La musique et les médias au Burkina Faso
L’appui des médias à l’industrie musicale burkinabè est considérable, mais pour certains, cette collaboration ne profite qu'aux musiciens.
Le Burkina Faso est, selon le dernier rapport de Reporters Sans Frontières, l’un des pays où la liberté d’expression et de la presse est en pleine expansion.
Mais le chemin fut long, car de 1966 à 1987, le pays des Hommes intègres était plus connu pour ses coups d’État et ses régimes d’exception qui ne toléraient aucune liberté de ton ni d’idées. « Dans ces régimes, il n’y avait pas de liberté de presse. La seule presse, qui existait, était les organes d’État. Ils étaient généralement à la solde des tenants du pouvoir. C’était l’époque de la pensée unique, caractérisée par une instrumentalisation de la presse au service de l’idéologie dominante ou des doctrines politiques », explique le conseiller en communication, Dr Victor Sanou.
L’Observateur Paalga, le premier quotidien privé créé en 1973, a été le seul journal à faire réellement du journalisme : « Pendant longtemps le quotidien a su servir de cadre à l’expression contradictoire des idées qui ont animé la vie politique nationale ». Le retour aux valeurs démocratiques, avec une protection légale des journalistes, en 1991, a boosté le paysage médiatique surtout la presse privée.
L’International Media Support, une structure danoise, a recensé, en 2015, environ 250 maisons de presse réparties sur l’ensemble du territoire burkinabè, avec une forte préférence des Burkinabè pour la radio. Dans les cahiers de charge de ces médias figure en bonne place la promotion culturelle du Burkina Faso, la filière musicale en particulier.
Une presse moins commerciale
Des programmes sont conçus et des articles sont rédigés pour accroître l’attrait de la musique et d’autres expressions artistiques burkinabè. Cet engagement va jusqu’à la non-facturation du produit musical par certains organes de presse. Au Burkina Faso, les médias (privés comme publics), même subventionnés par l’État, ne fonctionnent que sur la facturation de leurs prestations.
C’est la conséquence d’un secteur confronté à une exiguïté du marché médiatique, à l’inexistence des offres publicitaires, etc. Pour éviter souvent le paiement des prestations médiatiques, certains acteurs de l’industrie musicale préfèrent des échanges marchandises avec la presse. Ce partenariat peut également aboutir à des arrangements financiers (informels) avec des journalistes ou des animateurs de radio et de télévision.
« Par le passé, un partenariat nous liait aux magazines culturels L’Obs Dim et Évasion. Des animateurs de radio recevaient de notre part, pour promouvoir nos produits, 25 000 FCFA par mois », avoue le directeur général de Seydoni Burkina, Prosper Traoré. La coopération va jusqu’à l’implication d’hommes de médias, pour assurer la communication, à l’organisation de grands événements musicaux. C’est un excellent moyen, de l’avis du directeur d'Umané culture, structure organisatrice de Waga festival (une manifestation majeure consacrée aux musiques urbaines), Ali Diallo, pour consolider les rapports avec les journalistes.
Même si le journaliste Richard Tiéné, l’un des partisans du relèvement du quota de diffusion de la musique, dénonce la dualité des artistes avec la presse : « Quand ils sont à leurs débuts, ils courtisent les journalistes, mais en cas de succès, ils deviennent inaccessibles ». Cette coopération ne profite pas aux journalistes ni aux entreprises de presse, déplore le rédacteur en chef d’Évasion, Issa Siguiré. Pour preuve, explique-t-il, beaucoup d’acteurs de la filière musicale sont incapables de s’acheter des exemplaires ou des espaces publicitaires pour renforcer la trésorerie des magazines culturels.
Un constat largement partagé par les responsables des principaux journaux culturels, à savoir Sidwaya Mag +, L’Obs Dim, Africastars et Infos sciences et culture (ISC). Selon le rédacteur en chef du bimensuel de L’Obs Dim, Arnaud Ouédraogo, cela résulte du copinage entre les journalistes et les acteurs musicaux. Foi du président de la Confédération nationale de la Culture au Burkina, Vincent Koala, les choses commencent à changer avec l’internationalisation des médias qui ne se contentent plus de couvrir les activités musicales, mais aussi d’exercer leur esprit critique.
« C’est l’ère de la critique de la musique burkinabè », soutient-il. Du côté de l’industrie musicale, l’on reconnaît certaines difficultés avec la presse liée au « gombo » (jargon utilisé pour parler d’argent) et à une forte diffusion des musiques étrangères sur les ondes. Ce qui n’entache en rien la promotion des créations musicales burkinabè à travers la radio, la télévision, les magazines culturels et les médias en ligne.
La radio, la plus accessible
Le Conseil supérieur de la communication (CSC), l’instance de régulation des médias, en a inventorié environ 160 chaines de radio à travers le pays. Dans leurs grilles de programmes, la musique burkinabè est amplement promue. Dans un pays où l’accès à l’électricité demeure un luxe, la radio est l’outil de communication prisé des populations surtout en zones rurales.
À commencer par la première radio du pays, la Radiodiffusion nationale du Burkina (RNB), créée en 1959, son programme est fait de plusieurs émissions musicales appréciées par ses auditeurs. Les plus célèbres sont Souvenir souvenir (chaque dimanche à midi), La tribune de l’artiste (chaque vendredi à 18h), Mélodie express (chaque samedi à 15h) et La quintessence des rythmes anciens.
Avec l’avènement de la démocratie, le paysage médiatique burkinabè s’est enrichi de nombreuses radios privées commerciales, communautaires et associatives avec des contenus majoritairement musicaux. Parmi elles, on peut citer Pulsar FM avec La 1re perche, une émission qui donne la parole aux musiciens débutants ou en herbe, Ouaga FM, l’une des radios les plus suivies, n’est pas en reste. Créée en 1999, elle est présente à Bobo-Dioulasso et à Ouagadougou, avec des émissions à dominance musicale comme Mosaïque et Soleil matin.
Première radio privée installée au Burkina Faso, Horizon FM ouvre ses micros aux chanteurs via Musiques urbaines. D’autres stations en font autant. La radio Légende, RMO, Wat FM, la dernière-née des radios dans la capitale burkinabè, en sont quelques-unes. À Bobo Dioulasso et à Tenkodogo (ville du Centre-Est), la radio LPC contribue aussi à cette évolution musicale. Les félicitations sont, foi de Richard Tiéné, à adresser aux radios comme Savane FM, la radio Gambidi, Salankoloto qui consacrent la majorité de toutes leurs programmations à la musique.
La télévision, la doyenne de la sous-région
Le faible pouvoir d’achat des Burkinabè fait de la télévision un média de luxe malgré le boom médiatique lié au processus démocratique. La télévision nationale du Burkina (TNB), créé en 1969, est en tête des audiences parce que diffusant sur toute l’étendue du territoire national. Pour promouvoir la musique, elle dispose de deux émissions phares : Cocktail, une émission enregistrée en public et Reemdoogo spécialisé dans la diffusion des clips vidéo.
Moins puissantes techniquement des télévisions commerciales privées jouent la carte de la proximité pour s’imposer. Canal 3, télévision créée en 2000 par le groupe Fadoul, en fait partie. Sa grille de programmes met l’accent sur les conditions de vie et de travail des deux grandes villes (Ouagadougou et Bobo-Dioulasso) et fait une part belle aux clips musicaux à travers Top 5.
Secouée par une longue crise du personnel, Canal 3 a vu une de ses concurrentes, à savoir Bf1, devenir la meilleure télévision de proximité et de promotion des musiciens. La télé s’amuz, 100% invité, Faso reggae et Pulsions hip hop assurent la visibilité des artistes et de leurs œuvres.
Mise en route en 2002, SMTV est devenue, faute de moyens et de productions, la chaine musicale du Burkina Faso. La diffusion des clips est sa principale activité. Des chaines étrangères, par l’intermédiaire du bouquet Canalsat, renforcent des espaces de promotion des musiciens burkinabè dont les plus connues sont Trace Africa et LC2.
Les médias en ligne, la grande percée
En dépit des problèmes d’électricité et de connexion internet, le Burkina Faso est un pays hyper connecté principalement dans les villes. La faiblesse du circuit de distribution des journaux oblige de nombreux Burkinabè à consulter en premier les sites Internet pour s’informer. Ils sont aussi devenus l’un des cadres d’expression des opinions surtout de dénonciation.
Pour preuve, les médias en ligne et les réseaux sociaux (Facebook) ont été fortement utilisés lors des récentes crises politiques au Burkina Faso singulièrement pour contrer le coup d’État perpétré pendant la transition. Le plus visité de ces presses en ligne est le portail d’informations générales, Lefaso.net, créé par le journaliste Cyriaque Paré.
D’autres sites se sont spécialisés en informations musicales. Parmi les plus lus, il y a : artistesbf.org, initiative d’un enseignant passionné de culture et Afriyelba, fruit d’un ex-employé du groupe de presse Le Pays. Ils chroniquent sur la musique (les sorties d’album) et couvrent les concerts.
Des dizaines de journaux pour un marché étroit
Des 70 journaux recensés dans le pays, la presse écrite est dominée par le trio L’Observateur Paalga, Sidwaya et Le Pays. Ces journaux s’en sortent grâce aux annonces publicitaires et à leurs abonnés.
Dans un pays où l’achat et la lecture des journaux ne sont pas ancrés dans les mentalités, ces maisons de presse garantissent également, à perte souvent, la promotion des expressions musicales à travers la publication de magazines culturels : L’Obs Dim pour L’Observateur Paalga, Sidwaya mag pour les Éditions Sidwaya et Évasion pour le groupe de presse Le Pays. Fragilisé par les invendus, en dépit du bouillonnement culturel, L’Obs Dim a revu à la baisse le nombre de ses exemplaires et a changé sa périodicité (d’hebdomadaire à bimensuel).
Même réalité à Évasion qui ne tire seulement que mille exemplaires par semaine. Quant à Sidwaya Mag, il a été simplement transformé en un supplément du quotidien. Ce qui n’a pas empêché l’avènement d’autres journaux de promotion culturelle avec une grosse part rédactionnelle réservée à la musique. Ce sont Infos sciences et culture (ISC), créé par un ancien de L’Observateur Paalga, et Africastars. Des divergences entre les acteurs de l’industrie musicale et les médias existent, mais elles ne freinent la synergie d’actions autour de la musique burkinabè.
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