La musique moderne à la Réunion
Par Julien Le Gros
Petite île du Sud-Ouest de l'Océan indien, située entre l'Île Maurice et Madagascar, la Réunion n'a que huit-cents cinquante-mille habitants selon un recensement de 2017. Malgré l'exiguïté de son territoire et sa faible population, la Réunion a su développer et exporter une culture musicale contemporaine riche et singulière dont le présent texte, axé sur le maloya, le reggae et le dancehall, ne donne qu'un rapide échantillon, des années 70 à nos jours.
Maloya, ce que l'on a à dire
Bien plus que le séga qu'on retrouve aux Seychelles et surtout à l'Île Maurice voisine, la musique « péi », c'est-à-dire, typique du pays, en créole réunionnais est le maloya.
Le mot maloya viendrait du Malgache « maloy aho » : maloy voulant dire « parler, dégoiser, dire ce que l'on a à dire ». Il s'agit d'une complainte chantée par les esclaves sur l'île pendant la période coloniale. Bassiste émérite pour l'Indien Trilok Gurtu ou la capverdienne Mayra Andrade, auteur du bien-nommé album « Métisse maloya » en 2014.
Johann Berby définit très bien ce genre. « Baba Cissoko, un percussionniste malien, m'a fait découvrir que dans sa langue le bambara : maloya signifie esclave. Tout est lié. Pendant la colonisation, il y avait les esclaves venant d'Afrique de l'Ouest, de l'Est, d'Inde, de Madagascar, de Chine. Tout ce qu'il leur restait pour tenir le coup, c'est de chanter, boire du rhum, danser. C'est un rythme un peu bâtard qui vient d'Afrique et parle de ces souffrances. C'est un blues, même si on peut le jouer de manière joyeuse sans forcément évoquer l'esclavage. »
La chanteuse réunionnaise Morgane Ji a été adoptée en Bretagne lors d'une politique française de « repeuplement des zones rurales de la France entre 1963 et 1982, qui a défrayé la chronique avec l'affaire des enfants de la Creuse.
Son E.P. Woman soldier s'il n'est pas « maloya » puise dans un blues électrique enivrant à la symétrie troublante : « Mon guitariste joue avec le bottleneck (qui signifie goulot de bouteille, technique utilisée dans le blues NDLR. J'ai un banjo quatre cordes, qui est normalement joué au médiator dans les fanfares New-Orleans parce qu'il sonne assez fort. J'ai pris le parti de le pratiquer avec des onglets, en « picking », de l'électrifier et de pouvoir mettre dessus des effets de distorsion ou de reverb. Le but, c'est d'avoir sur scène une sonorité qui « envoie », à la fois roots et moderne. »
Traditionnellement, le maloya est chanté lors des servis kabaré ou kabar, une danse des esprits, issue de Madagascar, pendant laquelle on invoque les ancêtres. Des offrandes de riz, caris, et rougails peuvent être mises sous la table à leur disposition. Les instruments du maloya sont essentiellement des percussions comme le cascavel, le kayamb, dit hochet en radeau, le roulèr (tambour basse), piker (cylindre en bambou frappé avec deux baguettes), le sonbrèr et le triangle.
Le maloya politisé et autonomiste
Opprimé par l'administration coloniale, le maloya ne refait véritablement surface que dans les années 70, sous l'impulsion notamment de Firmin Viry, selon l'historienne réunionnaise Françoise Vergès, dans son livre de 1999, paru chez Duke press university intitulé, Monsters and Revolutionaries : Colonial Family Romance and Métissage, il est le premier à avoir chanté du maloya en public.
Militant pour les droits des coupeurs de cannes, proche du Parti communiste réunionnais, favorable à l'autonomie de la Réunion, il grave un premier 45 tours baptisé A nous même danser maloya dès 1972.
Daniel Hoareau, dit Danyel Waro, natif du Tampon, est son jeune apprenti. Il assiste en 1970 à l'un de ses concerts organisé par le quotidien communiste réunionnais Témoignages, créé en 1944 par Raymond Vergès. Réfractaire au service militaire, il subit vingt-deux-mois d'incarcération punitive en métropole en 1976.
C'est au centre de détention d'Ecrouves, en Meurthe-et-Moselle, qu'il écrit ses premiers textes, publiés deux ans plus tard en recueil par les éditions Les chemins de la liberté sous le titre Romans ékri dans la zol en Frans, c'est-à-dire Romans, écrits en prison en France. Eloigné du Parti communiste dans les années 90, il a fait partie d'une liste régionale autonomiste Nasyon réyoné dobout. Il a aussi dénoncé la politique du Bumidom (bureau pour le développement des migrations dans les départements d'outre-mer) avec la chanson « Batarsité ».
Très respecté pour son engagement Kiltirel, Danyel Waro, à l'instar de l'accordéoniste René Lacaille, est régulièrement invité dans les festivals internationaux comme le Mawazine à Rabat ou Africolor en région parisienne.
Ce n'est qu'en 1981, avec l'arrivée au pouvoir de François Mitterrand que la pratique du maloya a été autorisée par la « métropole ».
Dans les années 80, Ziskakan de Gilbert Pounia, groupe mobilisé pour la valorisation de la culture réunionnaise, réalise six albums maloya, poussé par le journaliste Philippe Constantin qui leur ouvre les portes des scènes internationales.
D'autres formations naissent : Zanzibar Fenoamby, Sabouk, Maloya zone 7 ou encore Katrer. Julien Philéas, dit « Granmoun Lélé », natif de Saint-Benoît, la deuxième plus grand commune de l'île, est un ancien ajusteur dans les usines sucrières. Sa jeunesse illustre le syncrétisme de la Réunion. De son père indien, il apprend les cérémonies tamoules tandis que sa mère l'initie aux cérémonies malgaches. Sur le tard, dans les années 90, le label Indigo enregistre sa voix unique, empreinte de spiritualité, sur plusieurs disques. Sept de ses enfants l'accompagnaient sur scène. Il meurt en 2004.
Le maloya aujourd'hui
Moins politisé qu'auparavant, le maloya actuel ne néglige pas la dimension racine et identitaire. Parmi la scène contemporaine, de nombreuses femmes mêlent leur maloya avec la pop et d'autres apports culturels, comme Maya Kamaty, fille de Gilbert Pounia, Christine Salem, ou encore Nathalie Natiembé. En solo depuis les années 2000, le multi instrumentiste Davy Sicard propose un très iconoclaste et surprenant maloya kabossé.
Meddy Gerville, pianiste en vue, natif de Saint-Pierre-de-la-Réunion a joué avec la crème des artistes locaux comme Baster, Ti Flock, Dominique Barret, ou encore Fabrice Legros. Il a su mélanger le maloya et le jazz, notamment sur l'album Septième ciel qui contient le tube « Mon abri » avec le chanteur surfeur Tom Frager. « J'ai découvert le jazz et j’ai évolué dans le temps, sans oublier mes racines. Quand j’ai commencé à composer le mélange, s’est fait naturellement. Je ne fais pas du maloya traditionnel, mais je fais des clins d'œil à cette musique, en incorporant des touches de maloya moderne, électrique. À la base, le maloya ce n'est que des percussions. Dans ma musique, il y a du saxophone, de la batterie, de la guitare, et bien sûr mon piano.», affirme le chanteur.
Le groupe Lindigo, formé en 1999, dans le quartier malgache Paniandy, à Bras-Panon, incarne une volonté d'ouverture sur le monde. Leur album « Maloya power » en 2012 a été réalisé sur le label Hélico, avec des musiciens d'Afrique de l'Ouest. Le suivant « Konsa Gayar » en 2017 a été enregistré avec, sur quelques titres, les Cubains Los munequitos de Matanzas. Les deux ont été arrangés par l'accordéoniste Fixi. « Ma génération est née après l'interdiction du maloya. » explique son leader Olivier Araste. « On a amené un maloya joyeux et ouvert. C’est une jeune génération qui veut faire passer une force positive. Quand tu sais d’où tu viens, tu sais où tu vas. Notre devise, c’est ça. On sait d’où on vient. Mais on est ouverts sur le monde. Il faut faire du maloya sans tourner en rond. », affirme le leader de Lindigo.
Enfin, le groupe Trans kabar, influencé par Alain Peters, nous offre du rock maloya, un alliage qui décoiffe sur leur album Maligasé chez Discobole records.
Reggae et dancehall
À la Réunion le reggae et le dancehall sont extrêmement prisés. Fondé en 1983 par Alain Joron, Baster, tire son nom d'un quartier défavorisé de Saint-Pierre, Basse-Terre. Le groupe enregistre sa première K7 grâce au prêt de matériel de Gilbert Pounia de Ziskakan. Repris par Thierry Gauliris, le groupe a l'occasion d'enregistrer en Jamaïque dans le studio de Bob Marley Tuff gong l'album Kaf gong reggae en 2002.
Emmené par Sila, le groupe Toguna sonne comme Patrice ou Ben Harper et écume les scènes internationales. En juin 2012, le groupe a été élu meilleur groupe de l'Océan indien dans la catégorie pop rock reggae. La culture reggae se porte bien à la Réunion puisque trois artistes locaux Positive vibes sound, Mighty lion et Maylan Manaza ont été nommées aux victoires du reggae cette année. Tous les ans, à l'occasion, du festival Terre de reggae à la Ravine Saint-Leu, les meilleurs artistes de la région s'expriment.
Parmi la scène dancehall, David Damartin alias Kaf Malbar, actif depuis 1995 est sans conteste le précurseur le plus connu. Son pseudonyme traduit le métissage de l'île. Son père est un « kaf » pour cafre, le nom donné aux afrodescendants et sa mère est indienne malbar.
Il débute avec Luciano Mabrouck du groupe reggae Kom Zot et James du Kreol Staya, tous deux issus du Chaudron, à Saint-Denis. Son premier album Les d'moisel sort en 2001. Son dernier album Relax est sorti l'an dernier. Kaf Malbar a fait la première partie de reggaemen jamaïquains prestigieux comme Anthony B, les Gladiators ou encore Culture.
Dans la scène actuelle prisée par les jeunes adeptes du clubbing, on compte Pixl, Junior, Abdoul, PLL ou encore Black T. La plupart de ces artistes regroupés dans le collectif Mafia endémik, qu'on a vus à la dernière édition du festival Sakifo, le plus grand événement de l'Océan indien, sont produits par le beatmaker DJ Sebb.
Sa page Facebook a près de 25 000 fans. Sébastien, vingt-neuf ans seulement, a été repéré par Kab Malbar, vient comme lui du Chaudron, quartier chaud, qui a connu de violentes émeutes. Son secret, des beats entêtants qui l'ont fait cartonner l'an dernier avec « Ral sah », rappé par Black T. Une nouvelle génération qui a le vent en poupe.
Ressources :
[1] http://pan-african-music.com/
[2] http://africultures.com/
[3] http://www.amina-mag.com/
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Édité par Walter Badibanga
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