L’histoire du hip-hop Nigérian
Ce texte offre un aperçu des origines et de la montée du genre hip-hop dans la musique nigériane, de ses débuts, sa forme brute et jusqu’à l’émergence d’un style unique national.
L’idée que la voix du Nigéria moderne serait un genre de musique presque inextricablement associé dans l’imaginaire collectif aux cruelles rue de l’Amérique urbaine pourrait sembler quelque peu absurde. Mais au moment de l’écriture – à mi-chemin dans la deuxième moitié du 21e siècle- le son le plus populaire, omniprésent et au plus grand succès commercial dans le pays depuis ces cinquante dernières années est… le hip-hop. Mais rien ne s’est fait en une nuit ; le hip-hop a traversé une longue route pour être accepté et diffusé sur les grandes plateformes, une route s’étendant sur quatre décennies avec quelques accrocs.
Le rap et sa culture hip-hop se développent dans plusieurs quartiers latinos et noirs à New York depuis les années 1970 mais ce n’est qu’en 1979 que le Nigéria (comme partout ailleurs) a un aperçu de la nouvelle tendance avec « Rapper’s Delight ». L’hymne disco et danse de Sugar Hill Gang est depuis reconnu comme le premier grand titre hip-hop, le point de départ d’un genre qui marquera une nouvelle époque dans la musique populaire. A l’époque, le hip hop est perçu comme une tendance éphémère, amusante et entrainante s’inspirant des contrefaçons, lancements et reprises de par le monde. Le Nigéria ne fait pas exception et répond à la folle vague du rap en 1981 avec « The Way I Feel Rap », enregistré par le disque jockey populaire Ronnie Ekundayo de Lagos.
Au cours des dix prochaines années, beaucoup d’autres artistes nigérians suivront les pas de Ronnie en expérimentant occasionnellement avec des morceaux hip-hop. L’acte même de « rapper » vient d’une identification stricte avec les rythmes de funk et disco et du style expressif noir américain ; en conséquence, les tentatives de hip-hop nigérian penchent plutôt vers les accents et inflexions de leurs influences américaines. Mais à la différence des MC américains, qui se régalent avec des paroles sciemment rimées, de fins jeux de mots, de la narration plus vraie que nature et de vifs messages ; les rappeurs nigérians aspirants à la célébrité ne sont pas forcément concernés par la volonté de communiquer avec l’audience – ils rappent pour le son plutôt que le contenu. Leurs versets sont rarement compréhensibles, composés de charabia et de sons qui ne riment pas pour la plupart du temps ; tant qu’ils mimaient le ton bourru et la cadence triplée de staccato du style de rap new yorkais «à l’ancienne », ils pouvaient penser à une petite gloire.
Tout cela commence à changer lorsque le rap nigérian entre dans sa deuxième décennie. On voit en 1991 l’introduction d’une génération d’artistes hip-hop nigérians qui donnent un nouveau sens de localisation du style. « Which One You Dey ? » par le trio Emphasis, « Monika » du duo Junior&Pretty et le groupe de quatre Pretty Busy Boys et « Big Belle » refoulent tous la pratique établie d’imiter les accents américains, rimant plutôt dans le populaire patois ouest africain de pidgin, mêlant des histoires drôles sur l’amour et la vie d’une perspective nigériane contemporaine avec un flot de paroles modérés et compréhensibles. Ils se démarquent aussi de cette dépendance de rythmes recyclés de funk américaine, ajustant leurs versets à des accompagnements musicaux façonnés par l’afrobeat et le highlife. (Junior&Pretty en particulier insistent sur leur redéfinition du hip-hop loin du standard typiquement américain en revêtant souvent des daishikis Hausa et tuniques de chefs Ibos et en comparant leur style de hip-hop aux plats locaux du Nigéria le dénommant comme « Fufu Flavour », gout de fufu.
Junior&Pretty, Emphasis ou Pretty Boys ne restent pas longtemps sur la scène mais leur exemple d’évolution radicale influencera le développement d’un style de hip-hop « Naija » sui generis pour le reste de la décennie. Les années 90 sont marquées par l’émergence d’artistes tels que Ruff, Rugged & Raw, The Remedies, The Trybesmen (loués comme les « Run-DMC d’Afrique »), la rappeuse androgyne Weird MC et Plantashun Boiz (dont le chanteur 2Face Idibia sera ensuite une des plus grandes stars du genre). Au final, le hip-hop demeure tout de même une niche et pas un genre populaire. Mais dès le début des années 2000, la plupart des musiques populaires telles que le highlife, le juju et le reggae sont en déclin. Les nigérians commencent à importer de la musique de danse d’autres coins de l’Afrique comme le soukous électrifiant du chanteur congolais Awilo Longomba. Il y a aussi le kwaito sud-africain auquel les nigérians sont exposés à travers la nouvelle chaine de musique accessible par câble Channel O. La chaine propose également des vidéos clips nigérians, préférant des artistes hip-hop aux tendances visuelles flamboyantes - des styles clinquants, des danses inventives et un sens unique de la sape – font d’eux des stars naturelles. Channel O et les autres chaines de clips qui suivirent ont beaucoup fait pour élever le profil du hip-hop au Nigéria et pour un pays désespérément à la recherche de son propre son local, le hip-hop a su combler ce vide.
Depuis, le hip-hop nigérian est irrésistible et influence toute l’Afrique et au-delà. Le genre se vend par millions et les artistes demandent des sommes astronomiques pour endosser de grandes marques nationales et internationales. Le duo de hip-hop nigérian P-Square provoque des mouvements de foule lorsqu’ils se produisent à Lagos, Nairobi ou Paris. La chanson « African Queen » de 2Face est désormais un hymne générationnel parmi les adolescents dans les Philippines lointaines. D’Banj collabore avec la superstar internationale Kanye West. Le mauvais garçon du R&B Chris Brown fait des pas de danse nigérians et avoue copier Wizkid. Le hip-hop nigérian rivalise avec l’industrie du film Nollywood au niveau de l’export culturel le plus visible et effectif.
Mais à travers tout cela, le hip-hop « Naija » demeure le réservoir de nombreuses critiques. Particulièrement de commentateurs âgés voyant le hip-hop comme la représentation de tout ce qui est moralement et spirituellement dépravé dans la jeunesse nigériane. Le commentateur Benson Idonije– le chef de file légendaire de la critique de musique nigériane - attaque régulièrement et avec ferveur le hip-hop, le dénonçant comme un spectacle de déliquescence culturelle ; une génération effroyablement vaine, singeant bêtement une mode musicale étrangère insignifiante. « Le hip-hop est une chose contemporaine où l’on trouve des nigérians imiter le style américain » grogne Idonije. « Nous n’avons pas [une identité] au Nigéria parce que les jeunes nigérians se tournent vers les Etats-Unis pour leur futur».
De telles déclarations illustrent une certaine surdité musicale de leur part. Malgré cela, même l’analyse la plus superficielle du hip-hop nigérian à côté de son homologue américain atteste qu’à l’exception de leur esthétique de production esthétique numérique partagée, ils ont des sonorités totalement différentes. Le rythme fondamental à l’origine du hip-hop nigérian n’est pas la funk mais l’intemporelle clave déséquilibrée du highlife ouest africaine. (La scène hip-hop au Ghana- où la musique s’est développée en parallèle – accepte plus directement cet héritage en dénommant leur musique « hip-life ».)
Alors peut-être, le plus grand défaut du hip-hop nigérian est son nom, qui perpétue la perception de n’être rien d’autre qu’une pâle copie de morceaux de rap américains. Ils ont tenté de remédier à cela. Au Royaume-Uni, où la scène nocturne se concentre autour des sons, on appelle ça l’afrobeats (le ‘s’ à la fin ne mettant pas fin à la confusion avec un tout autre genre) alors qu’au pays natal certains s’y réfèrent comme Gbedu ou Naija beatz ou juste Naija. Mais peu importe son appellation, il va sans dire que ce son a touché les cœurs des nigérians, leur a fait voir leur nationalité comme une source de fierté et de style… et a « ginger » leur « swagger » (NDLR épicé leur apparence).
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