène de la maison.
Ces personnes étaient généralement instruites, et le milieu noir les considérés comme une classe supérieure, ils étaient des leaders d’opinion. Cette classe était en symbiose avec le milieu musical, et tous appelaient de tout leur vœu « la liberté ».
Quand les plus belles voix congolaises côtoient les pères de l’indépendance
Entre 1956 et 1959, les revendications sociales sont de plus en plus fortes, les noirs exigent de pouvoir exercer leurs droits civils, réclament une plus grande autonomie, dans la crainte d’une rébellion violente, le pouvoir colonial annulent certaines de leurs lois les plus répressives et autorisèrent provisoirement la formation de syndicats et d’organisations civiques.
Ils lèvent les couvre-feux en fonction de leur niveau d'alerte, mais cela n’impactent pas les festivals, bars et clubs : les Congolais s'y rencontrent, y parlaient politique, s'y transmettaient des messages, créaient et défaisaient des alliances. Toujours mal vu par le pouvoir colonial, les musiciens congolais approchent les politiques congolais. Joseph Kabasele dit Grand Kallé rencontre Patrice Lumumba grand, fanatique de la rumba, ils se lient et bavardent longuement en compagnie de Pascal Tabu Ley. En 1958, le MNC, dirigé par Lumumba, fait officiellement son entrée sur la scène politique et appelle à une nation unifiée.
Les musiciens sont dans cette période des alliés inconditionnels des jeunes politiques. En 1959, des émeutes enflamment Léopoldville et d'autres villes, avec derrière ces mouvements les grandes structures politiques rivales. Les autorités réagissent, ils emprisonnent Lumumba et Kasavubu ainsi que d'autres instigateurs, mais avant la fin de l'année, le gouvernement belge annonce qu'une table ronde sera organisée à Bruxelles avec les leaders congolais, au début de l'année suivante pour discuter des modalités l’indépendance.
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