Fadimata Walett Oumar : « Si on ne joue pas notre musique, c’est la fin pour nous »
À l’invitation de l’association TIMILIN, moudre nos idées ensemble, la librairie Babelle à Plouha (Bretagne) a reçu samedi 5 novembre un grand nom de la scène musicale malienne, Fadimata Walett Oumar, lors d’une rencontre-dédicace. Pour les jeunes au Sahara, artistes ou non, cette femme issue de la noblesse touarègue est une légende vivante dont ils et elles s’inspirent.
L’ouvrage autobiographique Fadimata tan Timbuktu est une façon très intéressante de comprendre ce qui a poussé et permis à une jeune femme nomade de choisir sa propre voie et d’en inventer de nouvelles.
Résumé :
La vraie vie d'une femme touarègue du Mali : un témoignage vivant du monde touareg d'aujourd'hui.
Fadimata Walet Oumar, dite « Disco », est aujourd'hui connue comme musicienne, leader du groupe touareg Tartit, avec lequel elle fait le tour du monde. Elle raconte ici son parcours, depuis sa naissance sur une dune du Sahara malien, au nord de Tombouctou, en passant par la vie au campement et son nomadisme, sa découverte des bourgs sahéliens où elle va à l'école, puis les années passées comme réfugiée, avec sa famille, au Burkina Faso et en Mauritanie, ses engagements dans l'humanitaire, dans la musique.
Elle raconte l'importance de la famille, des solidarités, de la culture. Une culture bousculée, secouée par les soubresauts du pays. Femme touarègue, Fadimata est « le pilier de la tente ».
En France aussi Fadimata Walett Oumar est perçue comme une femme inspirante, dont la force et l’engagement puissant aux côtés de son peuple étonnent, questionnent et surtout suscitent respect et admiration.
Une émission de radio intitulée « Le désert en héritage » lui a été consacrée justement en Bretagne. Elle est la première femme nomade à témoigner dans « Femmes de caractères », une série de podcasts qui réunit plus de soixante portraits de femmes d’horizons très divers.
Cette militante pour les droits humains et la paix est basée à Bamako (Mali). Originaire de la ville de Tombouctou, elle crée le groupe Tartit avec d’autres femmes nomades dans les années 90 pour faire entendre la voix des Kel Tamasheqs. Elle est le plus souvent en déplacement, alternant la scène et le développement d’actions humanitaires dans les camps de réfugiés.
Quand j’étais de passage en Italie, alors jeune nomade invitée à témoigner des évenements dans mon pays, des difficultés dans les campements, il n’y avait pas beaucoup de monde à venir m’écouter. J’ai alors eu l’idée de réunir un groupe de femmes, de nous autoproclamer chanteuses à la mode occidentale. Chez nous tout le monde chante, ce n’est pas un métier. C’était le moyen le plus efficace pour que nos messages passent. Le succès a été immédiat. Depuis 1995, nous voyageons grâce à notre musique. « Tartit » est notre passeport, notre porte-voix pour partager avec le monde entier notre liberté de parole en tant que nomades, en tant que femmes, et notre culture.
Convaincue de la portée de toute dynamique collective, positive, Fadimata Walett Oumar œuvre dans des projets de solidarité internationale en partant de l’essentiel : le terrain, l’action concrète, la capacité de chacune à se prendre en main et de décider pour elle-même, quel que soit le contexte dramatique qui limite l’engagement.
Consciente de sa propre chance en tant que femme d’avoir pu accéder à l’école puis au lycée, elle milite pour ce qui, dit-elle, est trop souvent oublié quand il s’agit de s’éterniser et de discourir sur des accords de paix qui peinent à être appliqués : l’éducation, l’éducation, l’éducation...
Evoquant la commission sur l’Accord d’Alger, où Fadimata Walett Oumar a été invitée à siéger, elle explique comment les femmes sont représentées depuis peu et comment elles contribuent autrement aux discussions.
Fadimata Walett Oumar impressionne par sa présence, son aisance, sa liberté de ton, mais aussi par la force de ses convictions, par les valeurs héritées de sa culture nomade qui apportent une vraie profondeur à son témoignage.
Pour l’association TIMILIN, le succès de cette rencontre à Plouha est un signal fort qui ouvre des perspectives de partenariats, mais aussi un beau symbole d’engagement à quelques jours du lancement du Festival International des Nomades qui se déroule à M’hamid el Ghizlane les 12 et 13 novembre.
Fadimata Walett Oumar espère recevoir un jour une invitation de ce grand festival. Si Tartit s’est déjà produit au Maroc, cela fait bien longtemps. « Ils nous ont oubliées depuis ce temps » pense la chanteuse de Tombouctou tout en accompagnant ce regret d’un sourire franc et généreux.
De très nombreux groupes se sont créés au Sahara et participent au rayonnement des musiques du désert, aussi riches et variées que le sont les paysages de ces vastes espaces arides, de la Mauritanie au Soudan. Les festivals qui fleurissent dans le désert n’ont pas de difficulté à programmer des artistes.
Là où les femmes étaient les détentrices du savoir et de la transmission dans la culture traditionnelle, les hommes et les guitares électriques ont repris le flambeau, reléguant dans le paysage musical moderne les femmes au second plan. Il existe heureusement des exceptions, « Tartit » au Mali en est le plus bel exemple, ou les Filles de l’Illighadad, trio de la région d’Agadez.
Pourquoi sont-elles si peu nombreuses à tenter l’aventure artistique pour assurer la relève, à l’heure où les droits des femmes sont mis sous les feux des projecteurs ? Sans doute parce que les conditions d’inégalités sont encore trop flagrantes dans le secteur musical lorsqu’on s’éloigne un peu des métropoles et des lieux de diffusion culturelle.
« Dans le monde entier, les femmes sont les piliers de la société », cette phrase de Fadimata Walett Oumar est tirée d’un film réalisé en 2006 par Michel Jaffrenou « Jusqu’à Tombouctou ».
Dix ans plus tard, une réalisatrice anglo-américaine, Johanna Schwartz, choisit une phrase de Fadimata Walett Oumar pour le titre de son film « They will have to kill us first ». Ils devront nous tuer d’abord. Voici la bande-annonce de ce documentaire primé en festival.
« Si on ne joue pas notre musique, c’est la fin pour nous ». Ce cri du coeur suffit à comprendre pourquoi Fadimata Walett Oumar n’entend pas lâcher son combat, sur l’éducation et la culture, sur la tolérance et la paix, mais aussi pour promouvoir la place des femmes sur les scènes de musiques actuelles.
Après ces années de pandémie, celle que tout le monde connaît par son surnom, « Disco », en appelle à la solidarité. Fadimata Walett Oumar remercie par avance les festivals qui permettront aux six femmes du groupe Tartit et à leurs musiciens de retrouver le chemin de la scène.
Grâce à cette mobilité retrouvée, elle voudrait que Tartit aille à la rencontre d’autres femmes nomades pour s’intéresser à leurs conditions de vie et de subsistance, à leur répertoire traditionnel, et s’assurer que la chaîne de transmission ne soit rompue faute de prise en compte suffisamment forte de ce trésor.
Pour l’anecdote, pendant l’édition 2016 du festival international des Nomades à M’hamid el Ghizlane, quelque mois avant qu’une bretonne ne mette ce festival à l’affiche du Womex en Espagne, Johanna Schwartz présentait « They will have to kill us first » au Festival international du films de femmes qui fête ses 45 ans en 2023.
Vous pouvez d’ailleurs participer à cet anniversaire de façon simple et originale, en vous invitant dans la programmation.
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