Assico : saga d’une musique urbaine
Que n’a-t-on pas dit sur la musique Assico au Sénégal ? Des films, des interviews, des études savantes, mais on a semblé occulter le côté urbain de cette musique très festive.
La musique Assico telle qu’elle se joue au Sénégal est à base de percussions de chants et de danses nés de la rencontre entre Dakar, Gorée et Saint-Louis des peuples antillais les Haïtiens et Martiniquais, c’est-à-dire les fameux « Makhatiémbé », les populations négro-africaines anglophones, les « Akou » et les différents groupes nationaux africains (Dahoméens, Guinéens, Cap Verdiens, Maliens, Camerounais, Libériens etc ) établis dans ces villes pendant la colonisation qui ont trouvé à Dakar les populations autochtones Lébu.
Saga d’une musique d’essence urbaine
Pour ces populations, la rencontre, surtout à Dakar et à Gorée, a généré un fort brassage de personnes d’origines différentes, un melting-pot au véritable sens de l’expression. Il convient alors avant même d’aborder la musique Assico de procéder à un petit rappel historique.
Notre propos n’est pas celui d’un ethnomusicologue au discours savant, mais plutôt celui du natif de Dakar Plateau, témoin passionné d’une partie de l’histoire et acteur culturel local
Implantation française au Cap Vert et essor de Dakar
Il faut remonter à la date du 25 mai 1857, quand arriva Protêt, un officier Français commandant les troupes basées à Gorée pour que la France démarrât un processus d’annexion de la presqu’ile du Cap-Vert.
En effet, avant cette date, la France n’était présente qu’à Gorée, Rufisque et Saint-Louis. Mais compte tenu de la place stratégique de Dakar, la France y souhaitait ardemment une présence plus marquée.
Avec Protêt, ce fut alors chose faite, la France du point de vue aussi militaire que commercial entama une implantation sur le sol du Cap-Vert.
Pour mémoire, la présence de Protêt, qui débute l’annexion progressive du Cap Vert par la France avait été suivi et encouragé en par le Capitaine du génie Pinet Laprade, à l’époque directeur des Ponts et Chaussées. Qu’en droite ligne de l’action de Protêt, Pinet Laprade, dans sa lettre du 9 Mai 1862, adressée au Gouverneur du Sénégal argumenta en anticipant sur le futur rôle stratégique de la Presqu’ile du Cap Vert en la qualifiant de « point le plus convenable » pour être le centre de l’implantation de tous les établissements Français sur la cote occidentales de l’Afrique.
Pinet Laprade souhaitait que non seulement la France s’implantât à Dakar, mais mieux qu’elle travaillât, par le biais d’un aménagement territorial, à l’essor rapide de cette ville, qu’il considérait, en raison de sa position géographique comme un centre politique, militaire et commercial.
La métropole approuva les orientations de Pinet Laprade. Le développement de Dakar s’ensuivit.
Ainsi, avec le plan directeur de Pinet Laprade, Dakar devint non seulement une place militaire forte, mais un terminal commercial où se trouvaient articulés à un port ouvert sur l’Atlantique, les chemins de fer Dakar-Saint-Louis et Dakar-Niger stratégiques dans les échanges coloniaux.
Dakar devint rapidement une métropole.
Ainsi, sur le plan population, l’écrivain Birago Diop, dans son livre « La plume raboutée » nous décrit alors comment les « premiers immigrés » Soussous de Guinée, Toucouleurs du Nord du Sénégal, les Cap-Verdiens, Peulhs du Fouta Djallon de Guinée, ainsi que les Wolofs du Senegal, les Bambara du Soudan, les Dahoméens sont venus s’ajouter aux autochtones Lébu du Cap-Vert de Dakar dans les 24 quartiers de l’ancien Dakar Plateau.
Le décor est alors planté pour accueillir une nouvelle culture urbaine.
Nouveau groupe humain urbain et développement de la musique Assico…
Il faut partir de la structure de l’habitat à Dakar Plateau pour mieux cerner la naissance du melting-pot ci-dessus décrit et les facteurs favorisant le développement de la musique Assico. En effet, la plupart des premières familles d’immigrés à Dakar, comme cela se passe dans les villes étaient locataires.
Or justement à Dakar Plateau, avec la nouvelle urbanisation, en ces années, les habitations étaient majoritairement des concessions constituées d’une grande cour sur laquelle donnaient les différentes chambres occupées par des familles d’origines diverses comme dit plus haut.
La cour était un espace de vie.
Car, dans les concessions traditionnelles de Dakar Plateau par exemple la cour, le jour servait à la fois d’espace de jeu pour les enfants du quartier qui grandissaient ainsi ensemble, voire, de cuisine et de retrouvailles des familles.
Le soir venu, cette même cour faisait office d’espace de rassemblement des différentes familles, les parents, les enfants, chaque groupe de son côté devisait tranquillement.
Et même lorsque, dans les années 70, avec l’avènement de la télévision, les salons d’abord et ensuite les cours des maisons furent des espaces de convivialité autour du petit écran.
Dans ces conditions, ces familles virent l’avènement d’une nouvelle urbanité. Les fêtes religieuses catholiques comme musulmanes se faisaient dans les cours, idem pour les mariages et autres cérémonies familiales.
Cette nouvelle urbanité s’adossa alors à une culture urbaine, laquelle culture dans Plateau fit un syncrétisme entre la tradition Lébu, qui était la base de la culture autochtone et les apports des cultures allogènes portées par les nouveaux arrivants de Dakar Plateau.
Ainsi, dans les concessions de Dakar Plateau et à Gorée, l’arrivée de la musque Assico, va accompagner ce melting-pot.
La musique Assico à Dakar : des cours de maisons aux stades
La musique Assico est composée d’une rythmique en trois temps et de chansons proches de certaines musiques dites des îles comme la biguine, le meringué, le calypso etc… ainsi que de certains rythmes brésiliens comme la samba et un peu la bossa-nova.
La musique assico, dans sa déclinaison pure a un répertoire de chansons, accompagnées de percussions.
Les percussions assico sont des instruments faits avec des peaux de chèvre ou de vache tendues sur des carrés de planches de 10 centimètres de large, d’une dimension comprise entre 30 et 60 centimètres. Selon la dimension de l’instrument de percussion, nous aurons un son clair à plus grave.
Les sons graves se rapprochent ce ceux des tambours ou des tambourins alors que les sons clairs se rapprochent plus de ceux des toumbas,
Si bien que, dans la percussion assico, nous distinguons : la gamme des percussions à sonorités graves au nombre de deux, appelée « basse » et « contre-basse », la gamme des percussions à timbre clair appelée, d’une part « teng-teng » et d’autre part le « rolling ».
Tous les instruments percussion précités, à l’exception du rolling, sont joués avec la main.
Dans la musique assico, le rolling, fait partie des instruments que nous classons dans la gamme des instruments à timbre clair, il est composé de deux caisses jumelées recouvertes de peaux tendues sur des carrés de planches.
Mais le rolling est joué avec des baguettes. Il est vrai que dans les groupes d’assico évoluant à l’heure actuelle cet instrument se fait rare.
À ces rythmes de percussion et de chants vient se greffer un instrument qu’on appelle « Chacha », certains disent « Thiathia ». Le « Chacha » est un cylindre métallique d’environ 50 centimètres de long, avec une base de 8 à 9 centimètres de diamètre, contenant des clous.
Le « chacha » faisant office de maracas est agité pour donner un son particulier, assez fort permettant d’accompagner les percussionnistes.
Pour mémoire, le « chacha » existe chez nos frères « Makhatiembé », chez les afro Antillais de Guadeloupe par exemple, mais sa sonorité est moins forte, plus douce.
Cette musique assico fut alors jouée dans les cours des maisons, dans les rues de Dakar Plateau et à Gorée, lors des cérémonies familiales (mariages, baptêmes, communions etc.) au point de devenir un des ferments d’une nouvelle culture urbaine.
C’est dans ce contexte que les années 1970 ont vu naître une équipe de foot à Dakar Plateau.
Des stades aux scènes
Cette équipe de quartier, au passé glorieux fut baptisée d’abord Asc Plateau avant de devenir par la suite l’actuelle équipe du Sandial. La musique assico fut alors une marque de fabrique de l’Asc Plateau devenue le Sandial du Plateau.
Le plus grand leader de la musique assico fut Ismaila Thiam, plus connu sous le nom de Billy Congoma qui nous a quittés au début des années 90.
Ismaila Thiam, un natif de Dakar Plateau, qui fut témoin de la prestigieuse époque des années 50 et 60 avec les Ballets d’Afrique Noire fondés par le Guinéen Keita Fodeba.
De cette époque, Billy Congoma conserva un amour pour la culture guinéenne. Ainsi, non seulement il fit entrer des chants du folklore guinéen dans la musique assico, mais en plus, il y introduisit le djembé.
On se souvient de ses compagnons tels que le djembefola (maitre du djembé) Zagalo, ou Mansour « Rasta » qui jouait le «chacha » avec une telle habileté. Mansour surnommé « Rasta » en plus du talent et du charisme, avec ses locks ressemblait à un Nyabinghi directement venu de la Jamaïque.
Lors des matches disputés par le Sandial du Plateau, Billy Congoma, en chef d’orchestre tournait le dos à la pelouse et faisait face à son public. Mieux, il faisait corps avec son public.
Car chez les supporters du Sandial, chaque refrain des chants Assico était repris en cœur avec la parfaite harmonie d’un spectacle ayant fait l’objet de longues répétitions.
Au son du « chacha » venait s’ajouter les centaines de crépitements des maracas de fortune confectionnés avec des pots de conserve contenant des clous et des pierres que les enfants fabriquaient à la veille de chaque match.
Il faut dire qu’à l’époque, les supporters du Sandial étaient aussi bouillants que ceux de l’actuel groupe « Allez Casa » qui enflamme les stades lors des matches du Casa Sport.
Quand Billy Congoma, dès l’entrée du Sandial entonnait des chants comme « Raay maa mbotté » ou « Sandial Baby Yo » c’était la folie dans les gradins.
À la mi-temps dans un coin de l’enceinte du stade, on allumait un grand feu pour chauffer et tendre les peaux des instruments rudement éprouvées. On en profitait pour sortir une ou deux caisses de bière distribuées çà et là. Le Sandial c’était ça aussi, ce qui du reste ne faisait qu’ajouter à la réputation de « hooliganisme » de l’équipe de Dakar Plateau une image de durs à cuire.
Mais enfin, ce sont là des éléments fondants un sentiment d’appartenance fort à la localité qui ont traversé plusieurs générations et contribué à façonner l’image du « Boy Plateau ».
Comme disait Bob Marley « Who feels it knows it »… Car seuls ceux qui ont vécu ce fort sentiment d’appartenance au Plateau savent.
Du temps du Sandial Assico Band de Billy Congoma au Jassik
Au répertoire traditionnel de la chanson assico, dont parmi les classiques entre autres on peut citer « Sunu Societé Yenguetouna », « Ma teuddeu goudi » ou « Gaal gaa ngui rade bi », grâce à l’immense inspiration d’Ismaila Thiam dit Billy Congoma, on peut ajouter des chansons, comme « Rosa », « Oh Sandial Baby Yo », « Kaya Bongo », « Raay ma mbotté », « Sama cherie demna bayyima » etc…qui étaient de véritables hymnes de l’équipe du Sandial au sommet de sa gloire.
Le Sandial Assiko Band devint alors un puissant groupe de musique dont le talent n’avait d’égal que le charisme et la créativité de son lead vocal Billy Congoma.
Dès lors cette musique, jouée dans les cours des maisons d’abord, ensuite dans les stades commença à conquérir les espaces de diffusion, comme les restaurants et les salles de spectacles.
Dans les années 80, nous avons pu voir le Sandial Assiko Band dans des lieux comme le Fouquet’s du Building Maginot (le groupe partageait la scène avec un musicien comme Abdullah Ibrahim dit Dollar Brandt) le Théâtre de verdure, la Salle de Sorano….
Mieux en 1989, lors des deux concerts mémorables du jazzman Dizzy Gillespie à Sorano et à l’amphi B de la Faculté de Droit de l’Université Cheikh Anta Diop, le Sandial Assiko Band a assuré la première partie du concert donné à l’Université.
Les étudiants et le public présent, pour la plupart découvraient, la formation de Dakar Plateau. Ils découvraient alors une expérience inédite d’un style musical que Billy Congoma avait baptisé le « Jassik ». Sur la scène de l’Université de Dakar, le groupe jouait accompagné d’un bassiste.
L’appellation « Jassik » pour les personnes non averties semble renvoyer au crocodile, mais en vérité le mot « Jassik » est la contraction des mots Jazz et Siko.
À préciser qu’à Dakar Plateau, on dit couramment « Siko » au lieu d’Assico. À l’époque Billy Congoma avait expérimenté ce courant musical avec un saxophoniste américain du nom de Jim Sering séjournant au Sénégal.
Billy Congoma fit une apparition dans le film « Hyènes » de Djibril Diop Mambety, sortie en 1993. Sa disparition brutale l’année suivante mit fin à cette fabuleuse expérience.
Il faut y ajouter qu’avec l’âge, et le temps beaucoup de membres de cette mythique formation avaient raccroché, certains ne sont plus de ce monde.
C’est ainsi que l’artiste plasticien Mamadou Ndiaye « Thia » prit en 1992, l’initiative de travailler à un renouveau de la musique Assico à Dakar-Plateau, ce fut l’avènement du Yula Yula Siko.
Le renouveau des années 90 : le groupe Yula Yula Siko.
Le Yula Yula , sous la direction de l’artiste Mamadou Ndiaye « Thia » fut un projet culturel s’adossant à l’héritage laissé par Billy Congoma et le fonds culturel qui faisait l’identité de Dakar Plateau. Thia avait décidé de professionnaliser le groupe.
Le Yula Yula était composé d’environ, huit musiciens, dont sept instrumentistes autour du lead vocal Matar Niang. La rigueur était de mise dans les répétitions, la confection de tenues de scènes, la constitution d’un répertoire etc….
Surtout, la rupture instaurée par Thia était que le groupe ne devait pas jouer comme on le faisait au stade lors des matches de l’équipe du quartier, mais travailler à mettre sur pied un spectacle.
En plus des congoma (senza) et des djembés introduits dans la musique Assico par Billy Congoma, le Yula Yula ajouta des instruments comme la guitare acoustique les tambours « thioung » et le balafon.
On retient parmi les chansons du Yula Yula Siko une chanson phare comme « Ina la Yo », dont le chanteur Elaj Diouf, qui semble-t-il, fut membre du groupe assico Fakhass des HLM, a repris le refrain, ou « Mon ami Djolé ».
Le projet du Yula Yula coïncida alors avec l’arrivée de François Belorgey à la direction du centre culturel Français de Dakar (CCF). Dans cette époque marquée par un bouillonnement culturel, le CCF fut un pôle d’attraction des acteurs culturels, particulièrement des groupes musicaux du Sénégal.
François Belorgey, en grand fan du Yula Yula lui ouvrit les portes du CCF. Ainsi le groupe ayant pu accéder à un espace d’expression organisa plusieurs concerts.
Le Yula Yula assura en 1992 la première partie des deux concerts de Salif Keita au CCF et à la salle du Théâtre National Daniel Sorano. Mieux, le groupe à l’époque se produisant au Keur Samba, un bar huppé de Dakar Plateau, reçut la visite de Salif Keita impressionné par le style musical.
Votre serviteur à l’époque conseiller juridique du groupe, a pu se rendre compte du potentiel qui se dégageait et la force du Yula Yula. Mais des problèmes internes minèrent alors la cohésion du groupe, au point que l’artiste Thia quitta la direction.
Le Yula Yula connut une chute, bien qu’ayant fait quelques apparitions dans des manifestations, il disparut de la scène.
Après son départ de la tete du Yula Yula, l’artiste Mamadou Ndiaye « Thia » travailla d’une part sur ses projets personnels et d’autres parts sur des projets culturels structurants comme des festivals à Dakar-Plateau.
Mais aussi dans le souci de ne pas voir le genre musical assico disparaître, il misa sur la relève. Ainsi, il regroupa des jeunes écoliers de Dakar-Plateau dans une formation qu’il appela Teaupla Siko, qu’il finança sur fonds propres.
Le temps des groupes de quartier
Les années 90 ont vu la popularisation de la musique assico, même le chanteur Youssou NDour dans une de ses chansons fit appel à des percussions assico.
Il déclara même lors d’une interview à RFI que « la musique Assico est un rythme qu’il a créé ».
Ainsi un peu partout à Dakar, on a vu des groupes comme Africa Djembé de Gorée, le Fakhass des Hlm, les Assico de l’ASC Damels de la Medina, le Fallou Siko de Reubeuss, né de l’accompagnement de l’équipe du Khandalou par une troupe assico à partir des années 80, le Déén gui Siko de Mobth, le Techno Siko, et le Teaupla Siko…
Partout, les jeunes supporters, comme au bon vieux temps des années 70–80 à Dakar-Plateau ont pris l’habitude d’accompagner leurs équipes avec des troupes assico.
Les perspectives de la musique assico
La musique assico est d’essence urbaine. Elle fait maintenant partie du patrimoine immatériel sénégalais. Nous avons là un genre musical de choix qui peut valablement venir en contribution dans le renouveau de la musique moderne sénégalaise, voire africaine. Pour preuve, dans les concerts du chanteur Elaj Diouf, il y a une partie importante qui consacrée à la percussion assico.
Cette musique entre dans une perspective de production des modernités, car, avec le faible coût de ses instruments, que les musiciens peuvent fabriquer eux-mêmes, la musique assico permet de capter dès le bas âge les talents musicaux des jeunes de nos quartiers.
Il revient alors aux mécènes et aux décideurs d’encourager, de motiver et soutenir les porteurs de projets.
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