La censure de la musique dans le nord du Nigeria
Dans le nord du Nigeria, la musique a longtemps été utilisée comme un outil de critique sociale : un puissant moyen de dénoncer la tyrannie, la corruption et l'oppression. Cependant, les artistes qui tentent d'utiliser leur musique afin de véhiculer des messages sociopolitiques sont souvent victimes de la censure et d'autres formes de réprimande officielle. Cet article présente un aperçu de la censure dans la musique du nord du Nigeria.
Aperçu historique de la censure dans le nord du Nigeria
Le nord du Nigeria est une région multiethnique et multireligieuse ; de plus, elle a une riche tradition musicale qui est profondément ancrée dans la vie quotidienne de ses habitants. Les micro-communautés de cette région sont en outre régies par des codes culturels, religieux et éthiques différents. Par conséquent, la censure de la musique dans le nord du Nigeria est souvent basée sur des antécédents de nature politique, religieuse ou culturelle [1].
La forme la plus radicale de censure dans la région est née de l'introduction, en 1999, de la charia islamique dans les États à population musulmane dominante, tels que Zamfara, Kano, Sokoto, Katsina, Bauchi, Borno, Jigawa, Kebbi et Yobe. Dans ces États, la charia est utilisée pour interdire le contenu musical sensuel et vulgaire. Le Kano State Censorship Board (KSCB), sans doute l'organe de censure le plus visible du nord du Nigeria, a été créé en 2001. Depuis sa fondation, il a été confronté à des allégations d'intimidation et d'arrestations au sein de l’État de Kano, ce qui a provoqué un exode d'artistes vers les etats voisins perçus comme étant plus libéraux et plus favorable à exercer leur métier [2].
En 2010, le KSCB a répondu par l'intermédiaire de son Directeur général, Abubakar Rabo Abdulkareem, en faisant valoir que toute production médiatique serait tolérée tant qu'elle serait respectueuse des valeurs socioculturelles des personnes qu'elle représente [3].
Selon le conseil, conformément à cette définition, les actes qui constituent un blasphème et qui sont punissables par la loi comprennent la danse rapprochée entre une femme et un homme ; les femmes qui portent des pantalons moulants, des jupes courtes ou tout autre vêtement révélateur ; les femmes dont les cheveux sont découverts (sauf motif acceptable) ; les comportements injurieux ou le manque de respect envers les personnes âgées ; insulter ou faire l’objet de comportements dévalorisants à l'endroit d’une autre religion ou d’une autre culture ; utiliser des enfants pour des scènes qui ne leur conviennent pas ; observer des rituels ou pratiquer de la magie dans des films de façon inappropriée ; la nudité, des actes sexuels ou vulgaires ; ridiculiser une personne ou un groupe particulier ; enfin, contredire la loi islamique de toute autre manière [4].
Formes de censure
La censure s’exerce souvent lorsque des individus ou des groupes se sentent lésés par la production musicale ou visuelle d'un artiste et dénoncent l'artiste aux autorités compétentes. Le musicien et réalisateur Adam A Zango a été l'un des premiers artistes du nord du Nigeria à être arrêté par le KSCB après la sortie de son vidéoclip « Bahaushiya » (Hausa Girl). La charia a été invoquée lors de son arrestation. Après sa sortie de prison, Zango a émigré de Kano et a continué à enregistrer de la musique dans l'état voisin de Kaduna [5].
Un autre exemple est le cas du regretté comédien Alhaji Rabilu Musa Ibrahim (populairement connu sous le nom de Dan Ibro), dont le vidéoclip « Mamar-Mamar » a été présenté au conseil de censure par des résidents de Kano qui se sont plaints de son contenu suggestif. Il a été appréhendé et emprisonné pendant plusieurs mois.
La détention de l'artiste Baba Iyali en janvier 2016 [6] et l'enlèvement, les coups et l'arrestation du musicien Ado Daukaka en juin 2016 [7] sont des conséquences de ce qui été perçu comme des critiques ou des insultes à l'égard de politiciens influents. Aminu Abubakar et Murjanatu Dosa ont également été emprisonnés pour avoir critiqué le gouvernement en recourant à l'humour et à la dérision dans leurs chansons [8].
En outre, il existe des cas de censure qui prennent la forme de banditisme.. Ce sort aurait été réservé au musicien Dauda Nakahuta (Rarara), kidnappé par des agresseurs après avoir été arrêté pour la publication d’un chant de protestation contre l'ancien Président Goodluck Jonathan en 2014 [9].
Cet aspect de la censure à motivation politique se retrouve également dans le cas du chanteur Ado Halliru Daukaka, basé à Yola, qui a été arrêté en juin 2016 pour avoir chanté sur la corruption et l'incompétence du gouvernement dans l'État d'Adamawa. De même, Sadiq Zazzabi (Sadiq Usman Saleh) a été arrêté en mars 2017, prétendument pour avoir publié une chanson avant d'avoir reçu l'approbation du KSCB. Bien qu'il ait plaidé coupable aux accusations, qui comprenaient également le port d’habits indécents, Zazzabi a affirmé que le jugement était « préétabli » parce qu'il avait déjà produit une chanson en faveur de Rabiu Kwankwaso, un ancien gouverneur de l'État de Kano qui était à l'époque engagé dans une lutte de pouvoir qui l'opposait à Abdullahi Ganduje [10].
Impact de la censure dans le nord du Nigeria
Compte tenu de ce climat de censure strict, les musiciens du nord du Nigeria doivent prendre connaissance de la sensibilité culturelle de leur public et des lois et règlementations qui régissent la musique et le monde du spectacle dans la région. Cette pratique de faire des concessions a été démontrée lorsque le rappeur ClassiQ s'est excusé auprès de ses fans du nord du Nigeria pour avoir tenu la main de l'actrice Rahama Sadau dans le clip de 2016 pour sa chanson « I Love You » [11]. Beaucoup soutiennent que les excuses de ClassiQ ont été influencées par le fait de savoir que son succès commercial dépend de son acceptation par un public nigérian du nord du pays. Sadau, qui jouait son partenaire dans la vidéo, a par la suite été banni de l'industrie cinématographique de Kannywood [12].
Pour relever ces défis, la plupart des artistes adoptent l'utilisation d'images et de symboles ambigus pour parler indirectement de questions d'actualité ou controversées. «Ibro Makaho » de Rabiu Musa en est un bon exemple ; il s’agit, en effet, d’une chanson qui utilise la métaphore d'un véhicule conduit par une personne aveugle transportant des passagers aveugles pour s’exprimer sur la crise du leadership dans la région.
Resources and citations:
[1] http://www.worldpress.org/Africa/819.cfm
[2] https://www.vanguardngr.com/2010/05/our-grouse-with-kannywood-dg-kano-ce...
[3] ibid.
[4] https://www.researchgate.net/publication/268813777_Mission_and_Vision_of...
[5] http://www.africafiles.org/printableversion.asp?id=19876
[6] https://freemuse.org/news/nigeria-singer-detained-for-critical-song-of-p...
[7] https://freemuse.org/news/nigeria-musician-kidnapped-found-later-detaine...
[8] https://freemuse.org/news/censorship-nigeria-musical-free-expression-sha...
[9] https://www.dailytrust.com.ng/news/general/apc-famous-singer-rarara-kidnapped-released-in-kano/141787.html
[10] https://freemuse.org/resources/art-under-threat-in-2016/nigeria/
[11] https://www.premiumtimesng.com/entertainment/music/212514-classiq-apolog...
[12] https://www.independent.co.uk/news/world/africa/nigerian-actress-rahama-...
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Ce texte a publié originairement en anglais.
Edité par Patricia Yumba.
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