La musique gnaoua
Les données socio-historiques liées à l’origine des Gnaouas demeurent jusqu’aujourd’hui sujets de débat. Les versions varient entre les chercheurs et les intellectuels, surtout en ce qui concerne l’étymologie du mot « gnaoua ». Ainsi Delafosse considérait que le mot « gnaoui » était un dérivé du terme « guinéen » et donc que les Gnaouas étaient rattachés à cette région[1] . Il a également lié « gnaoua » à la formule amazighe « akal-n-iguinaouen », expression qui faisait référence à la « garde noire » de Moulay Ismail de l’ancien empire du Soudan (Sénégal, Guinée, Niger, Mali etc). Le président Senghor affirmait quant à lui que le mot « gnaoua » venait de « Ghana » en référence à l’ancien empire du Ghana[2].
Une chose est sure, l’histoire des Gnaouas a toujours été liée à l’époque de la traite négrière et à l’esclavage en Afrique subsaharienne du 8e au 19eme siècle. Les commerçants d’Afrique du nord rapportaient alors des esclaves de différentes origines géographique et culturelles, et plusieurs d’entre eux étaient placés « dans de grandes familles de marchands ou au service du sultan chérifien (en tant que membres de la garde royale ou en tant que soldats) »[3].
Cependant dire que tous les Gnaouas sont « noirs », esclaves, arabes ou musulmans, n’est pas tout à fait correct. À Essaouira par exemple, existent des Gnaouas berbères et juifs. Il existe également d’autres confréries semblables à celles des gnaouas dans d’autres pays d’Afrique du Nord. Les « gnaouas » de Tunisie sont ainsi appelés Stambali, ceux de l’Égypte sont appelés Zar et ceux de l’Algérie s’appellent Diwane. Tout comme les Gnaouas, ces confréries sont dites « descendantes d’anciens esclaves » ; elles diffèrent toutefois de celles des Gnaouas par des caractéristiques résultant du métissage avec leurs pays d’accueil.[4]
Une musique très liée aux rituels
Au Maroc, les Gnaouas ont longtemps été stigmatisés et marginalisés pour leurs rituels ayant pour origine les rites animistes sahéliens. Aujourd’hui certains de ces rituels sont toujours présents dans les lilas (veillées ou nuits NDLR) mais mêlés à des références islamiques soufis. Les lilas étaient le premier lieu de représentation des musiciens gnaouas et existaient bien avant qu’il n’y ait de festivals ou de soirées de musiques gnaoua.
Elles sont organisées soit dans un but thérapeutique pour « soigner des malades », soit pour des personnes « possédées » ou encore pour des passionnés de la musique gnaoua. Avant, elles duraient trois jours mais aujourd’hui elles se produisent en deux jours dont l’un est le jour de la « Dbiha » à l'occasion duquel on égorge les moutons, et le deuxième pour profiter de la musique.
Assister à une lilla est le meilleur moyen de comprendre les rites des Gnaouas et découvrir leur musique et leurs danses. Lors de cette cérémonie organisée généralement au mois de Chaâbane (le mois précédent celui du ramadan) par les « moqadma » (voyantes-thérapeutes), 4 phases s'enchaînent : le sacrifice (Dbiha), la séance récréative (Kouyou), la parade d’ouverture (l’Aada) et enfin les danses liées aux rites de possession (Mlouk). Lors de la lila, il y a par ailleurs 7 types d’encens, des bougies, des dattes et de l’eau. La « moqadma » ou le moqadem prend soin des invités/clients et allume les encens.
Les troupes de gnaouas sont généralement composées de 6 à 12 musiciens. À leur tête, le Maâlem qui joue du guembri, instrument rappelant un luth traditionnel à trois cordes et élément central du rythme. Les autres musiciens « Koyo » jouent quant à eux aux krakeb (crotales) et à la guedra (grand tambour).
En plus d’être l’organisatrice, la « moqadma » a un rôle central puisque c’est elle qui connaît la chronologie des « Mhalla ». Ces dernières constituent les chants et rythmes gnaouas joués à destination d’un bataillon de Mlouk (esprits NDLR). Chaque Mhalla est caractérisée par des rites et des couleurs spécifiques : le blanc pour les Mlouk de Moulay Abdelkader, le noir pour Sidi Mimoun, le bleu ciel pour Sidi Moussa, le multicolore pour Bouhali, le rouge pour Ouled Belahmer, le bleu pour Malin lghaba, le jaune pour Lalla Aicha, le violet pour Lalla Malika, le rouge pour Lalla Meryeme la berbère et enfin le vert pour Mlouk Chourafa[5].
Lors des lilas, les Maâlems font ainsi le tour des 7 « Mhalla » existantes et qui constituent tout le répertoire musical gnaoua. Les adeptes présents dansent quant à eux jusqu’à atteindre la transe (Jedba). Les Mhalla sont jouées partout au Maroc avec des différences dans la chronologie des morceaux d’une région à l’autre. Les chansons gnaouas évoquent les Mlouks (les esprits), la nature, des invocations et louanges à Allah et au prophète. Elles parlent également du passé des esclaves et des ancêtres maîtres (Maâlems) des Gnaouas.
Avant d’être sacré Maâlem, le musicien gnaoua doit travailler avec des grands maîtres, écouter, s’entraîner et apprendre. Devenir Maâlem était même conditionné avant par le fait d’avoir hérité cet art, ou d’être de la descendance d’anciens esclaves. Aux lilas, les enfants et les personnes ayant bu de l’alcool ne pouvaient pas venir. Les enregistrements vidéo n’étaient pas non plus permis.[6]
Parmi les Maâlems les plus connus, nous citons Hmida Boussou qui est l’un des plus grands Maâlems gnaouas de la deuxième moitié du 20e siècle.[7] Il est né en 1939 et est originaire de la tribu des Boussous qui vivait sur les bords du lac Tchad et a été transporté en Mauritanie par les Touaregs. Décédé en 2007, il a formé dans les années 90 la troupe « Boussou Ganga » pour la sauvegarde du patrimoine gnaoui. Hmida Boussou a entrepris avec cette troupe des tournées à l’international et l’a menée jusqu’à son dernier souffle. Son fils, Hassan Boussou a aujourd’hui pris la relève et œuvre pour la sauvegarde du style Gnaoui marrakchi pur.
Maâlem Mahmoud Guinea est également l’une des plus grandes figures de la musique gnaoua. Né à Essaouira en 1951 et décédé en 2015, le chanteur est d’origine malienne, par son grand-père paternel vendu comme esclave au Sahara. Il a joué du guembri dès ses 12 ans et participé à 20 ans à sa première Lilla. La famille Guinea est d’ailleurs l’une des familles à avoir marqué la musique gnaoua de père en fils. Le père de Maâlem Mahmoud Guinea, Boubker Guinea (1927-2000), a lui-même été un grand Maâlem. Aujourd’hui c’est son fils Houssam Guinea qui a pris la relève.
Hamid El Kasri est quant à lui l’un des Maâlems les plus sollicités aujourd’hui, au Maroc et à l’international. Formé dès l’âge de 7 ans par les Maêlems Alouane et Abdelouahed Stitou, il se passionne de l’art gnaoua grâce au mari de sa grand-mère, ancien esclave soudanais. Grand habitué du festival gnaoua et Musiques du Monde et des fusions, il a joué aux côtés d’artistes de renommée mondiale à savoir le grand pianiste autrichien Joe Zawinul, Susheela Raman ou encore Hamayun Kahn.[8]
Comme le blues américain, la musique gnaoua est une musique pentatonique. Elle a des similitudes intéressantes avec certaines musiques africaines par rapport à la façon de chanter ou encore au canevas rythmique[9]. C’est une musique ancestrale transmise oralement.
Le rôle du festival gnaoua d’Essaouira
Créé en 1998 à l’initiative de la ville d’Essaouira et de membres de la société civile, le festival gnaoua d’Essaouira et musiques du monde est l’événement qui a permis d’honorer l’art des Gnaouas et de permettre le passage des lilas à la scène, ainsi, de l’anonymat au spectacle.
Le festival qui connaît depuis sa création un succès indéniable, a permis aux Maâlems d’accéder à une reconnaissance publique, mais aussi à un marché mondial de la musique à travers les collaborations faites avec des musiciens internationaux.
Aujourd’hui les musiciens gnaouas sont sans doute les musiciens les plus sollicités pour des fusions avec d’autres styles (dont le jazz par exemple qui se marie bien avec la musique gnaoua). Parmi les artistes internationaux à avoir déjà collaboré avec des musiciens gnaoua, on note par exemple Robert Plant, Jimmy Page, Randy Weston, Fatoumata Diawara, Snarky Puppy, Cheikh Tidian Seck, Sibiré Samacké, Joe Zawinul etc
En 2019, après une dizaine d’années de lutte de la part d’acteurs de la société civile, des pouvoirs publics et de la communauté gnaoua, l’art gnaoua a été inscrit au patrimoine immatériel de l’UNESCO ; un grand pas vers sa préservation et sa valorisation à l'international.
Sources :
[1] Viviana Pâques, le monde des gnawa
[2] « L'Empire du Ghāna (VIIIe-XIe siècle), ancien État de l'Ouest africain situé entre le Niger vers l'est et le Sénégal à l'ouest », Universalis.fr
[3] Majdouli, Zineb, 2008 Les Gnawa : histoire publique d’une communauté marginale sur http://cle.ens-lyon.fr/arabe/arts/musique-et-danse/les-gnawa
[4] Majdouli, Zineb, 2008 Les Gnawa : histoire publique d’une communauté marginale sur http://cle.ens-lyon.fr/arabe/arts/musique-et-danse/les-gnawa
[5] https://www.libe.ma/Moussem-de-la-confrerie-des-gnaoua-a-Essaouira-La-musique-de-transe-reprend-ses-droits_a13154.html
[6] Extrait d’un documentaire sur la musique gnaoua https://www.youtube.com/watch?v=oFli85Tx7mI&t=4s
[7] http://gnaouaculture.org/nwGc/artists/hmida-boussou/
[8] https://www.festival-gnaoua.net/fr/artistes/maalem-hamid-el-kasri
[9] https://www.lepoint.fr/culture/ahmed-aydoun-les-entrailles-de-la-musique-gnaoua-revelees-11-06-2015-1935522_3.php
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Édité par Lamine BA
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