Alexandre Deniot : « L’industrie musicale en Afrique est en pleine croissance »
En marge du Midem Africa, la conférence consacrée à l’industrie musicale en Afrique qui se tient virtuellement du 28 juin au 1 juillet 2021, Alexandre Deniot, directeur du Midem, un des plus importants événements qui rassemblent les acteurs internationaux du secteur musical, nous partage ses points de vue sur le secteur musical du continent.
Vous avez lancé en 2018 le Midem African Forum, une édition spéciale du Midem axée sur les échanges autour de la musique africaine. Quelle perception avez-vous de l'industrie musicale africaine ?
Il y a beaucoup de talents, d’artistes et de professionnels qui sont déjà très actifs et qui participent à la croissance et à l’expansion de la musique africaine sur le continent et au-delà. Il y a de belles choses et une dynamique. Il se passe vraiment de belles choses, Burna Boy vient de recevoir un Grammy Award, c’est des signes forts, l’Afrique est un marché en pleine croissance, mais avec des besoins de structuration et de professionnalisation pour avoir encore plus un coup d’accélérateur.
Les majors s'intéressent désormais à l'Afrique et ont une présence physique sur le continent. D'autre part, malgré son potentiel, vous l’avez dit en passant, certains marchés doivent encore se structurer. Selon l'œil d'expert que vous êtes, que ce que le secteur de la musique en Afrique a vraiment besoin pour décoller ?
Tout est question de la chaîne valeur, en commençant par la partie création de l’artiste jusqu’à la distribution de la musique ainsi que les différents moyens de rémunération de l’artiste. Ce besoin de structuration, il commence peut-être par la formation, il y a des artistes, pas forcément tout, qui ne maîtrisent pas encore le business de la musique, c’est-à-dire quels sont leurs droits et aussi leur devoirs. Il y a également un besoin de structuration des réseaux de distribution digitaux, c’est-à-dire avoir des acteurs forts en Afrique sur le streaming. Tous ces éléments-là vont faire que demain ça va vraiment exploser.
Justement, parlant du streaming, pensez-vous qu’il est l’élément-clé de l’expansion de la musique africaine sur le marché international ?
Le streaming contribue déjà à l’essor de la musique africaine sur la scène internationale. Ça permet une diffusion rapide de la musique dans le monde entier, le coût de distribution est très faible pour les artistes qui veulent s’auto-distribuer. Pour les artistes indépendants, la distribution, ce n’est plus un souci. Mais aussi le fait d’avoir accès à la musique qui vient de l’international, ça permet de mixer les gens, notamment les Nigérians sont très forts là-dessus, parce qu’ils se sont inspirés de la musique venant d’ailleurs, qui permet de toucher les fans du monde entier.
Vous parlez du Nigeria, qui grâce à son afrobeat, est en train de conquérir le monde après s'être imposé sur le continent, alors que l'Afrique francophone avec sa rumba et son coupé-décalé n'a pas la même visibilité que le pays de Fela Kuti. Comment doit-elle s'y prendre pour être plus présente sur le marché international ?
Après, c’est difficile, je ne suis pas là pour donner des leçons. Ce que je disais avant, c’est la capacité de digérer ce qui se passe dans le monde et les musiques qui fonctionnent pour pouvoir les intégrer dans une musique qui garde son identité locale, mais qui est plus adaptée pour s’internationaliser. Les musiques qui sont ancrées trop locales, c’est difficile pour l’exportation. Il y a un besoin de trouver la clé qui permet à cette musique d’être plus globale. On voit qu’il y a beaucoup d’artistes d’Afrique francophone qui font des collaborations avec des artistes français et belges. Les collaborations, les échanges entre artistes qui gagnent différents pays permettent justement ce mélange de cultures.
Mais on remarque que les artistes francophones ont du mal à s'introduire dans un marché mature comme les États-Unis que leurs collègues de la zone anglophone. La barrière linguistique, est-elle la cause principale ?
La langue peut être forcément un obstacle. Les artistes anglophones qui se connectent aux États-Unis parce qu’ils parlent la même langue, ça facilite un peu les choses. Mais, il y a eu des succès d’artistes qui ne parlaient pas du tout anglais pourtant ça a marché aux USA. Après, le marché américain est le plus difficile à percer, je parle de gros artistes comme le chanteur britannique Robbie Williams, qui n’a jamais réussi à percer le marché américain alors que c’est une superstar en Europe. Les États-Unis ne sont pas forcément le Saint-Graal, c’est-à-dire un artiste africain francophone peut réussir de façon importante sans être présent en Amérique, ce n’est pas une nécessité.
Il y a quelques semaines, Warner Music a scellé un partenariat avec le label WCB - Wasafi de la star tanzanienne Diamond Platnumz. Le même major a également pris une participation dans Africori, un des plus importants distributeurs digitaux sur le continent. Pensez-vous que ce genre d'accord peut aider les artistes africains à avoir plus d’ancrage à l'international ?
Le fait que des majors comme Warner s’installent en Afrique et établissent des partenariats, c’est un moyen pour les artistes qui sont signés sur ces maisons de disque là d’avoir des opportunités à l’international. In fine, ce qui fait la différence, c’est la musique, l’artiste lui-même et sa stratégie de développement et la direction vers laquelle il veut aller.
2020 a été une année charnière pour l’industrie du divertissement affectée par la crise sanitaire. Pensez-vous que la Covid-19 a permis de repenser l’industrie et son business model ?
La crise sanitaire a poussé à trouver de nouvelles opportunités. Pendant plus d’un an, les tournées internationales ont été annulées ou reportées. Cela a permis le développement de live stream, c’est-à-dire de mieux monétiser le live en digital, ça également permis la monétisation de plateformes comme TikTok et d’autres réseaux sociaux. Avec la crise, les acteurs du secteur ont essayé de trouver où il y avait de nouvelles opportunités et des challenges qui vont avec. La crise nous a poussé nous au Midem à lancer notre plateforme digitale, qu’on avait déjà prévu de faire, du coup ça a accéléré le process. Plus de 150 pays y sont connectés et 14 000 membres ont accès à la plateforme, c’est une opportunité qui est arrivée en raison de la crise.
Beaucoup d’artistes affectés par la crise vivent de la musique live. Que ce qu’ils peuvent faire pour ne plus se retrouver dans une situation comme celle-ci où ils ont carrément été coupés d’une source de revenus aussi importante que le live ?
Si on raisonne sur l’Afrique, c’est vrai que c’est compliqué, on sait que le gros du revenu des artistes sur le continent est lié au live. C’est aussi pour ça qu’il y a besoin de structuration pour permettre à ces artistes d’avoir une diversité de revenus. Au niveau mondial, il y a des artistes qui arrivent à s'en sortir parce qu’ils ont eu d’autres moyens de générer du revenu à travers la consommation de leur musique sur les plateformes de streaming ou la vente de produits dérivés, le merchandising et bien d’autres. Donc, tout est question de diversification des sources de revenus.
La musique afro arabe est en train de creuser son sillon dans l'industrie musicale, la présence des majors et des plateformes de streaming sur cette région en est la preuve. Comment cette musique peut-elle tirer profit de son potentiel pour briller au niveau planétaire ?
Déjà, si on prend le chiffre de la musique enregistrée en Afrique et sur le Moyen-Orient, il y a une progression de 8,4 %. C’est vraiment tirer par le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord qui eux progressent de 37,8 % (selon le Global Music Report 2021 d'IFPI). Je pense à des artistes marocains comme ElGrande Toto qui ont réussi à intégrer dans leur composition des influences musicales d’Amérique du Nord ou de la France, qui leur permettent d’être aujourd’hui une musique attractive au niveau international. Pourquoi ça marche ? Parce que c’est des musiques qui parlent et qui touchent des gens en dehors de leur pays.
Vous lancez le Midem Africa version digitale ce 28 juin, un événement sur quatre jours qui vont rassembler des acteurs qui font bouger l’industrie musicale sur le continent africain. À quoi devront s’attendre les participants ?
Ces quatre jours vont permettre de mieux appréhender et de comprendre le marché de la musique en Afrique. C’est un événement à destination des participants internationaux et également des professionnels africains. C’est aussi un moyen pour les artistes et des professionnels de booster leur carrière et leur connaissance. Nous avons un programme qui est là pour les accompagner dans leur développement, apprendre à mieux monétiser sa musique, apprendre de nouvelles opportunités de business qui sont en train de se développer.
On va permettre aussi de découvrir des talents, nous avons plus de 20 showcases d’artistes de toute l’Afrique qui seront diffusés sur la plateforme. Le Midem Africa est un événement de rencontre, elle est là pour permettre à notre communauté de se connecter entre eux. Ça permet d’avoir de nouvelles opportunités à la fois créatives et de business.
Le Midem Africa se tient en ligne du 28 juin au 1 juillet 2021. Veuillez vous inscrire ici, la participation est gratuite.
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