Agadez à l’heure du hip-hop et du dance hall pour la Paix
- Par Françoise Ramel
Où mieux qu'à Agadez, la thématique de la 4e édition du Festival Sahel Hip Hop et Musiques du Monde pouvait trouver à incarner une réelle volonté collective de passer des messages d'espoir à la jeunesse africaine et un signal fort à l'intention des autorités nationales et internationales ?
Partie de Niamey (Niger) le 22 avril, au lendemain du concert de Sahel Hip Hop et du Forum Mondoblog Afrique organisés à Blue Zone, la caravane culturelle pour la paix a permis de faire entendre au Sahara les voix de la grande chanteuse nigérienne Fati Mariko, accompagnée de son fils Kitari, de Maasta MC, du slameur Amagbegnon Eklou, de l’incroyable Nomiis Gee, de Toufiq Ennouri et celle de deux étoiles montantes du dance hall, Queen Rima et Beezy Beezy.
La lauréate 2018 des Tamani d'or, Angie Tonton, était aussi du voyage, un périple de deux jours harassants. L’état de la route témoigne à lui seul de l’isolement et de l’état de sous-développement de cette région désertique frontalière de l’Algérie. La rencontre avec les habitants à chaque escale a permis de passer les messages de la caravane de façon simple et spontanée, en musique.
Angie par exemple pourrait réussir une belle carrière aux Etats-Unis, ce ne sont pas les propositions qui manquent, mais son souhait le plus cher, c'est d'abord de découvrir l'Afrique, son continent, et de partager avec le plus grand nombre de jeunes, la force et l'engagement qui l'animent. « L'Afrique a besoin de vous comme vous avez besoin d'elle, partir n'est pas une réponse à l'avenir décent que chacun est en droit de revendiquer », clame-t-elle lors des interviews.
Le 24 avril, le Niger commémore la signature en 1995 à Agadez de l'accord de Paix entre l'État et les représentants de la rébellion touarègue. Du devoir de mémoire à l'ambition culturelle encore balbutiante en matière de politique publique, cette fête nationale de la Concorde ne peut occulter des attentes fortes au Nord du Niger. Aucune évolution n'est possible sans retour à la paix dans cette zone saharienne considérée comme instable par la communauté internationale, privant ainsi les populations de leur revenu principal, le tourisme.
Une scène internationale pour la paix en « Zone rouge »
La caravane culturelle pour la paix organisée par le festival Sahel Hip Hop et Musiques du Monde, a permis à de jeunes artistes du Nigéria, du Bénin, de la Guinée, du Cameroun et du Maroc, de prester à Agadez aux côtés d'artistes de Niamey et de musiciens locaux. Au-delà du symbole, ce show orchestré par l’agence Djobala Production est un plaidoyer pour la culture mixée entre playback et live, au contact direct d’une population rurale qui n’a pas boudé son plaisir. L’initiative a pu aboutir grâce au soutien de nombreux partenaires, dont Music in Africa et surtout grâce à l’effort financier des musiciens, qui ont accepté des conditions qu’il conviendrait de dénoncer dans tout autre contexte.
Les artistes se sont avant tout mobilisés pour sensibiliser d’autres jeunes sur les fléaux que sont pour la paix, l’éducation et le développement économique, l’émigration et l’extrémisme violent. Les symboles ne valent que s'ils sont porteurs de sens et d'engagement. Le temps de cette soirée rediffusée par plusieurs télés, chacun a pu éprouver l’importance de sa présence à Agadez et mesurer l'accueil chaleureux d'un public en liesse à l'entrée de Fati Mariko ou de Nomiis Gee, sur l'immense scène de la Maison des Jeunes et de la Culture.
Sortir ce message des grandes métropoles où ces artistes ont d'avantage l'habitude de se produire est chose rare. Le faire dans un calendrier où tout un pays se réunit pour fêter la Concorde mérite d’être salué quand, à l’intérieur de ses frontières et dans les zones limitrophes, l’insécurité impose ses propres lois.
Si le lancement de Sahel Hip Hop à Niamey le 20 avril s'est déroulé sur fond de crise entre étudiants et gouvernement, avec un niveau de violence inquiétant, l'ambiance était sereine, paisible à Agadez. Malgré les cargos militaires américains qui rasent la ville pour atterrir sur une base toute proche, personne n’a ressenti ni tension ni crainte à avoir sur sa sécurité.
Les médias au rendez-vous
La présence des équipes de A+ et d'Arewa 24 a donné du poids à ce premier concert délocalisé du festival Sahel Hip Hop et Musiques du Monde, pour que l’initiative ouvre le chemin à d'autres artistes urbains désireux de se produire au Sahara et favorise la mobilité des artistes éloignés des métropoles.
En effet, trop d'artistes sur le continent africain doivent encore leur notoriété à l'international, au hasard d'une rencontre décisive avec un artiste européen ou américain, mieux outillé et non confronté aux problèmes de visa, pour créer, travailler et percer.
L’absence de prise en compte d'enjeux aussi cruciaux que l'accompagnement du potentiel de la jeunesse africaine, notamment dans le secteur culturel et le spectacle vivant, continue à peser lourd dans les esprits. S'il faut des musiciens pour passer des messages, il faut aussi éduquer les populations pour que le public se déplace aux concerts et soutienne par son engouement, le travail des jeunes artistes africains.
Suite au succès de cette édition 2018, Sahel Hip Hop doit avec sérieux, définir ses nouvelles marges de manœuvre pour devenir un grand festival international, avec une organisation plus fiable, plus professionnelle et de vrais budgets pour rémunérer le travail des artistes, leur déplacement.
Mais si ce festival prend les dispositions qui s’imposent, il deviendra une référence pour d’autres jeunes organisations qui par leur seule volonté d'agir, de réussir, posent les bases d'un rêve africain en capacité (si les États s’emparent eux aussi du problème à bras le corps) de changer la donne pour construire un autre imaginaire que celui qui nourrit les flux migratoires et les groupes terroristes.
« Mettre l'éthique, la bonté et la beauté de la culture vaudou au service de la jeunesse africaine, c’est la raison de ma participation à Sahel Hip Hop. Le slam comme baume pour panser nos blessures psychologiques, sensibiliser autour de la nécessité de cultiver la tolérance et la solidarité, c’est mon combat en tant qu’artiste pour une culture de paix durable en Afrique. Peu d’artistes ont la possibilité de parcourir la route de la migration clandestine (Niamey-Agadez) et d’alerter l’opinion sur la souffrance de ces hommes et femmes qui bravent la peur, la faim, la soif et le soleil brûlant, les nuits glaciales, dans l'espoir d'une vie meilleure » a affirmé Amagbegnon, un artiste bénoinois de la Caravane.
Restée à Niamey pour répondre à de multiples invitations organisées avec l'ambassade d'Espagne, la galicienne Lydia Botana restera dans les annales du festival Sahel Hip Hop et Musiques du Monde, comme la première artiste européenne programmée. Elle a participé activement à la création et à l'enregistrement de plusieurs chansons créés sur le thème « Migration, extrémisme violent : de l'urgence d'offrir à la jeunesse africaine une alternative et des perspectives d'avenir. »
Toumast touareg, révélation de l’édition 2018
Le trio, deux hommes, une femme, a fait forte impression sur la scène de Sahel Hip Hop en montrant avec un rap puissant, en tamasheq, qu'à l'heure du numérique, au coeur d'une époque abîmée par tant de tragédies, les musiques actuelles ne peuvent se réduire à des frontières. C'est en cela que l'initiative portée par l'équipe bénévole du festival Sahel Hip Hop est particulièrement méritante, pertinente, puisqu'elle favorise la rencontre entre des jeunes artistes évoluant dans des environnements et des contextes très distants.
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