Diversité et rythmes traditionnels au Sénégal
Le Sénégal est « profondément attaché à ses valeurs culturelles fondamentales qui constituent le ciment de l’unité nationale »(1). La musique traditionnelle présente dans la quasi-totalité des activités culturelles accompagne les mœurs. Ces mœurs traditionnelles encore d’usage (la tradition orale, le communautarisme, la valorisation de la famille, les cérémonies traditionnelles, les rites, les rituels) sont des réalités quotidiennes que l’urbanisme partielle et l’occidentalisation n’ont pas totalement effacés.
Approche conceptuelle
Pour Aziz Dieng, musicologue et conseiller au ministère de la culture en entretien, le concept de musique traditionnelle ne renvoie pas uniquement à une musique du passé. Il regroupe toute musique avant la colonisation, qui traverse la colonisation et qui continue après l’indépendance. Vivante et actuelle, elle est l’expression d’un riche patrimoine culturel immatériel.
La musique traditionnelle est vie car elle est porteuse d’identité et de valeurs culturelles. « Elle est inscrite au cœur de la communauté, qui la porte jalousement et passionnément en elle, parce qu’elle est un legs, parce qu’elle est un héritage reçu des ancêtres aux fins de la transmettre aux générations suivantes » (2).
Il s’agit d’un héritage destiné à réinventer le groupe social, à « l’originer » à la mettre chaque fois en commun avec les esprits tutélaires » (3). En guise d’illustration, la lutte sénégalaise toujours d’actualité, est accompagnée de musique, de danse, de mélodie et de rythme traditionnelle.
Bref aperçu de la musique traditionnelle
Dans les sociétés sénégalaises précoloniales, rappelle Aziz Dieng, très souvent l’activité musicale est liée à une caste particulière. On est musicien car griot, griot donc musicien. Cette activité musicale est l’un des éléments de la panoplie de cette caste ci–dessus (4).
Ainsi chaque griot est lié à une famille et assure les fonctions d’animation, d’éducation, d’interprète, de protocole, d’historien car la musique traditionnelle est impliquée dans la vie de la société. Elle accompagne les travaux des champs, les cérémonies rituelles, religieuses, funéraires, les réjouissances, les guerres en somme les cérémonies familiales. Elle a pour rôle non seulement d’éduquer, de soigner, d’informer, de prier, de festoyer, de véhiculer des messages et des valeurs comme le diom (dignité), le soutoura (discrétion,) …… la solidarité, mais aussi d’enrichir l’expression de la diversité culturelle et complémentaire en raison de la composition cosmopolite du Sénégal.
Au regard de la diversité ethnique, la musique traditionnelle se conjugue au pluriel au pays de la Téranga car chaque groupe ethnique a des traits culturels et stylistiques qui le spécifient. Pour sauvegarder la démocratie culturelle, le premier président, Léopold Sèdar Senghor, favorise non seulement les arts et les lettres, mais aussi tente de revitaliser les arts traditionnels dans le but de cimenter une densité nationale (5). Sa griotte Yandé Codou Séne, Samba Diabaré Samb le virtuose du Xalam, Baaba Maal, Feu Demba Dia Rock mbalax, Touré kounda sont très représentatifs dans cette variété musicale.
Caractéristiques de la musique traditionnelle
Au pays de la Téranga rappelle Aziz Dieng, la musique traditionnelle est rituelle et a un caractère fonctionnel ou circonstanciel. Elle se dissout entièrement à l’intérieur des contextes qui l’englobent et lui donnent sa raison d’être car c’est l’évènement lui-même qui détermine le rythme et la mélodie.
Pour chaque circonstance il existe un répertoire propre constitué d’un nombre plus ou moins important de chants, de rythme, de danse, que l’on interprète en les enchaînant les uns aux autres. Leur succession comme la durée de chacun d’eux sont laissées au libre arbitre des participants. Etant avant tout une musique vocale de type antiphonal où alternent soliste(s), et chœur, elle est aussi instrumentale.
En effet, elle emploie des instruments fabriqués avec des matériaux locaux comme des calebasses, du cuir, des cornes de vache et des coquillages : le Sabar (percussions typiques des griots wolof, lébou et sérère) Bombolong (percussion typique des diolas de la Casamance), le riti, le xalam le tama et le toukoussou ngalam, Ces différents instruments permettent d’exécuter des musiques pour accompagner les danses telles que le nguel et le mbilim des sérères, le Sabar des wolofs, le yela des toucouleurs, le beguerep et la danse du kiumpo des diolas, sans oublier le… des bassaris etc.
D’année en année, les répertoires traditionnels de rythmes et de danses s'enrichissent et prennent des noms évocateurs : « tiéboudiène » (le plat par excellence du Sénégal), « Tyson » (le nom d'un lutteur) ... Si les rythmes avec mélodies sont souvent associés à des danses, les rythme sans mélodie ont une fonction communicative. Ainsi, par rythmes frappés sans mélodie, le joueur de sabar (percussion) exprime des sentiments, des valeurs, des traditions, des informations qui sont comprises par les auditeurs de même culture. Au seul son de percussion les anciens étaient capables de déchiffrer l’évènement annoncé et de cartographier le lieu.
À travers l’expression musicale, les individus ne font que manifester les prérogatives qui sont les leurs dans la société. La simplicité des mélodies, favorise la mémorisation des paroles transmises oralement. Toutefois il s’avère important de souligner que le texte prime toujours sur la mélodie et l’accompagnement n'est qu’un bourdon.
Evolution et enjeux de la musique traditionnelle
Aujourd’hui, la musique traditionnelle n’échappe pas au phénomène de la modernisation et de la mondialisation. Cette évolution engendre la séparation de l’activité musicale de son caractère fonctionnel. Le premier artiste de la musique ethnique sur la scène nationale et plus tard internationale est Baaba Mal avec le yela, Il a été reproduit par un halpulaar comme lui, en l’occurrence El Hadji Ndiaye propriétaire du studio 2000.
En effet, étant le propre de la tradition orale, elle devient de plus en plus, objet commercial, matérialisé sur des supports, et portant une propriété. De même certains instruments traditionnels tels que le sabar et le tama sont introduits dans le mbalax.
Selon Ousmane Sow Huchard, cette variété dominante de musique sénégalaise adossée au rythme traditionnel, doit son nom à la rythmique exécutée par un tambour appelé mbeug – mbeug. Ce tambour joue le rythme Mbalax sur lequel on déclame des chants ou on fait du tassu (6). D’autres tels que le riti, le xalam…. sont moins sollicités et s’effacent petit à petit au profit des instruments modernes comme le piano et la guitare.
Aujourd’hui beaucoup de créateurs tentent d’écrire la musique traditionnelle et de l’harmoniser dans le but de la répertorier et de l’interpréter avec des instruments modernes. Ils sont souvent amenés à infléchir leur production vers le mbalax ce qui conduit à une standardisation de la musique sénégalaise. Cette évolution permanente prend en compte les possibilités et les goûts de chaque époque : le choix des instruments, les mélodies ou leurs interprétations changent toujours au cours du temps et par le brassage culturel existant au Sénégal. L’enjeu principal est de voir comment protéger ce riche patrimoine culturel immatériel face aux nouvelles technologies de l’information et de la communication.
Ressources
1 -Constitution du Sénégal 2001, préambule
2 - Tchebwa, Manda, Musiques africaines, nouveaux enjeux, nouveaux défis, p15.
3 - Manda Tchebwa , Musique africaine : nouveaux enjeux , nouveaux défis ,p 15
4 - Selon Aziz Dieng, Ancien président de l’AMS et ancien conseil d’administration du BSDA
5 -Cédric David, Emission Couleurs d’été Sénégalessimo 3 5, La sénégalaise des années 60 à 90 1 … pour découvrir la richesse et l’histoire de la musique sénégalaise,
6 Ousmane Sow Huchard , cultures, médias et diversité ethnique. la nation sénégalaise face à la ...
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