La musique traditionnelle des Îles du Cap-Vert
L’identité de la musique cap-verdienne trouve des explications culturelles et géographiques conséquentes à son histoire. Le Cap-Vert est un archipel habité au début du XVe siècle par des peuplements blancs du Portugal et des esclaves noirs, provenant des terres continentales africaines. Fruits de ce métissage racial, les îles ont donné naissance à une culture musicale qualifiée « créole » et caractérisée par une particulière structuration de combinaisons rythmiques, un lyrisme charmant, et des harmonies riches et variées.
Les femmes à l’origine de la Musique Traditionnelle
La scénographie originelle de la musique traditionnelle cap-verdienne présente une production exclusivement féminine des interprètes. Elle représente une femme debout, qui chante et danse, entourée d’un groupe d’autres femmes généralement assises et frappant dans leurs mains et sur des tchabeta (blocs de tissus, désignant aussi le rythme).
Cette exclusive omniprésence des femmes dans la production ancienne de la musique traditionnelle, relève du constat qui leur est accordé d’être héritières et détentrices des traditions agraires, rituelles et orales impliquant les contes et musiques. La chanteuse Nacia Gomi l’a symbolisé.
Les variations de mouvements rythmiques sur les tchabeta dictent la chorégraphie adoptée : pas, élévation et gestuelles des bras et mains, ceinture et mouvements des reins. Ces rythmes caractérisent également des formes musicales précises, et peuvent en déterminer le continuum tout comme le passage d’une spécifique à une autre.
Formes, usages et instruments de la musique traditionnelle
Les formes de la musique traditionnelle du Cap-Vert sont multiples et variées. Majoritairement de métrique binaire, leurs identités dépendent de leurs origines dans l’archipel, de caractéristiques musicologiques, des usages et rôles centraux ou périphériques des instruments, et de considérations socio historiques, notamment l’héritage de la culture portugaise, la perception et le rang social.
Celles héritées des terres continentales de l’Afrique, ont longtemps gardé les attributs exclusifs de folklore ou de musique traditionnelle qui relevaient de fondements esclavagistes. Elles ont cohabité à distance avec celles importées, du fait de vétos du clergé et de l’administration coloniale. Mais comme partout ailleurs où des cultures se sont croisées, le génie populaire cap-verdien a su élaborer et faire valoir un métissage, fruit d’alliage fécond au fil des siècles.
Il est possible d’accorder deux catégories de formes au patrimoine musical des Îles du Cap-Vert : les musiques aux racines africaines et celles syncrétiques.
1 - Les musiques aux racines africaines
Il s’agit de formes importées dans l’archipel par les esclaves venus des terres africaines. Elles ont la particularité d’être originellement minimalistes dans l’instrumentation (percussions et voix), et riches par l’élément rythmique et par l’improvisation. Certaines (batuque et funana) ont connu des enrichissements musicaux dans leur processus d’appropriation générationnelle, au point de se voir attribuer le rang de musiques nationales. Les usages historiques de ces formes étaient diversement reliés à des événements festifs, profanes ou religieux, à la danse ou à l’ésotérisme.
- la finaçon et le batuque (ou batuka) : Ils sont reliés de par leur disposition successive dans le contexte originel de production. Les deux formes lient improvisation et danse sous forme de concours entre femmes usant de poésie abordant la vie agricole, la sagesse dans la vie sexuelle ou encore la romance. Historiquement interdite par l’administration coloniale, les productions de la finaçon et du batuque ont gagné une popularité dans l’Île de Santiago. Ils sont d’usage à l’occasion de fêtes populaires et cérémonies (mariage).
- le funana : Il est également singulier à l’île de Santiago. C’est une forme au tempo rapide, usant de percussions, principalement d’une racle dénommée « ferrinho », et d’un accordéon diatonique « gaïta », pour ses éléments mélodico harmoniques caractéristiques.
- la kola : aussi appelée Cola, Colaboi, Sanjon, Sanjom ou cola sao jao, a la particularité d’être une production sonore et chorégraphique communautaire. Elle est considérée comme la plus ancienne de l’archipel (les îles de Santo Antao, de Sao Vicente et de Sao Nicolau) et probablement l’ancêtre du batuque. Des recherches lui accordent un parallélisme culturel avec des danses d’esclaves présentes au Brésil et à Cuba. Elle est surtout en vogue en juin, plus précisément le 24 (fête de la Saint Jean), marquant le début des travaux agraires. Sa scénographie adopte percussions (tambours, hochets, mains…) et voix (solo et chœur homophonique).
- la tabanka : pratique musicale aux fins de médiations sociales (résolution de conflits, consolidations de relation…), elle provient d’anciennes sociétés secrètes des îles australes de l’archipel et est transmise par héritage ou par élection. À l’origine, elle faisait usage de tambours « buzios », et voix faisant intervenir des personnages parodiant l’ordre politique.
Ce listage non exhaustif des formes musicales inscrit la kanisade, la toada, le corinho ou encore le rabolo dans l’inventaire des musiques traditionnelles provenant d’Afrique noire continentale.
Ces formes aux racines africaines ont connu une réappropriation dans la création contemporaine. Le batuque, féminin originel, est devenu paritaire et ouvert aux hommes par l’introduction du célèbre accordéoniste Codé di Dona (Île de Santiago) et l’usage de la racle, sous forme de couteau frotté le long d’une barre de fer. Le groupe contemporain Ferro Gaita (désignant ces deux instruments) perpétue cette tradition, de même que celle de la funana avec les groupes Bulimundo et Finaçon. Il a même collaboré sur scène et dans un disque avec la doyenne Nacia Gomi. Il est important aussi de souligner l’existence de transcriptions savantes, entreprises par Orlando Pantera (guitare), prématurément décédé et Vasco Martins (Orchestre symphonique).
2 – Les musiques syncrétiques
Les musiques syncrétiques ont la particularité d’avoir associé avec réussite, des éléments sonores (rythme, mélodie, harmonie) issus d’un héritage spécifique. Selon la forme musicale, la racine identitaire est africaine continentale, portugaise, brésilienne ou caribéenne…
La polyrythmie cap-verdienne, issue du principe de la répétition et du transfert des danses à la musique, constitue un héritage noir africain, européen (fado, mazurka, valse, polka…), brésilien (samba et bossa) et, plus récemment, caribéen (merengue, zouk).
Le sens de la mélodie est à rattacher aux ressources et potentiels des instruments ayant joué le même rôle dans les traditions musicales des espaces ibériques latins. L’histoire de la musique occidentale rappelle que le Portugal a été adepte du beau chant (bel canto italien) et de la belle ligne mélodique confiée aux instruments– chanteurs, dans les ensembles de musiques populaires (accordéon chromatique), tout comme le grand orchestre classique (violon, clarinette, piano).
Enfin, la musique cap-verdienne regorge d’apports divers de la polyphonie européenne, à travers l’adoption d’instruments aux ressources sonores similaires (accordéon et cordes : guitare classique, guitare de petite taille ou cavaquinho, violon) et de répertoire de chants religieux chrétiens. La population de l’île, traditionnellement et majoritairement pratiquante, s’était appropriée et avait apprivoisé l’accordéon, introduit dans l’île par les missionnaires religieux.
La morna et la coladeira constituent les deux formes musicales syncrétiques les plus représentatives du patrimoine musical cap-verdien.
La morna : des recherches musicologiques entreprises par Vasco Martins en 1989, et se rapportant à la tradition, fixent son apparition sur l’île de Boa vista, sans en préciser les origines. Elle est devenue l’emblème stylistique de la musique du Cap-Vert au cours du XXe siècle. Des rapprochements et influences sont tout de même notés entre elle et des musiques d’Angola (lundum ou landu), du Portugal (fado), du Brésil (modinha), de Grande Bretagne (mourning des marins britanniques) ou encore arabes. Mélodrame lent, triste et sensuel, la morna évoque romance contrariée, nostalgie, déchirement du départ et histoire.
La coladeira : également orthographié coladera, est apparue sur Santiago et sur Sao Vicente dans les années 1950. Suivant les versions, elle semble héritière de la morna de par l’accélération du tempo, ou encore du batuque. Une autre des hypothèses considère qu’elle est une adaptation de musiques (cumbia, fox, merengue) importées dans l’archipel par des marins de passage. Les textes de la coladeira commentent généralement l’actualité sur fonds de dérision et de sarcasme, pour la gaieté des danseurs.
Parmi les grands interprètes des musiques syncrétiques, on peut citer Bana (morna), les groupes Voz de Cabo Verde (coladeira) du célèbre ventiste Luis Moraïs et Cabo Verde Show. L’identité des musiques syncrétiques a également obéi à un processus en lien avec la créativité individuelle de musiciens comme le multi instrumentiste et arrangeur Paolino Vieira, ou encore Ildo Lobo (travaux de recherche sur la coladeira) avec le groupe Tubaroes. Cependant, l’icône de la musique capverdienne est indéniablement Cesaria Evora, célébre ambassadrice de la coladeira et de la morna. Même après sa mort, son influence stylistique fait de la résistance féminine dans l’actualité musicale avec de jeunes et prometteuses interprètes telles que Mary Andrade et Lura.
Après prés de six siècles d’existence, la musique traditionnelle de l’archipel du Cap-Vert, conserve sa sonorité particulière : expression d’un brassage culturel associant l’Afrique noire continentale aux apports ibériques, brésiliens et caribéens. Les formulations contemporaines et dynamiques de ce patrimoine ne sauraient tarir sa source enracinée, et ouverte aux explorations futures. Ses lendemains laissent entrevoir ce postulat.
Bibliographie
Arnaud, G. et Lecomte, H. (2006), « Le Cap-Vert » in Musiques de toutes les Afriques, Fayard, pp. 142-148.
Bigault A de, (non daté), « Cap-Vert : Anthologie 1959-1992 » in Musiques du monde
Gonçalves C. « Musiques du Cap-Vert » (traduction : Ariel de Bigault), in op. cit.
Discographie
Cap-Vert : Anthologie 1959-1992. Buda Records/Adès 92614-2 (2CD)
Cap-Vert : Batuque et Finaçon. Ocora/ harmonia mundi C560132
Cap-Vert : Compil Dance. Syllart / Sono CDS 7041
Cesaria Evora : « Miss Perfumado », Lusafrica 79540-2
Cesaria Evora : « Cesaria » (Lusafrica / BMG 74521246562)
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Édité par Lamine BA
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