Aficionado, nouveau projet du luthiste marocain Alaa Zouiten
Le joueur du oud (luthe) s’installe à Berlin en Allemagne en 2009 et monte une première formation généreusement cosmopolite.
- Alaa Zouiten
Adepte des métissages réfléchis, le musicien compte parmi les luthistes les plus doués de sa génération. Aficionado est l’intitulé de son nouveau projet à paraître en mai. Une célébration omniprésente de trois grandes traditions musicales : le flamenco, la musique arabo-andalouse et le jazz. À travers les pièces qu'il a récemment composées à Grenade en Espagne, Aficionado plaide pour un environnement acoustique transculturel dans lequel les trois styles se mélangent naturellement et facilement. Un « fandango » peut ouvrir la voie à une ancienne chanson de la « nuba » andalouse, un « tango » peut sonner nord-africain rythmiquement et jazzy harmoniquement, ou un « samai » arabe peut conduire à une « solea flamenca ». Les frontières tombent et dégagent l'horizon pour une expérience musicale solennelle dans laquelle les musiciens ne font plus qu'un avec le public. Ainsi, généreux et classieux, Alaa Zouiten tutoie le nirvana les pieds sur terre.
À le voir évoluer, à l’entendre parler, à l’écouter jouer, on est frappé par un sens déconcertant de l’humilité. Son parcours, cousu main, dévoile un personnage en paix avec ses choix faits non sans risques. Dans son esprit, sa meilleure réalisation est celle à venir. Son répertoire jongle avec diverses sonorités. Cela le rend-il universel ou atypique ? « A force d’essayer d’être universel, j’ai fini par devenir atypique. Et c’est tant mieux. Je préfère être atypique et proposer des choses nouvelles que de courir après une universalité utopique. » Et c’est avec flegme qu’il tisse sa toile.
Son dernier opus en date, enregistré en 2015 et paru en 2017 est joliment baptisé Talking Oud. Il en parle comme d’un acte fondateur : « Avec le recul, je considère cet album comme un projet initial dans lequel l’oud a pu s’exprimer différemment à chacune de ses pièces. » Visiblement, cet album où pratiquement tous les riffs sont permis ouvre un boulevard devant le luthiste : « Après Talking Oud, je me suis mis à explorer un autre univers, celui du flamenco arabisant. J’ai effectué un voyage à Grenade. J’y ai joué avec des musiciens de la région, essayant de comprendre leur essence musicale, leur trame socioculturelle. J’ai plongé corps et âme dans leurs différentes nuances artistiques. Je mets ainsi en phase ma culture arabo-andalouse et mon ‘nouveau patrimoine’ purement flamenco. » Ce doux rêveur est passablement un cas clinique.
Il quitte sa formation de médecin, après cinq bonnes années d’études, pour la moitié d’une poire, le luth en l’occurrence. « J’ai contracté ce virus avec mon cousin, bien plus âgé que moi. Il en jouait face à un curieux désireux d’en faire autant. Je l’ai supplié et il accepté au bout d’un moment de me lancer sur un classique du patrimoine marocain. Non seulement je me suis appliqué dès les premières notes, mais j’ai surfé sur la suite de la mélodie. » Un baptême ? Peut-être bien. Le luth, Alaa Zouiten en pince depuis l’enfance. Dans la tête du bambin, les sons s’entremêlent. Sa famille fassie paternelle le gave de musiques égyptiennes et andalouses, sa famille casablancaise maternelle le nourrit de aïta et de chaâbi.
Avec l’aide de ses parents, il intègre une association culturelle dans la ville de Youssoufia où il rencontre un pédagogue qui fait de l’ombre aux professeurs du conservatoire de musique de Marrakech que Zouiten fréquente plus tard : « Il était d’une générosité exceptionnelle. Grâce ou à cause de lui, j’ai commencé à trouver lourds les cours du conservatoire. » Une fois ses études de médecine balayées, Alaa se tourne vers la vie nocturne de Marrakech : « Je me suis jeté dans les bras de sa scène musicale, écumant des bars et des clubs infernaux. Bizarrement, je ne jouais qu’avec des musiciens de rock-blues, de flamenco ou de la variété internationale.
En 2007, j’ai fait la connaissance du guitariste Jbara qui m’a pris dans son groupe jusqu’en 2009. C’est grâce à lui que j’ai compris la puissance des musiques traditionnelles marocaines. Jbara band était pour moi un laboratoire créatif de métissage de plusieurs styles : rock, gnaoua, reggae, musique amazighe… Avec lui, on répétait jour et nuit. En l’accompagnant dans différents festivals, j’ai pu aussi croiser la mouvance Nayda, les débuts de la nouvelle scène musicale marocaine. Parallèlement à cette belle expérience, je ne pensais qu’à prendre l’air, quitter le pays vers des horizons plus vastes. » Alaa Zouiten décide alors de prendre des cours d’allemand.
Fin 2009, le voilà à Berlin. « J’y ai rapidement monté une formation solide, regroupant des musiciens de différentes sensibilités. Rien n’était établi à l’avance. Le hasard fait souvent bien les choses. » Aujourd’hui, le nom de ce médecin urgentiste de l’oud brille dans une scène underground sophistiquée. Outre ce beau parcours, Alaa Zouiten développe une philosophie qui bannit le doute : « Le jour où je me sentirai comblé musicalement, je mettrai fin à ma carrière. »
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