Le fléau du piratage sur l’industrie du disque à Madagascar
Par Prisca Rananjarison
Le piratage, ce fléau mondial de l’industrie du disque n’a pas épargné Madagascar. De nos jours, des milliers de CD audio, MP3 et clips vidéo piratés continuent à nourrir le marché noir de la Grande Île. Dans le centre-ville d’Antananarivo, la capitale, une centaine de vendeurs informels envahissent les marchés. Des contrefaçons de basse qualité qui coûtent trois fois moins cher que les originaux.
L’Office malgache du droit d'auteur (OMDA) rattaché au ministère de la Culture s’occupe de la perception et la redistribution des droits des artistes. Aujourd’hui, plus de 7 000 artistes sont recensés par l’OMDA dans toute l’île, dont 151 perçoivent leur pension de retraite. La somme perçue par les auteurs dépend de la vente, de la reproduction et de la diffusion de leurs produits, un système souvent mal compris.
« Certains artistes pensent qu’il suffit de produire des œuvres et de les déclarer pour ainsi percevoir des droits sans même les exploiter », confie Haja Ranjarivo, directeur de l’OMDA. Cette forme d’incompréhension, voire d’ignorance, favorise le piratage musical à Madagascar. La majorité des artistes pensent que la reproduction est légale. A cela s’ajoute un système laxiste en matière de politique culturelle. En janvier 2011 a été promulgué le Décret n°2011-029 portant Statut des artistes malgaches. Un décret qui aujourd’hui encore ne fait pas le consensus et n’a pas été suivi d’arrêtés d’application.
Contexte historique
Dans les années 1980, l’avènement de la cassette a bouleversé l’industrie du disque à Madagascar. « Les cassettes vierges étaient disponibles sur le marché. Les consommateurs préféraient compiler les œuvres de deux ou trois artistes dans une seule cassette au lieu d’acheter un seul album. Cette attitude reste aujourd’hui ancrée dans la mentalité des consommateurs », explique Keke, le directeur de Super Music Analakely, une des rares maisons de distribution de la Grande Île. La situation ne s’est pas arrangée avec l’arrivée des CD, des graveurs et des logiciels de reproduction de plus en plus performants.
Les crises économique et sociale de 2002 et de 2009 qui ont frappé le pays n’ont fait que favoriser la propagation de ce fléau. « Aujourd’hui, les artistes préfèrent se produire sur des scènes populaires ou encore d’animer des soirées au lieu de sortir des albums », confie Andry Rarivo, autoproducteur. Quant aux consommateurs, ils préfèrent acheter au marché noir au vu de leur faible pouvoir d’achat. « Je n’ai pas les moyens de me procurer un CD de 15 000 Ariary (4.81 USD)», confie un étudiant de l’Université d’Antananarivo.
À Madagascar, il n’existe aucun circuit de distribution. « Ici, le piratage est omniprésent, on pirate, car on ne sait pas où acheter un produit culturel. Les œuvres piratées sont ainsi supérieures en nombre que celles distribuées dans un point de vente formel », confie Eric Harilala Rasoamiaramanana du groupe Angaroa. Pourtant, l’établissement d’un circuit de distribution est un sujet toujours abordé par les différents ministre de la Culture qui se sont succédé, mais jusqu’à présent rien n’a jamais abouti.
La loi du piratage règne sur la Grande Île
Ces chiffres démontrent bien qu’à Madagascar le phénomène de piratage bat son plein. Le directeur de Super Music, quant à lui, confie que si auparavant sa boutique vendait entre 500 à 5 000 exemplaires d’un album original, actuellement, parvenir à en vendre ne serait-ce qu’une centaine relève d’un véritable miracle. Pour compenser cela, Super Music vend en parallèle du matériel informatique. Le responsable évoque même l’idée d’une « liquidation de stocks des produits artistiques ».
Si l’on devait estimer les revenus générés par les produits piratés : « La matrice ne coûte aux malfaiteurs que 500 Ariary (0.16 USD), un coût de gravure et de distribution estimé à 1300 Ariary (0.42 USD) par CD. Avec zéro taxe, ils se permettent de vendre un CD MP3 à 2 000 Ariary (0.65 USD). Avec 100 000 exemplaires vendus, ils peuvent gagner jusqu’à 20 000 000 Ariary (6406.77 USD), sans reverser une quelconque somme ni à l’artiste ni à l’OMDA, confie Haingo Patricia Rakotobe, directrice des Arts et de la Promotion des artistes (DAPA) du ministère de la Culture. Quand aux fournisseurs, la BAP n’a pas réussi jusqu’à maintenant à démanteler ce réseau de contrefacteurs à Madagascar. Tafika Rabenja, un vendeur de CD piraté, affirme qu’on lui fournit des disques chaque matin sans qu’il sache d’où ils proviennent.
Mesures anti-piratage
L’OMDA a mis en place depuis 2010 le système des hologrammes pour certifier et protéger les produits musicaux. Le producteur doit alors apposer un hologramme payant à raison de 70 Ariary (0.02 USD) par CD sur chaque produit déclaré. Travaillant en étroite collaboration avec l’OMDA et le système judiciaire, la Brigade anti-piratage (BAP) mise en place en 2012 a saisi 75 193 CD pirates durant le premier trimestre 2015. Aujourd’hui, la BAP poursuit son travail non seulement dans la capitale, mais aussi dans les provinces.
Quant à l’OMDA, il travaille actuellement sur un projet de loi portant sur « la rémunération pour copie privée ». Cette loi, déjà en vigueur au Burkina Faso et en Tanzanie, permettrait de faire payer des taxes sur l’entrée des supports vierges sur le territoire, ce qui permettrait de réduire les impacts du piratage à Madagascar.
Les artistes malgaches réagissent
Malgré toutes les mesures adoptées, le piratage reste un frein à l’épanouissement du secteur musical malgache. Les artistes malgaches se débrouillent tant bien que mal face à ce phénomène comme le groupe Piarakandro qui préfère vendre directement aux consommateurs sans passer par l’OMDA ou les maisons de distribution. Concernant le système d’hologramme, « il aurait été plus judicieux d’établir un plan d’action pragmatique pour démanteler les producteurs et les distributeurs de ces œuvres piratées avant d’imposer l’usage de l’hologramme », confie Noah Raoelina, percussionniste et manager.
« Le piratage est un phénomène mondial, Madagascar ne peut pas lutter puisqu’elle n’est pas l’inventeur de ce système. À l’étranger, les auteurs d’un produit se servent même du piratage pour rehausser leur notoriété », une vision assez positive de Lova Andrianaivomanana du groupe Mazavaloha. « En plus, les seuls qui participent à une forme de démocratisation de produits musicaux, ce sont les pirates, quel paradoxe !» , s’exclame-t-il.
Jimmy B Zaöto, un artiste qui vient de sortir son premier album, affirme qu’il serait intéressant que l’OMDA établisse un lien avec le réseau de piratage ̶ qui ne sera peut-être jamais démantelé ̶ pour en faire un système régularisé. Dans ce cas, les contrefacteurs participeront à la promotion et la structuration du secteur musical malgache. Ando Rakotovoahangy du groupe Nata DB, quant à lui, évoque la nécessité de réclamer l’application du statut des artistes malgaches. « Les artistes n’ont pas confiance au système, car ils n’ont aucun intérêt à suivre le système. Voilà pourquoi certains d’entre eux alimentent le marché noir puisqu’ils y trouvent un profit particulier. « Les artistes n’ont pas confiance au système, car ils n’ont aucun intérêt à suivre le système.»
La numérisation de la musique, la non-application du décret portant statut des artistes et le vide juridique qui l'entoure viennent s'ajouter à la commercialisation des œuvres piratées au vu et au su de tous. Le piratage est un fléau considéré hélas aujourd’hui comme un système allant de soi à Madagascar.
Publié le 24 juillet 2015, cet article est mis à jour le 13 novembre 2018.
Sources :
- Le fléau du piratage à Madagascar, www.youtube.com
- L’Office malgache du droit d’auteur, www.omda.mg
- Décret n° 98-434 du 16 Juin 1998 portant statut et fonctionnement de l'Office Malagasy du Droit d'Auteur (OMDA), www.wipo.int
- Le piratage à Madagascar, www.sobika.com
- Lutte anti-piratage : 8 313 CD saisis au cours du premier trimestre 2015, www.midi-madagasikara.mg
- Le statut des artistes malagasy, www.craam.mg
- Fléau mondial de l'industrie du disque, le piratage touche aussi Madagascar, www.rfi.fr
- Madagascar : première opération d'envergure pour la brigade anti-piratage, www.rfi.fr
- L’industrie musicale à Madagascar, www.afrisson.com
- Droits d’auteur – Taxer l’importation des supports vierges, www.lexpressmada.com
- Lutte anti-piratage - Des milliers de Cd saisis, www.laverite.mg
- Brigade anti-piratage - Descente en force ce jour, www.laverite.mg
- Madagascar: relance de la brigade anti-piratage www.afriquinfos.com
- Brigade anti-piratage : prévention avant la répression, latribune.cyber-diego.com
- 8 313 disques saisis au cours du premier trimestre 2015, www.midi-madagasikara.mg
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Edité par Walter Badibanga.
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