Je (re)découvre la musique de Khamdel Lô
Khamdel Lô pratique ce qu’un ami à moi appelle un mbalakh pour « nandités ». Entendez par « nandités » des jeunes (ou moins jeunes) gens branchés, toujours tirés à quatre épingles et qui s’y connaissent en matière de belles sonorités. Et je pense que ce qualificatif n’aurait pu être plus juste pour qualifier la musique de Khamdel Lô.
Ayant débarqué sur la scène musicale sénégalaise en 1986 à la faveur de la formation du groupe Ceddo avec son acolyte Laye Bamba Seck, le groupe connaît tout de suite un succès fulgurant. Avec en point de départ le quartier des HLM, quartier populeux dans l’arrondissement de Grand-Dakar, Khamdel Lô et Laye Bamba Seck s’imposent et imposent leur style de musique, que l’on pourrait situer à un carrefour entre mbalakh, pop et afro-fusion.
En atteste leur chanson « Sangoul » (1995), véritable croisade contre la toxicomanie, qui demeure à ce jour (selon mes jeunes oreilles) leur plus gros succès. Le clip vidéo, mêlant éclectisme et esthétique bien sombre, est un bijou.
Ceddo fidélise son public, remplit les salles (dont la mythique salle du Théâtre National Daniel Sorano), et la fièvre Ceddo s’empare de tous les jeunes dakarois qui se retrouvent dans les textes de ces deux frêles jeunes hommes, et qui, fidèles à la philosophie des guerriers Ceddo, chantent les maux de la société sénégalaise avec un brin de révolution.
Après quatre albums Dou Wess (1992), Sangoul (1995), Kogn Bi (2002) et Fusion (2005), l’aventure Ceddo prend fin et Khamdel tente l’aventure solo.
Cette aventure, débutée en 2007, le voit créer sa formation, le Super Ceddo, comme une espèce de continuité du groupe, mais en y apportant une nouvelle ossature. Car Khamdel, c’est avant tout un style, aussi bien vestimentaire que musical. Et je suis convaincue que c’est ce qui fait la particularité d’un créateur, quel que soit son domaine d’activité.
Autant Omar Pène (eh oui, encore lui), m’a « séduite » avec son allure de rock-star avec sa célèbre veste en cuir de l’époque de Nila (Syllart Productions, 1991), autant Khamdel a ce style qui apporte une touche non négligeable. Tignasse poivre et sel savamment entretenue, voix rocailleuse et groovy à souhait, combinées à cela un style mi-sportswear, mi-classy, il a de quoi accrocher son ancien et le nouveau public, qui le (re) découvre. Ce qui a le mérite d’accrocher l'œil et l’oreille. Et c’est tout ce qu’on demande - en somme - à un artiste.
Étant très jeune lorsque l’aventure Ceddo a débuté, je n’ai pas vraiment prêté attention à l’évolution de ce groupe mythique. Mais je commence à me rattraper avec l’aventure solo de Khamdel, que je redécouvre pour mon plus grand plaisir. Après Yonn Bi (2010) et Repères (2019), Khamdel revient avec le superbe Keur Mame 791, sorti il y a moins d’un an.
Après l’avoir vu deux fois en showcase, j’ai été agréablement surprise de voir que sa puissante voix n’a pas pris une seule ride. Keur Mame 791, du nom de la demeure familiale sise aux HLM, est un concentré de neuf titres, aux thématiques aussi diverses que variées. La pochette, véritable œuvre d’art, nous plonge dans une atmosphère vintage où l’on voit l’artiste en tenue colorée, l’oreille collée à un transistor d’époque. « Jegueulou » : assurément, ma chanson préférée de l’album. Musique douce, voix en sourdine, montant dans les aigus, puis redescendant, Khamdel rend ici un hommage appuyé à toutes les personnes ayant des professions très prenantes (pilote, sage-femme, médecin, caissière, artiste). Lesdites professions qui les tiennent éloignés de leurs familles et leur faisant rater les moments importants. Il demande donc pardon à tous les loved ones qui patientent encore et encore.
La vidéo aussi est sublime.
« Mandiaye » : cette chanson est un classique parmi les classiques de l’époque Ceddo. Anciennement intitulée « Sagn Sagn », le titre est un hommage à Mandiaye Diop, compagnon de longue date de Khamdel, et par ailleurs régleur de multiples situations de crise. Véritable ode à l’amitié, la chanson (avec juste ce qu’il faut de percussions), est à écouter et réécouter. Et accessoirement, à danser aussi … « Demna » : la mort est la seule vérité qui met tout le monde d’accord. Quel que soit le moment, l’activité que nous étions en train d’effectuer, lorsque la grande faucheuse doit arriver, elle arrive, sans prévenir. Nul ne peut échapper à son destin. Superbe rappel de notre mortalité en musique.
« Dji » : les enfants sont des pépites, qui à force d’amour et d’affection, révèleront leur potentiel une fois grands. Mais lesdits enfants, même s’ils ont reçu la meilleure éducation du monde, seront les seuls à faire preuve de libre arbitre. « Maman » : beaucoup d’émotion à l’écoute de ce titre. Khamdel y rend hommage à sa mère. Mère qui s’est sacrifiée pour que son fils soit l’homme qu’il est aujourd’hui. Le plus : la généalogie savamment contée, histoire de la fixer dans l’histoire et dans le temps.
« Député » : les députés sont élus pour siéger à l’hémicycle et être les voix du peuple. Dans une belle allégorie prenant pour point de départ la figure du député, Khamdel interpelle tout un chacun à ne pas utiliser l’autorité et les richesses pour écraser les plus faibles. Car la cause qui est résolument nôtre, c’est le Sénégal. « Sou Done Yow » : un autre de mes titres préférés. Khamdel lance un cri du cœur pour narrer la souffrance des immigrés, qui non seulement suent sang et eau, mais se font aussi arnaquer et délester de leurs avoirs. S’y ajoutent les arnaqueurs, qui, bien installés au pays, n’en auront cure et joueront aux gros bonnets pour expliquer leurs forfaitures.
Une véritable fresque sociale que cette chanson : « Bari pékhé dioub moko geune ». « Djiko » : cette chanson vient fermer le top 3 de mes titres préférés de Keur Mame 791. Les mentalités doivent changer, surtout dans cette époque délétère que nous vivons, car quelles que soient les forfaitures commises, chacun sait qui il est, au plus profond de lui.
Keur Mame 791 est un album à écouter, tant les paroles sont d’actualité; mais aussi à danser, car pour l’avoir vu joué en show, la version live vaut son pesant d’or. Je ne m’aventurerais pas à dire que ce disque est celui de la maturité, mais je m’y risquerais bien un chouya.
Car à 52 ans bien tassés et plus d’une vingtaine d’années de carrière, l’on sent, quand on écoute la musique de Khamdel Lô, qu’il capitalise toutes ces années d’expérience acquises et chante avec brio. Pour le plus grand plaisir de nous mélomanes. Après une série de concerts et showcases l’ayant tour à tour conduit à Paris, Cologne, Aldaia et Rotterdam durant tout l’été pour la promotion de Keur Mame 791, sans oublier quelques passages presse remarquables, j’attends la suite de son aventure musicale avec impatience. Car je suis sûre qu’elle sera fantastique.
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