Brahim El Mazned : « Faisons de Visa For Music#10, un sommet africain de la musique ! »
En marge du Festival Togoville Jazz Festival 2023, à Lomé, Brahim El Mazned, professionnel marocain de la culture aux casquettes multiples, mais surtout directeur du salon Visa For Music, s'est confié à Lamine BA sur l'évolution de son salon et sur sa vie d'auteur à succès qui oeuvre pour la documentation du patrimoine immatériel africain. Entretien.
Bonjour Brahim ; cette année le salon Visa For Music organise sa 10e édition. Qu'est-ce que cela représente pour vous ?
Bonjour Lamine ; cette 10e édition est un gros challenge pour nous ! Nous sommes revenus l'année dernière pour une première édition post-covid qui a été un réel succès et l'envie des artistes de revenir sur scène était vraiment palpable.
L'événement nous a révélé des artistes nés pendant la pandémie, mais elle a aussi consacré l'effort des professionnels qui ont su résister à la crise et se réinventer ; tout cela nous a ramené beaucoup d'espoir et de sérénité pour la préparation de la 10e édition, qui se tiendra dans un contexte géo-politique et économique assez difficile.
Les choses ne seront pas simples nous le savons, mais c'est notre devoir en tant qu'acteurs culturels de mettre l'art et le spectacle au service d'un meilleur vivre ensemble pour nos pays.
Cette 10e édition s'annonce riche ; nous avons reçu plus de 1000 candidatures pour les showcases, avec des artistes exceptionnels, mais aussi des talents de toute la planète qu'on a hâte de découvrir.
Nous avons aussi reçu beaucoup de candidatures d'Afrique et on poursuivra notre sacerdoce d'être une vitrine pour tous ces créateurs là. Notre jury qui est composé de 5 opérateurs culturels et artistes, va faire le nécessaire pour que nous ayons un plateau relevé pour le plaisir de tout le monde.
Cette année nous allons aussi recevoir le Conseil International de la Musique avec plus de 100 participants du monde entier pour son assemblée générale, qui est aussi sa première grande rencontre après la pandémie.
Il y aura également une réunion du Jazz Network, car nous voulons nous engager avec cette organisation à promouvoir ce genre longtemps resté fermé au grand public. Nous aurons même, nous l'espérons, une scène pour le jazz et les musiques acoustiques.
Visa For Music est un des salons les plus structurants du continent africain. D'où vous-est venue l'idée de la créer et quel est son positionnement aujourd'hui sur l'échiquier continental ?
Ce projet est né d'un paradoxe ; nous sommes dans le continent qui est le berceau de plusieurs musiques actuelles, tant celles pratiquées par les afro-descendants que par les autres ; mais l'Occident continue de poser sur nous un regard stéréotypé, qui nous freine dans l'expression de nos cultures et des fois, on se limite à présenter les choses selon leurs convenances.
Nous avons certes de grands artistes africains qui réussissent à tourner dans le monde avec nos musiques, mais ces ténors, le plus souvent affiliés à des majors étrangères, sont peu nombreux et ils cachent des milliers de talents âgés de 20 à 30 ans qui peinent à se révéler, ne serait-ce qu'à l'échelle continentale. Pourtant, il est grand temps de renouveler la scène et de montrer aussi ce qui se passe actuellement.
Aussi, une certaine cassure s'est installée sur nos marchés, limitant les artistes lusophones à un public strictement lusophone, ce qui est identique pour les francophones, les anglophones et les arabophones qui limitent leur audience à l'Afrique du Nord. Il fallait trouver un mécanisme pour briser toutes ces barrières...
J'ai parcouru plus de 50 destinations et j'ai constaté que certains pays comme la France, l'Espagne ou le Canada, ont parfois 6 à 7 marchés à eux seuls, ce qui intensifie la concurrence. En Afrique on a pas tout ça et donc théoriquement, il y a de la place pour tout le monde...
Casablanca est ouvert à une trentaine de capitales africaines, comme Rabat, nous avons donc pensé que le Maroc pouvait jouer ce rôle d'accueillir la communauté créative du continent, pas tout de suite pour du business, mais d'abord pour que l'on se connaisse, que l'on puisse échanger sur nos différentes façons de produire le son et trouver une façon d'évoluer ensemble et déconstruire tous les clichés autour de nos arts et cultures.
Ce projet est finalement allé au-delà de nous, et il est devenu l'affaire de toute une communauté qui la défend et qui est devenue sa force !
En 10 ans vous avez pu accueillir des milliers d'artistes d'Afrique et du monde. Parvenez-vous à mesurer l'impact du salon sur leurs carrières ?
Il faut dire que beaucoup d'artistes passés par Visa For Music ont des carrières très avancées aujourd'hui. Il y a ceux qui ont réussi immédiatement après le salon à signer pour 20 dates à travers le monde, ceux qui n'en ont signé que 2, ceux qui n'ont pas eu de date du tout, mais qui ont noué une collaboration avec un autre artiste rencontré sur les lieux, et enfin ceux qui n'ont rien décroché de tout ça, mais qui ont appris de nouvelles choses sur le fonctionnement de l'industrie.
Tout le monde apprend ou gagne quelque chose au salon et on peut estimer que 60 à 65% des participants ont décroché des opportunités professionnelles pour une collaboration ou pour de la diffusion.
Mais il faut le dire, un marché comme Visa For Music, il faut y arriver préparé, avec son matériel de promotion et tout le nécessaire pour se faire connaître. Et ce n'est pas tout, il y a aussi un travail à faire après l'événement, celui de relancer les potentiels partenaires. L'offre est plus importante que la demande, il faut toujours s'en souvenir...
Avec le monde qui se digitalise de plus en plus chaque jour, pensez-vous que les salons de musique sous le format que nous connaissons actuellement, devront se réinventer et prendre des aspects nouveaux dans quelques années ?
Il y a un marché qui ne disparaîtra sûrement jamais et pour s'en rendre compte, il faudrait peut-être observer ce qui se passe autour de la route quand on va de l'ancien aéroport au centre-ville de Dakar, au Sénégal. Il y a tous ces petits clubs et snacks animés, et toute une économie autour de la musique ; il suffit d'ailleurs de la couper pour que tous ces lieux soient vides. Il y a des centaines et des milliers de shows musicaux à travers le continent tous les soirs.
Donc malgré l'avènement des plateformes de distribution de la musique, il reste une dimension précieuse de cet art qui est celle de la rencontre, de la convivialité et du partage. Même si on écoute les artistes dans des appareils, le besoin d'aller à leurs concerts et de se retrouver demeure.
Cette musique live dont je parle, on ne peut en profiter véritablement que dans les clubs, les festivals mais aussi dans les salons.
Les formats actuels que nous avons pour les salons, réunissent et les artistes et les consommateurs de musique qui sont souvent avides de découverte. Je ne pense pas que cela changera de si tôt.
Nous sommes actuellement à Lomé, au Togo, pour le Togoville Jazz Festival 2023 ? Qu'est-ce que ça vous fait d'être dans cette ville ?
À Visa For Music, nous avons jamais eu d'artistes locaux du Togo ; nous avons eu des Togolais, mais ils venaient toujours de la diaspora. J'étais un peu frustré de remarquer que les candidatures venues du voisin béninois étaient bien plus nombreuses et je voulais comprendre cela.
Je suis venu ici et j'ai appris beaucoup de choses qui me permettent de mieux expliquer ce constat. Il est de notre devoir d'aller à la rencontre des artistes et connaître leurs réalités. J'ai prévu à cet effet, des voyages en Guinée Conakry et au Cap-Vert...
Les artistes ne sont pas des catalogues ; ce sont des personnes humaines à rencontrer et à découvrir, et le Togo m'a permis cela !
Brahim nous allons terminer par un aspect que d'aucuns ne connaissent peut-être pas, vous êtes un auteur à succès et vous documentez le patrimoine immatériel africain. Voulez-vous nous parler de cette passion et de votre dernier prix reçu pour le livre Anthologie des Rways ?
C'est grâce à mes nombreux voyages que j'ai appris à aimer mon patrimoine. En effet, j'ai parcouru plus de 100 destinations à travers le monde et j'ai pu rencontrer des expressions musicales variées, mais toujours rattachées à mon patrimoine, je parle de celui marocain.
J'ai pu explorer et travailler sur ce patrimoine dans toute sa diversité, et plus particulièrement l'expression amazigh que je présente dans l'Anthologie des Rways ; j'ai enregistré des trésors anciens de cette expression, j'ai travaillé avec des universitaires, des artistes et bien d'autres personnes pour produire ce livre de 400 pages, fruit de la pause imposée par la Covid-19.
À travers le continent, il y a bien d'autres expressions, que ce soit la rumba, le mbalakh et autres, qui méritent d'être documentées pour permettre aux jeunes de les connaître plus tard et s'en inspirer.
Un tout dernier mot ?
Juste appeler tout le monde à venir à la 10e édition du salon Visa For Music ; je souhaite que l'on en fasse une sorte de sommet africain de la musique !
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