La musique traditionnelle en Centrafrique
Par Paul-Crescent BENINGA
Les recherches portant sur les musiques traditionnelles en Afrique sont rares et laissent entrevoir a priori un travail d’archéologie, d’autant plus que l’attention est de plus en plus portée sur la musique dite moderne.
Ce point de vue apparait prématuré dans la mesure où musique traditionnelle et musique moderne cohabitent pour donner forme au paysage musical en Afrique, en général, et en République Centrafricaine, en particulier.
L’intérêt de cette recherche est de faire une analyse dans une démarche sociohistorique de la musique traditionnelle en R.C.A. Mais avant, il convient de dire ce que nous entendons par musique traditionnelle.
Dans le cadre de cette recherche, est musique traditionnelle, la musique qui est associée à une culture, « immuable, dont la transmission est orale et ne se sert pas de l’écrit ».
Il ressort de cette définition deux éléments fondamentaux : d’une part la culture, et, d’autre part, l’oralité. On les retrouve également dans la musique traditionnelle en Centrafrique.
Pour rendre compte de cette analyse, nous optons pour une structure tripartite : d’abord, présenter le contexte sociohistorique de la musique traditionnelle, ensuite, son incursion dans la musique moderne, et, enfin, les difficultés auxquelles elle est confrontée à l’ère de la mondialisation.
La socio-histoire de la musique traditionnelle en Centrafrique
« La scène traditionnelle centrafricaine est dominée par les polyphonies pygmées et les musiques des Nzandé et des Nzakara, jouant des harpes et des xylophones. Tandis que les Gbaya préfèrent les sanzas et “les chants à penser”, les Banda se sont fait connaître par leurs ensembles de trompes.».
Il ressort de ce constat que la harpe était l’instrument par excellence de la musique traditionnelle en Centrafrique. Son origine est retracée dans un conte qui se raconte dans la région de la Ouaka.
La première harpe est née de l'oreille d'un chasseur sensible à la complainte du tendon de son arc. Le soir venu, pour raconter son endurance, ses peines, sa solitude dans l'immensité de la nature, le bruissement de l'herbe, les chants d'oiseaux et ses exploits à la famille réunie autour du feu, après un bon plat de gibier, le chasseur s'est mué en conteur, en musicien. Son répertoire s'est peu à peu agrandi de ses amours et de ses amitiés.
Aujourd’hui, presque tous les groupes ethniques en Centrafrique se sont appropriés de la harpe, cependant celle-ci ne saurait être l’unique instrument de la musique traditionnelle. Car à cela, s’ajoutent le tam-tam, le balafon et biens d’autres qui varient selon les différents groupes ethniques qui disposent chacun d’un rythme particulier.
Ainsi, au Sud de la R.C.A, la danse traditionnelle est influencée par le rythme des pygmées, le motenguele et loudou, à l’Est, notamment dans la Basse Kotto et le Bomou par le Gbadouma et le Kponingbo, au Nord, Nord-Ouest et à l’Ouest par le Ngaragué.
Ces musiques sont jouées à l’occasion de diverses rencontres : cérémonie funéraire, rencontre inter-village, mariage traditionnelle, etc.
La musique traditionnelle qui jadis berçait les mélomanes dans les zones rurales, s’urbanisent de plus en plus.
L’incursion de la musique traditionnelle dans la musique moderne : un retour à la source ?
Au début des années 60, l’on reprochait aux artistes centrafricains à l’instar de Prosper Mayele, Zacharie Elenga et bien d’autres d’être trop proches des réalités musicales congolaises.
Cette reproche ne se justifie pas, mais s’explique, car en effet, tous les artistes centrafricains se rendent à Léopoldville et Brazzaville pour diverses raisons : toutes les structures de production se trouvent dans ces deux pays et attirent des artistes de toute l’Afrique centrale, Radio Brazzaville qui possède un émetteur très puissant diffuse du hilife Ghanéen, des musiques cubaines et de la rumba congolaise, la culture bantoue qui véhicule les mêmes sensibilités musicales fait de l’Afrique centrale un milieu culturel très homogène.
Vraisemblablement, ces reproches ont été pris en compte par la jeune génération des artistes centrafricains qui propose aujourd’hui une musique folklorique fortement imprégnée des rythmes traditionnels.
C’est le cas des artistes comme Losseba Ngoutiwa et Ozaguin qui puisent dans le répertoire des musiques traditionnelles centrafricaines.
A ce sujet, nous avons interrogé quelques mélomanes centrafricains qui, majoritairement, affirment être satisfaits de ce retour à la source réalisé par les artistes précités.
A côté, d’autres artistes à l’instar de Dibaba Lagome, Kaïda Munganga ne font que la promotion de la musique traditionnelle en recourant aux instruments modernes.
Aujourd’hui, des groupes de danse traditionnelle naissent par arrondissement de la ville de Bangui et proposent à l’occasion de diverses cérémonies des prestations moyennant rémunération.
Nombreux sont ceux qui sollicitent la prestation de ces groupes de danse traditionnelle. Interrogé, un responsable du groupe de danse traditionnelle affirme être sollicité tous les jours et la demande est forte les weekends.
Ceci témoigne de l’importance que la population centrafricaine accorde désormais à la musique traditionnelle et de la place qu’occupe cette dernière dans le paysage musical centrafricain. Quid des difficultés rencontrées par la musique traditionnelle ?
Quelques obstacles à l’émergence de la musique traditionnelle
Les difficultés auxquelles les promoteurs de la musique traditionnelle sont confrontés sont plusieurs : financiers, structurels, conjoncturels etc. Nous les développerons dans nos prochaines publications. Toutefois, il convient de rappeler que le paysage musical traditionnel n’est pas véritablement formalisé et est à ce jour un véritable chantier si l’on veut lui donner une forme.
Aujourd’hui, avec le phénomène de la mondialisation qui ne doit pas être appréhendé comme un processus d’assimilation, nombreux sont les artistes centrafricains qui puisent dans le répertoire des chants traditionnels pour marquer la spécificité de leur œuvre.
Ainsi, avec la musique traditionnelle, l’espoir nait, l’horizon s’éclaircit, et qui sait, peut-être elle finira par être la nouvelle ambassadrice de la R.C.A dans le monde de la culture.
Sources :
1.CEFEDEM Bretagne, Musique Traditionnelle et institution, Pays de Loire, in www.lepontsuperieur.eu (pdf), p.5
2.Sylvie Clerfeuille Chants à penser et trompes in http://www.afrisson.com
3.Jean-Bosco PELEKET, harpes et musiques traditionnelles centrafricaines à la cité de la musique à Paris, in www.sangonet.com
4.Le motenguele est à la fois une musique et une danse traditionnelle de la Lobaye, les pas de danse impliquent tout le mouvement du corps de manière douce.
5.Contrairement au motenguele, le loudou n’est pas une musique traditionnelle, mais plutôt un pas de danse à rythme plus mouvementé.
6.Le Gbadouma est une danse traditionnelle de l’ethnie Yakoma qui se trouve aussi bien à l’EST qu’au Sud-Est.
7.Le Kponingbo quant à lui est une dans traditionnelle des ethnies Zandé et Zankara.
8.Sylvie Clerfeuille, op.cit. p.2.
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