La musique Pop en Côte d‘Ivoire
Par Honoré Essoh
Depuis son accession à l’indépendance, en 1960, la Côte d’Ivoire demeure l’un des principaux carrefours de la musique Africaine. Au fil des années, les artistes du pays allient aux rythmes locaux, les influences extérieures successives. Les stars comme les tubes se succèdent, s’exportent bien mais la qualité régresse.
- (Ph) DJ Arafat
Pionniers à l’école des orchestres
Héritage de la colonisation, la tradition des orchestres est bien ancrée dans le parcours des premiers musiciens du pays. Véritable centre de formation, au début des années 1960, c’est le passage obligé pour prétendre à une carrière professionnelle. Contrairement à la tendance, certains ensembles ne se limitent pas aux interprétations de standards de la musique cubaine, africaine et européenne. Ils composent et interprètent des titres dans les langues locales ou font une fusion avec la musique traditionnelle de leurs contrées d’origine. Autour de 1965, l’orchestre le plus populaire est l’Ivoiro Stars dirigé par Amédée Pierre. Infirmier de formation, Nahounou Digbeu de son vrai nom, est le premier à s’imposer avec cette « musique métissée ». Amédée Pierre allie à la pop venue d’Occident et aux sonorités congolaises, des rythmes et des paroles Bété, une langue locale du Centre Ouest, son ethnie. Ses premiers tubes sont « Bida Zougou » (1965) et « Thérèse Boigny » (1966).
Autre figure de proue de cette époque, Mamadou Doumbia, le fondateur de l’Orchestre de l’Entente. Originaire du Nord du pays, il chante lui en Malinké et insuffle aux musiques étrangères, la poésie et les mélodies mandingues. Ce brillant guitariste et compositeur entre dans l’histoire avec la chanson « Super Bébé » (1966). Les Rythmes du Cosmos du trompettiste Fax Clark, le Yapi-Jazz de Yapi René, l’Ivoiris Band d’Anouma Brou Felix ou l’OFI de Bouaké font aussi partie de ces formations musicales qui animent les nuits chaudes Abidjanaises. Quant aux premières femmes à s’illustrer, ce sont des jumelles, Les sœurs Comoé. Madiara et Mariam fascinent et surprennent, enchaînant des succès comme le fameux « Abidjan Pont Sous » (1962). Mais après une carrière d’environ une décennie elles quittent la scène sous la pression familiale.
La naissance du Ziglibithy
Au début des années 1970, un jeune loup, Ernesto Djédjé se montre plus audacieux que ses aînés. Il modernise non seulement une musique traditionnelle Bété, le Ziglibithy, mais il en fait un concept à l’Américaine. Un look spécial : vêtements à paillettes, pantalons à énormes pattes d’éléphants, souliers colorés, favoris impressionnants … Et surtout une présence scénique époustouflante, fortement inspirée de la superstar du moment, James Brown. Le succès est immédiat. Mais Ernesto Djédjé se fait un rival de taille. Son ex-mentor, Amédée Pierre qui jusque-là régnait sans partage sur la musique ivoirienne. Quelques années auparavant, il a découvert Ernesto Djédjé et lui a confié la direction de son orchestre avant que ce dernier ne le quitte pour voler de ses propres ailes. La concurrence entre les deux hommes se fait par chansons et admirateurs interposés.
D’autres jeunes chanteurs marchent dans les pas d’Ernesto Djédjé. Les plus connus sont François Lougah baptisé, le James Brown ivoirien. Un autre, Bailly Spinto est lui, plus proche des crooners comme Marvin Gaye ou Nat King Cole tout en interprétant des chansons aux couleurs locales. La gente féminine n’est pas en reste de cette petite révolution. Aïcha Koné, surnommée « la diva de la musique ivoirienne » fait chavirer les cœurs de son envoûtante voix. Sa rivale, Reine Pélagie électrise les foules de ses pas de danses endiablés.
Alpha Blondy vole la vedette aux étudiants
Comme elle l’a fait à ses prédécesseurs, la génération Ernesto Djédjé est à son tour bousculée par une nouvelle race de musiciens, des étudiants. Délaissant un peu les langues locales, ils chantent surtout dans le Français populaire ivoirien. C’est la grande époque de l’Orchestre de l’Université d’Abidjan appelé OUA avec ses vedettes : Bigsat, Tiburce Koffi, Paul Dodo, Momo Louis, Abou Smith, Ramsès de Kimon, Ismaël et Ritchie. De retour des Etats-Unis en 1982, un chanteur autodidacte, Alpha Blondy, dame le pion aux étudiants. Grâce à son premier tube « Brigadier Sabari », il introduit le Reggae en Côte d’Ivoire.
Quelques années plus tard, des jeunes essaient péniblement d’installer le Hip hop. Très américanisé, il connaît un éphémère succès populaire à la fin de la décennie. François Konian, musicien, propriétaire de maisons de disques et surtout père du célèbre orchestre Woya, renouvelle son expérience. Il met sur pied le trio R.A.S. qui donne au Hip Hop des couleurs plus Ivoriennes. Son groupe baptise ce métissage, Ziguehi, et triomphe même au-delà du pays. Ces jeunes gens, issus de quartiers défavorisés dépeignent leur quotidien difficile dans un langage des rues abidjanaises qui prend de l’ampleur, le Nouchi.
Les années Z : Ziguehi, Zouglou, Zoblazo
Au début des années 1990, le pays est secoué par une crise socio-politique qui débouche sur son accession au multipartisme. Une grogne sociale qui s’étend à l’université où une nouvelle vague d’étudiants revient à la charge mais cette fois sans orchestre. Ils créent le Zouglou, inspiré des ambiances autour des terrains lors des compétitions sportives interscolaires. Ce nouveau rythme à la mode qui dénonce les maux de la société sort très vite des campus. Les groupes se multiplient : Les Parents du Campus, Les Salopards, Les Garagistes, Magic System… Ce dernier groupe qui connaît un succès international sans précédent avec son tube « Premier Gaou » aussi bien en Afrique qu’en France.
Le Zouglou laisse un peu de place au Zoblazo une musique traditionnelle modernisée et portée par Frédéric Ehui dit Meiway. Il est révélé par un concours la télévision ivoirienne, Podium, qui veut redonner ses lettres de noblesse aux orchestres. L’initiative permet à de nombreux talents d’éclore. Mais les formations qui se constituent pour l’occasion ne font pas long feu. Les espaces où elles peuvent se produire étant peu nombreux.
Un dictateur nommé … Coupé-Décalé
Nouvelle crise en Côte d’Ivoire, le premier coup d’état militaire en 1999. C’est la naissance du Coupé-Décalé et l’explosion de la piraterie. La nouvelle tendance musicale est portée par les disc-jockeys et inspirée de la musique congolaise notamment les animations. Les vedettes sont Douk Saga (décédé en 2006), DJ Arafat, DJ Debordeau, DJ Mix … Ils règnent sans partage dans le pays et s’exportent très bien dans la sous-région. Leurs détracteurs comme ceux du Zouglou à l’époque, reprochent aux chanteurs, non seulement de ne pas en être mais aussi de « tuer » la musique ivoirienne.
Les évolutions technologiques ayant démocratisé l’industrie de la musique, les studios d’enregistrement pullulent. Les faiseurs de Coupé-Décalé enchaînent les singles à la pelle sans passer par la case « sortie en Cd », les mettent gratuitement à la disposition du grand public soit sur Internet, soit dans le réseau de disc-jockeys dans les bars et boîtes de nuit. Cela afin de se faire connaître et vivre de spectacles. Une option qui s’impose à eux selon ces derniers du fait de l’explosion de la piraterie.
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