« Diale » - que disent les musiques sénégalaises de l'immigration ?
L'immigration est définie comme l'installation dans un pays, d'un individu ou d'un groupe d'individus originaires d'une autre nation. Ce déplacement est le plus souvent motivé par la recherche d'un emploi et la perspective d'une meilleure qualité de vie.
Alors qu'elle était sensée être une chance pour ceux qui la pratiquent, l'immigration, celle « clandestine » notamment, est devenue un véritable fléau qui décime littéralement la jeunesse africaine depuis des décennies déjà.
Entre dépit, outrage et mélancolie, plusieurs musiciens du Sénégal, qui fait partie des pays affectés par ce phénomène, se sont exprimés en chanson.
Coiffée d'un turban noir et vêtue modestement d'un jean et d'un haut sombre, une jeune femme se promène sur la façade de la mosquée de la Divinité à Dakar (Sénégal), de temps en temps, elle ralentit sa marche et jette un regard lointain vers la mer ; la jeune femme, c’est la chanteuse sénégalaise Senny Camara ; elle semble implorer l'horizon de ramener ces milliers d'âmes disparues au coeur de l'Atlantique...
Mais ils sont si loin désormais, au pays du grand repos ; impuissante face à la fatalité, elle pince fort sa kora et crie « Diale », le mot de compassion que l'on utilise en wolof (langue du Sénégal), pour exprimer ses condoléances à une personne éprouvée.
La peine ressentie par Senny et exprimée dans son dernier clip empreint d'un air acoustique bien morose, est partagée par beaucoup d'autres musiciens du pays de la Teranga.
La scène hip hop locale par exemple, toujours aussi engagée et influente, s'est elle aussi penchée sur la question lors de la 13é édition du Festival international de Hip Hop et des cultures urbaines (Festa2H), qui s’est tenue en juin 2018, à la Maison de la Culture Douta Seck à Dakar (Sénégal).
Pendant 4 journées consécutives, près de 30 artistes, dont des ténors de la scène comme Nitdoff, Dip Doundou Guiss, Xuman ou encore les groupes Keur Gui et Positive Black Soul, se sont succédés sur scène, pour conscientiser la jeunesse sur les dangers de la migration irrégulière.
Il faut le dire, migrer est un droit ! L'article 13 de la charte universelle des droits de l'homme, avec ses 2 alinéas, le corrobore bien :
Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l'intérieur d'un Etat. Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays.
Seulement, l'immigration doit être faite dans un cadre légal et suivant des exigences consulaires. Le formalisme parfois exigeant et difficile qui l'entoure, est contourné par de nombreux jeunes, qui optent pour la solution désespérée de se jeter en mer.
C'est ainsi qu'est né et a explosé cette dernière décennie au Sénégal, le phénomène « Barça ou Barsakh » (rejoindre Barcelone ou mourrir), une sorte de hara-kiri, nourrie par l'illusion de l'« Europe eldorado ».
La scène hip hop sénégalaise s'est inscrite en faux contre cette tendance au Festa2H, parce qu'elle a non seulement occasionné d'importantes pertes en vies humaines, mais aussi fait des migrants malheureux dans leurs pays de destination, où leurs droits ne sont pas toujours respectés.
Qu'il le fasse de façon régulière ou clandestine, qu'il vienne en avion ou en « patera » (désignation espagnole des embarquements de fortune), le migrant reste un humain qui mérite d'être considéré et soigné - voilà aussi un des messages clés des musiques sénégalaises au sujet de l'immigration.
La musique déconstruit la fausse croyance
Figure emblématique de la chanson sénégalaise, la star sénégalaise Youssou N'Dour, contrairement à quelques-uns de ses compères africains comme feu Papa Wemba ou encore Mory Kanté, n'a jamais séjourné très longuement en France, la destination tant prisée des migrants d'Afrique francophone.
« Je respecte la culture française, mais je n’ai jamais envisagé Paris comme une ville dans laquelle je puisse m’épanouir », a-t-il déclaré un jour en 1984, au magazine britannique The Guardian.
Pour la star sénégalaise, atteindre l'Europe et y séjourner n'est pas toujours un gage de bonheur comme beaucoup d'Africains peuvent le croire. Dans Immigrés, un des albums les plus réussis de sa vaste discographie, il adresse une missive aux migrants africains qui résident en Europe, pour leur demander de songer à rentrer chez eux, car selon lui, c'est en Afrique seulement qu'ils s'épanouiront pleinement.
Les musiques sénégalaises déconstruisent donc l'idée de l'« Europe eldorado » et elles plaident pour le retour et la réinsertion professionnelle des migrants dans leurs pays d'origine.
Il faut dire qu'au Sénégal, une pluralité d'initiatives vont dans ce sens. C'est le cas notamment du Centre de Ressources pour la Réinsertion des Migrants Sénégalais de Retour (CARIMA) qui a été institué en 2013 dans le cadre du Fonds CEDEAO-Espagne, ou plus récemment, en 2020, d'un programme de réinsertion socio-économique de migrants rentrés chez eux à Matam (Sénégal), initié par l'organisation ACTED.
Que disent donc les musiques sénégalaises de l'immigration ?
Les musiques sénégalaises disent que l'immigration n'est pas un mal quand elle est faite dans les règles de l'art, mais un grand danger quand elle est faite de façon irrégulière.
Avec leurs harmonies et leurs vibrations, elles (ces musiques), rappellent au monde que l'immigré, clandestin ou pas, est un homme à part entière, dont les droits méritent d'être respectés. Elles disent non au mauvais traitement des migrants en Occident et à l'esclavage que subissent certains dans le Nord de l'Afrique.
Elles redisent aux jeunes que l'Occident n'est pas toujours un Eldorado et invite ceux pour qui le voyage n'est pas un succès, à revenir chez eux pour une digne réintégration socio-économique.
Enfin, les musiques sénégalaises disent « Diale » aux familles éprouvées, car l'immigration clandestine, c'est plus de 3000 morts en 2021 selon des chiffres fournis par l'agence de l'ONU pour les réfugiés (HCR) - des données qui confirment que l'Atlantique, aussi paisible qu'il paraît, est un tombeau à ciel offert, qui continue de noyer des jeunes africains avec leurs plus beaux rêves.
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