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Interview - Cécile Rata, directrice de Africa Fête Marseille
Par Gilles Arsène Tchedji
En 2001, lorsqu’elle débarquait à Dakar pour un stage de 8 mois auprès de Mamadou Konté, celle qui est devenue la directrice de Africa Fête Marseille était loin de s’imaginer qu’elle porterait des années encore le combat militant de son mentor : faire de Africa Fête, le festival marseillais dédié à la culture africaine. Cécile Rata que nous avons rencontrée hier en début de matinée à la Friche Belle de Mai est en pleine organisation de la 12e édition de ce rendez-vous des cultures. N’empêche, pour Le Quotidien, la « Sénégalaise d’adoption » s’est prêtée avec beaucoup de plaisir à nos questions, dans une ambiance bon-enfant.
- Cécile Rata, directrice de Africa Fête Marseille. (Photo) Facebook Officiel
Vous avez lancé jeudi dernier l’édition 2016 du festival Africa Fête. Comment cela se déroule ?
Nous avons lancé l’édition 2016 du festival dans de très bonnes conditions. C’est la 12e édition. Nous avons accueilli le vernissage de l’exposition Femmes d’Afrique au Crij, sur la Canebière, jeudi dernier. Le griot sénégalais Sadio Cissokho, accompagné du percussionniste Aziz Manga, a animé le début de la soirée, au milieu des 32 portraits de femmes ; ces femmes qui ont changé et fait évoluer le continent africain à travers les siècles.
Du Sénégal, on retrouve parmi elles, Mariama Bâ par exemple, ainsi qu’un portrait vidéo de Germaine Acogny. Le lendemain, nous avons accueilli la première soirée musicale, en même temps que le lancement de l’Euro 2016, à l’Arthémuse, un lieu de jazz en centre-ville de Marseille. La soirée a affiché complet (petite jauge de 120 places). 2 groupes étaient programmés : un groupe marseillais KBK, composé de 3 excellents musiciens : Pierre-Auguste Bona à la batterie, Mao à la basse et Jeff Kellner à la guitare.
La soirée s’est poursuivie avec Swing Manding, un projet initié en 2015 par l’association Casart Culture, qui regroupe 2 musiciens marseillais (violon, contrebasse) et 2 musiciens casamançais (Sadio Cissokho kora /chant et Aziz Manga aux percussions).
Le samedi 11 juin, il y avait plus de 3000 personnes sur le toit-terrasse de la Friche (pendant que d’autres se déchiraient sur le Vieux Port) pour danser aux rythmes des trois meilleurs Dj de Marseille, à savoir DJ Oil, Ketu et Tony S. La soirée s’est poursuivie au Darlamifa, avec Ketu et Tony S aux platines, qui ont fait danser le public jusqu’à 4h du matin avec une sélection des meilleurs sons afro des années 70/80.
Pour cette 12e édition, on remarque qu’une part belle a été réservée à la femme, à travers une exposition, mais aussi à travers la programmation artistique. C’est quoi l’idée derrière cette démarche ?
Africa Fête est un festival militant, et n’oublions pas que les femmes, surtout en Afrique, portent le continent. C’est donc naturellement que nous avons offert une belle place à la femme cette année, même si l’idée au départ n’était pas de faire une soirée de femmes. Nous avons conçu la programmation ensemble avec Victor Faye, qui travaille à Africa Fête Marseille depuis trois ans (Ndlr : Chargé de la communication), et nous avons bien sûr collaboré avec l’équipe sénégalaise d’Africa Fête. C’est ainsi que le groupe Keur Gui est invité cette année. Nous avions envie de montrer la scène hip hop engagée d’Afrique, nous avons donc choisi Keur Gui, qui est en tournée en Europe, et le Comorien Cheikh MC, très connu aux Comores et très impliqué dans de nombreuses causes.
Comment s’est d’ailleurs faite la programmation de cette édition ?
Chaque année, nous nous efforçons de programmer des artistes qui ont une proposition artistique percutante, notamment sur scène, qui ont une actualité musicale. De plus, nous sommes attentifs aux artistes qui évoluent sur le continent africain ainsi que la scène locale marseillaise. C’est donc assez naturellement que nous avons repéré au niveau régional Tina Mweni, qui est une pépite de hip hop/soul/funk et une excellente danseuse, elle sort son album à la rentrée. Sayon Bamba est une artiste qu’Africa Fête suit depuis de nombreuses années, mais nous n’avions pas encore eu l’occasion de la programmer. Elle est basée à Conakry mais elle a vécu des années à Marseille, elle fait donc partie aussi de la scène régionale, de plus elle sort un album cet été.
Gasandji a sorti un très bel album il y a deux ans, qui a remporté le coup de cœur de l’académie Charles Cros, elle a également remporté le prix Rfi. Elle vient en version quartet (chant, guitare, percussions, flûte) à Marseille, elle a une très belle présence scénique, et un look percutant également. L’artiste Mariama qui sera de la partie, est certainement le coup de cœur d’Africa Fête. Elle a une voix soul à la Tracy Chapman, elle jouera en formation voix/kora. On lui prédit une belle carrière musicale. Enfin, Oum est certainement l’artiste marocaine la plus en vogue cette année, et son mélange de sonorités jazz oriental fait de son concert un résultat détonant, avec une formation contrebasse, oud, trompette et percussion.
Qu’est-ce qui a motivé le choix de Féfé du groupe Saïan Supa Crew comme tête d’Affiche ?
Saïn Supa Crew est le groupe de rap français qui a vendu le plus d’albums, ils ont connu une carrière internationale incroyable. Féfé est le seul qui continue aujourd’hui et mène une carrière solo. Nous avons approché Féfé en 2007 au moment où le Saïn se séparait, nous lancions un projet qui allait s’appeler en 2008 Périferias, entre Dakar, Ouaga, Marseille et Sao Paulo. Nous sommes partis avec Féfé et Sir Samuel a Sao Paulo, rencontré le groupe mythique brésilien Racionas MC, ils ont enregistré. Ensuite on a poursuivi le projet avec d’autres artistes comme Imhotep (Iam), Awadi, Duggy Tee, Smockey… Cette année, Féfé revient avec un album (qui sortira certainement cet été mais nous aurons un avant-goût sur la scène d’Africa Fête !) dans lequel il renoue avec ses racines africaines (Ndlr : Féfé est d’origine nigérienne).
Peut-on voir, à travers le choix du groupe Keur Gui ou encore la projection du film sur la révolution au Burkina, la vocation militante de Africa Fête ?
Oui bien évidemment ! Africa Fête a une grande histoire à porter, le festival est né du militantisme de Mamadou Konté son fondateur. Il était d’abord un militant avant de devenir producteur musical. Nous sommes toujours très attachés aux valeurs que Mamadou Konté a impulsées en créant Africa Fête, notamment aux valeurs de panafricanisme, de partage, d’échange et de découvertes.
Pour cette édition, quelles ont été les difficultés rencontrées ?
Cette année a été particulièrement difficile car la Région Paca, notre principal partenaire, a diminué la subvention, et les autres collectivités (Mairie, Conseil départemental, Etat) nous suivent frileusement. Nous tenons à garder une politique tarifaire basse afin de favoriser l’accès à nos concerts à un public diversifié. Cependant, il est très difficile de maintenir le festival car les moyens financiers diminuent.
De juin 2007, date du décès de Mamadou Konté à ce jour, qu’est-ce qui a changé dans ce festival ?
Nous avons créé ensemble Mamadou et moi le festival à Marseille. Aussi de 2005 à 2007, nous avons fait la programmation ensemble. Au moment de son décès, le 20 juin 2007, juste avant la 3è édition de l’édition marseillaise, nous avons tous été bouleversés. Mamadou nous a demandé avant de mourir de continuer le festival. C’est ainsi que Daba Sarr (Ndlr : directrice Africa Fête Sénégal) a été élue présidente de Tringa musiques et développement au Sénégal et assure le rôle de directrice du festival à Dakar.
Quant à moi, je suis partie faire neuf ans à Dakar pour accompagner les projets sur place (Africa Fête, tournées d’artistes et concerts, mise en place du Bureau export de la musique africaine-Bema) tout en gardant la direction artistique du festival Africa Fête Marseille. Pendant toutes ces années, une équipe composée de Fanny Cautain, Isabelle Schmitt, puis Victor Faye ont assuré la mise en œuvre d’Africa Fête Marseille.
Nous avons pu développer d’autres axes qui nous semblaient nécessaires, notamment les ateliers de médiation tout au long de l’année, avec les quartiers de Marseille, (public scolaire, centre social), des résidences artistiques internationales (ex : Afrique/Brésil/Marseille), des ateliers artistiques (ex : cour de kora..) de la production d’albums. Nous avons tissé un réseau de partenaires associatifs locaux. Tout ceci trouve son résultat à travers le festival Africa Fête, qui sert de vitrine de nos activités à l’année. C’est ainsi que nous avons maintenu le village associatif, sorte de poumon du festival, qui réunit cette année 38 associations (militantes, artistiques, humanitaires), toutes impliquées sur le continent africain, ainsi que des animations : lecture, conte, concert, cirque, danse, stages de danse, défilé de mode, dégustation culinaire, ataya sénégalais, batoucada, etc.
Qu’est ce qui a aussi évolué dans ce festival par rapport aux premières éditions ?
Nous avons essayé de nous ouvrir à d’autres lieux, en tissant des partenariats, et à d’autres disciplines, comme le cinéma, l’art plastique, etc. C’est ainsi que cette année nous sommes sur 8 lieux et nous proposons une expo, 3 films, des débats, 1 lecture, 3 stages de danse, en plus des 15 concerts.
Ce combat de Mamadou Konté de faire de Marseille « un petit continent africain » est-il toujours en vogue ?
Marseille est à la croisée des chemins, la porte de l’Afrique, la porte de l’Europe. Il y a une grande communauté africaine à Marseille, notamment du Maghreb (on est aux portes d’Alger), des Comores (près de 80 000 Comoriens à Marseille soit 10% de la population de la cité phocéenne) et d’Afrique de l’Ouest également.
Aujourd’hui, avec la montée du Front national, les problèmes xénophobes, islamophobes, si nous voulons continuer à vivre ensemble en harmonie, il est indispensable de connaître la culture de l’autre, de s’intéresser à ce qui nous unit et non à ce qui nous sépare. La musique est ce lien-là, et Africa Fête représente aujourd’hui le seul festival marseillais dédié à la culture africaine.
Bientôt les 40 ans de Africa Fête. Vous pensez déjà à comment l’organiser ?
Nous allons organiser l’année prochaine les 10 ans de disparition de Mamadou Konté. Nous sommes en train de préparer cela, à Marseille, à Dakar et voir ailleurs si nous en avons les moyens. Et en 2018 effectivement, ce sera les 40 ans.
Quand nous avons organisé les 30 ans en 2008, on voulait montrer qu’Africa Fête continuait, malgré le départ de Mamadou. C’était un vrai challenge, et beaucoup de gens n’y croyaient pas. Mais nous avons reçu aussi beaucoup d’encouragements, c’est ce qui nous a aidé à continuer. Alors pour les 40 ans, oui nous sommes prêts !
Interview initialement publié sur Le Quotidien le 15 Juin 2016
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