La musique traditionelle au Zimbabwe
Par Innocent Tinashe Mutero
Le Zimbabwe a un patrimoine culturel riche et varié, et la musique et la danse y sont intimement liés. En effet, les deux sont indissociables: il n'y a pas de musique sans danse. Le Zimbabwe étant une nation multiculturelle, il y a dans le pays autant de genres musicaux que de groupes ethniques qui y habitent. Selon Kariamu Asante, "on ne peut pas parler de danse zimbabwéenne en tant qu'entité car le Zimbabwe possède plusieurs groupes ethniques différents, et chaque groupe a sa propre histoire particulière et sa sous-culture" (Asante 2000:6). Toutefois, les Shona et Ndebele sont les deux principaux groupes ethniques du Zimbabwe. Les Shona représentent 82% de la population tandis que les Ndebele représentent 14% de la population totale[i].
Malgré que les Shona et Ndebele sont plus nombreux, les autres groupes ethniques continuent à pratiquer leurs propres cultures et traditions. Par exemple, les Shangwe ont le Jichi, les Kalanga ont l'Amabhiza et les Ndau ont le Muchongoyo. Les mbakumba, jerusarema et shangara sont généralement considérés comme de la musique et des danses traditionnelles Shona, tandis que l'amabhiza, l'amantshomane et l'isitshikitsha font partie de la culture du peuple Ndebele.
Les instruments de musique traditionnels
La plupart des genres musicaux traditionnels zimbabwéens sont accompagnés d'un tambour, appelé ngoma en Shona et ingungu en IsiNdebele. Les tambours sont aussi nombreux que les genres et ils existent sous toutes tailles et formes. Dans la plupart des cas, les grands tambours sont joués à l'aide d'une baguette, tandis que les plus petits sont des tambours à main. Il y a des exceptions toutefois. Par exemple, le petit tambour qui accompagne l'Amabhiza se joue à la main et à l'aide d'une baguette, tenue dans l'autre main. La baguette est utilisée pour gratter le tambour et produit un son peu commun. La musique Muchongoyo est également accompagnée par des tambours caractéristiques. Ces tambours ont une peau d'animal à leurs deux extrémités, et se jouent à l'aide de bâtons quelle que soit leur taille. Cependant, la taille du bâton est proportionnelle à la taille du tambour.
À part les tambours, il y a dans la musique traditionnelle du Zimbabwe toute une variété d'instruments à percussion, y compris des hochets (hosho), dont certains s'attachent à la jambe (magaga, magavhu et amahlayi), et des claquettes de bois (makwa). Les musiciens de mbira utilisent également le chikorodzi, une baguette à rainures qui est grattée avec une autre baguette, ainsi que la kanyemba, un instrument à percussion fait de lamelles de bambou attachées ensembles et remplies de petites graines.
Le plus célèbre des instruments de musique du Zimbabwe est sans doute la mbira. Il existe plusieurs types de mbiras dans le pays, qui sont jouées pour des occasions tant religieuses que laïques[ii]. Parmi les nombreux types de mbiras zimbabwéens, les types de mbira les plus communs sont le nhare (téléphone) ou mbira dzavadzimu (le mbira des ancêtres) et les mbiras nyunga-nyunga. La mbira dzavadzimu a entre 22 et 24 touches et est connue pour sa capacité à invoquer les esprits (Matiure, 2011). La mbira nyunga-nyunga a 15 touches et a été largement popularisée par le secteur de l'éducation au Zimbabwe. En effet, elle est enseignée de l'école primaire à l'université. Parmi les noms en langue shona qui désignent les différents types de mbiras, il y a njari, matepe, mbira dzavandau, karimba/nyunganyunga et matepe/madebe dza mhondoro/hera.
Certains instruments traditionnels zimbabwéens, comme les suivants, sont en danger d'extinction: chizambi, chipendani, tsuri, mukwati wenyere.
Il est important de noter que ce ne sont pas toutes les musiques traditionnelles du Zimbabwe qui sont accompagnées par des instruments. Le Zimbabwe a de la musique traditionnelle acapella comme l'imbube du peuple Ndebele, la makwaira du peuple Shona, et quelques chansons pour la cérémonie d'invocation de la pluie, shangwe mukwerera. Selon l'étymologie, le mot makwaira vient du mot anglais pour «chorale» (choir).
Musique traditionnelle et spiritualité
Au Zimbabwe, la plupart des musiques et danses traditionnelles sont associées à la cosmologie du peuple. Selon Asante, «la plupart des danses zimbabwéennes sont des danses religieuses ou spirituelles" (2000:5). La plupart des études sur les musiques et les danses traditionnelles zimbabwéennes soulignent également le fait que la plupart des danses Shona et Ndebele ont un lien avec la vie religieuse et spirituelle de ces peuples. Par exemple, Rutsate (2011) a étudié la pratique du mhande par les Karanga lors du mutoro, une cérémonie d'invocation de la pluie. Dans la culture Ndebele, la danse de la pluie est appelée iHosana (Ndlovu, 2010: 25). Thramm (2002) a étudié le rôle thérapeutique joué par la musique et la danse traditionnelles dandanda du peuple Korekore du Zimbabwe. Nyathi (2001) affirme que la musique traditionnelle sacrée isitshikitsha seZangoma des Ndebele est pratiquée par les guérisseurs traditionnels ou les apprentis en médecine traditionnelle. Selon un cours de l'organisation CHIPAWO[iii], les Kalanga de la province du Matabeleland jouent la musique traditionnelle Amabhiza au cours de leurs cérémonies d'invocation de la pluie.
La musique traditionnelle et les questions socio-politiques contemporaines
La musique traditionnelle du Zimbabwe n'est pas toujours associée à des rituels religieux. Il est également important de noter que la vie sociale des Zimbabwéens est intimement liée à la musique et à la danse. Le Zimbabwe a un riche répertoire de chansons qui accompagnent les activités sociales. Dans ce répertoire varié, il y a notamment des berceuses, des chansons de jeux pour enfants, des chansons pour les rites de passage, des chants de travail, des chants de guerre, et des chants funèbres. Autrement dit, la musique traditionnelle du Zimbabwe accompagne et marque le cycle de vie d'un être humain.
Aujourd'hui, la musique traditionnelle zimbabwéenne est également utilisée pour dénoncer les problèmes socio-politiques contemporains. Des groupes communautaires de musique et de danses traditionnelles ont réussi à utiliser la musique indigène pour s'attaquer au malaise social et politique. Ces groupes sont conscients que, traditionnellement, la musique jouait un rôle essentiel dans la société. C'était une force intangible qui gérait les systèmes sociaux, contraignait la conscience humaine et sanctionnait certains écarts de conduite. Les musiciens ont subtilement réussi à éviter le courroux des autorités gouvernementales qui, en général, ne tolèrent pas les voix dissidentes et la critique.
La préservation de la musique traditionnelle du Zimbabwe
La musique indigène est en déclin de popularité, malgré le rôle utilitaire important qu'elle joue en contribuant au changement social. La musique traditionnelle du Zimbabwe fait face à un avenir incertain car la plupart des jeunes boudent la musique traditionnelle en faveur de la musique contemporaine de style occidental, comme le très populaire Zim-Dancehall. Cette musique, qui s'inspire de la culture jamaïcaine, est à la mode avec les jeunes. Elle menace donc, avec sa popularité croissante, l'existence de la musique indigène, à la popularité déclinante.
Le gouvernement, la société civile et les entreprises ne font pas grand-chose pour sauvegarder la musique indigène. Il est triste de constater qu'au Zimbabwe, "le Ministère de l'éducation ne soutient la danse traditionnelle que dans le cadre des compétitions scolaires" (McLaren 2001: 1). Il y a au Zimbabwe deux festivals prestigieux de musique et danse traditionnelles: le Festival de danse Jikinya et la compétition de danse traditionnelle Chibuku Neshamwari. Le festival Jikinya est organisé pour les écoles primaires et le concours Chibuku NeShamwari est organisé pour les plus de 18 ans. L'objectif de ces festivals est d'encourager jeunes et vieux à apprécier et pratiquer les danses zimbabwéenne indigènes[iv]. Ces compétitions sont deux plates-formes artistiques nationales crédibles, mais ce sont les seuls événements de ce genre. Il n'existe pas de processus ni de programmes pour sauvegarder et assurer la postérité de la musique traditionnelle.
L'influence de la musique traditionnelle sur la musique populaire
Malgré les menaces qui pèsent sur la musique traditionnelle au Zimbabwe, tout espoir n'est pas perdu. Certains musiciens populaires produisent de la musique qui est influencée par la musique traditionnelle. Jah Prayzah, la star du moment dans la musique pop zimbabwéenne, utilise mbira et marimba dans sa musique. 'Machembere', l'une des chansons les plus populaires de Jah Prayzah sortie en 2013 sur l'album Tsviriyo, est dans le style de mbira traditionnelle, appelée vamudhara. D'autres artistes, tels que le renommé Oliver Mtukudzi, font de la musique influencée par les genres traditionnels. Des titres comme 'Tozeza baba' sont influencés par les musiques traditionnelles chinyambera et dinhe. La musique de musiciens populaires tels que Hope Masike et la regrettée Maraire Chiwoniso s'appuie aussi fortement sur la mbira, tandis que des groupes tels que Mawungira eNharira et Mbira DzeNharira continuent à jouer de la musique mbira traditionnelle.
L'influence de la musique traditionnelle s'observe également dans les églises. C'est paradoxal car les premiers missionnaires diabolisaient la musique traditionnelle, mais, aujourd'hui les musiques traditionnelles sont le pilier de la musique religieuse. L'Église catholique et la plupart des églises protestantes utilisent tambours (ngoma), hochets (hosho), cornes (hwamanda) et sifflet (pemba) dans leur musique. L'argument le plus fréquemment avancé pour cette intégration de la musique traditionnelle dans la musique d'église est que cela permet aux peuples indigènes de s'identifier avec cette musique et donc avec le mode de vie chrétien. Que cet argument soit fondé ou non, c'est un fait que la musique traditionnelle du Zimbabwe est intégrée à toutes les activités. Toutefois, il est impératif que le Zimbabwe mette en place des institutions dédiées à la préservation et la promotion de sa musique traditionnelle qui représente une source inestimable de connaissances autochtones.
Bibliographie
Asante, K.W. (2000) Zimbabwe Dance: Rhythmic Forces, Ancestral Voices-An Aesthetic Analysis. Trenton: African World Press, Inc. Matiure, P. (2011) The relationship between Mbira DzaVadzimu modes and Zezuru Spirit possession. Mémoire de maîtrise, Université du KwaZulu Natal McLaren, R. (2001) Case Study: Teaching Dance in Zimbabwe the Chipawo Experience Ndlovu, C.M. (2010) A cultural Response: The Exploration of Traditional Dance and Games as an HIV/AIDS Intervention. A Zimbabwean Case Study. Document non publié, Wits School of Arts Nyathi, P. (2001) Traditional Ceremonies of the AmaNdebele. Gweru, Mambo Press Rutsate, J. (2007) The performance of Mhande song and dance: A contextualized and comparative analysis. Mémoire de maîtrise non publié, Université Rhodes Thramm, D. (2002) “Therapeutic Efficacy of Music Making: Neglected Experience of Integral Importance Process”. Yearbook of Traditional Music 34:129-13 [i] Données sur la répartition ethnique au Zimbabwe http://www.indexmundi.com/zimbabwe/demographics_profile.html (Page consultée le 28/07/14) [ii] Pour une étude détaillée sur la mbira dzaVadzimu, se référer aux travaux de Perminus Matiure. [iii] CHIPAWO est un acronyme pour Children Performing Arts Workshop (Ateliers pour enfants des arts de la scène).C'est l'une des principales organisations de recherche et d'éducation artistiques. À CHIPAWO, les jeunes apprennent la musique et la danse traditionnelles, ainsi que le théâtre. [iv] http://www.natartszim.org/
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