Le Gospel au Malawi
par Kamzati Konyani
Suite aux voyages de David Livingstone et d’autres missionnaires britanniques dans les années 1800, le Malawi devient protectorat britannique le 14 mai 1891[i]. L’arrivée des missionnaires dilue et change les pratiques culturelles existantes. La plupart des grandes églises chrétiennes sont représentées au Malawi. Les églises catholiques, presbytériennes et adventistes sont les églises dominantes et ce jusqu’aux années 1990. Sur le plan musical, elles sont traditionnelles et le gospel est, à l’époque, synonyme de chorale.
Dans les années 80[ii], la chorale Holy Cross d’Afrique du Sud marque le gospel au Malawi, inspirant les chorales telles Mhango Salvation Choir, Katawa Singers et Chikhulupirilo Choir, en intégrant le clavier léger et l’accompagnement à l’accordéon. L’instrumentation est considérée blasphématoire, comme le témoigne Willie Soko: « L’instrumentation lourde est semblable à la musique de danse, jugée inappropriée pour louer Dieu. Ils (le gens) pensaient qu’ils (les musiciens) jouaient de la musique de club à l’église![iii] »
Dans les années 90, on observe une multiplication des églises pentecôtistes, ce qui permet une approche plus souple quant à l’instrumentation. Soko déclare que pendant ces années, les églises ont des groupes qu’elles appellent les «groupes de louange ». Les solistes des églises sont accompagnés de musiciens introduisant ainsi une touche moderne au gospel local, offrant une interprétation différente des chorales conventionnelles.
Distribution
L’influence des églises chrétiennes sur la popularité grandissante du gospel est indéniable. Cependant, la distribution joue également un rôle majeur dans ce processus. Paul Banda, qui a dirigé l’un des groupes de gospel catholique les plus populaires, Alleluya Band, explique que jusqu’à la fin des années 80, le Malawi n’a qu’une station de radio et un studio d’enregistrement, la Malawi Broadcasting Corporation[iv]. « La MBC enregistrait la musique pour leur grille et non pour la vente. Il n’y avait pas de distributeur, » dit-il.
En 1978, Banda et le groupe Alleluya enregistrent l’album Malilime, mais il n’est vendu qu’en 1990, lorsque Banda négocie avec OG Issa, qui à l’époque fabrique et vend des compilations de musiques étrangères. Alleluya est le premier groupe à distribuer de la musique au Malawi[v]. Cela permettra à d’autres musiciens et au gospel, perçu jusque-là comme musique d’église, à se commercialiser.
Certains distributeurs, comme Clifton Bazar Music Centre et Salimu Music Centre se lancent dans la distribution, mais OG Issa maintient sa part de marché. Plus tard, avec l’arrivée des CDs, OG Issa se procure une machine de duplication et obtient une licence de distribution de la Société du droit d’auteur du Malawi (Cosoma)[vi], un organe statutaire qui gère les droits d’auteur. D’autres distributeurs concurrents sont interdits à prendre part dans la duplication des CDs. C’est ainsi qu’OG Issa monopolise le marché, et affirme son pouvoir de négociation, au point où les artistes se sentent arnaqués. Cette réalité pousse Lloyd Phiri, Grace Chinga et Ethel Kamwendo à vendre leurs propres CD, surtout. Certains ouvrent leurs propres magasins, tandis que d’autres ont des voitures qui circulent en guise de boutiques ambulantes. Cette méthode de vente se poursuit encore aujourd’hui, bien que les plates-formes en ligne gagnent en popularité[vii].
Sous-genres
Chorale: Si les chorales ont toujours un public important, leur style change considérablement de telle sorte que la plupart sont accompagnées de musiciens. Ndirande Anglican Voices, Great Angels Choir et Kamuzu Barracks Gospel Choir sont quelques-uns des groupes strictement a capella.
Rythme d’Afrique du Sud: les musiciens gospel sud-africains tels que Sipho Makhabane, Desmond Dube et Rebecca Malope sont adulés des artistes malawites tels que Grace Chinga, Lloyd Phiri et Allan Chirwa, qui s’en inspirent. Ce rythme reste le plus populaire au Malawi et plait à une grande partie du public amateur de gospel.
Traditionnel: Puisque le gospel au Malawi imite principalement des sons ‘étrangers’, les commentateurs réclament depuis longtemps un son ‘national’. L’un des artistes à présenter un son traditionnel distinct est Ethel Kamwendo. Elle puise dans le style qu’elle pratiquait dans Kamwendo Brothers Band et Ravers avant de devenir chrétienne née à nouveau, mélangeant la rumba au beat Manganje pour en faire un son unique. Alleluya Band fusionnent également des sons traditionnels dans ‘MusapitendiMawu’ de l’album Tiyanjane (1996) et ‘Muzichenjera’ de l’album Jubilee 2000 (2000). Un autre groupe avec une approche similaire est le duo Mboniza Yesu, qui développe un mélange de son Nyau avec des rythmes venant d’Afrique du Sud.
Urban: Les genres urbains tels que le hip-hop, R&B et dancehall s’infiltrent lentement dans le courant dominant, mais il reste encore une certaine résistance de la part de l’industrie à les accepter. Des artistes tels que David Kalirani, KBG, Liwu, Gosple et Jay Josh gagnent l’intérêt du public amateur de gospel. Les événements en direct contribuent également à la reconnaissance croissante du gospel urbain au Malawi. Par exemple, Bizzle Da Tuth l’artiste américain chrétien du hip-hop est la vedette du concert Live Wise and Die Ready qui a eu lieu à Blantyre en 2013, tandis que le Cross Mouvement Concert en 2011 a pour vedette Lecrae.
Reggae: Le reggae influence également la scène du gospel du Malawi. Beaucoup d’artistes du gospel ajoutent une ou deux chansons de reggae à leurs albums. Par exemple, Ethel Kamwendo Banda inclus ‘Okondana’ dans son album Uthenga. Mlaka Maliro, un artiste de la musique séculaire converti au gospel, apporte une touche de reggae.
Rhumba et Kwasakwasa: l’industrie du gospel au Malawi est depuis ses origines influencée par les tendances de la musique profane. En 2005, après la sortie de ‘Hakunamunguka Mawewe’ par Kijitonyama Choir, un groupe gospel tanzanien, rumba est devenu l’un des principaux sous-genres de gospel local. La plupart des artistes ne se spécialisent pas dans la rumba, mais ajoutent quelques touchent rumba à leurs albums - par exemple Grace Chinga avec ‘Ndayalura’ dans son album Udzaimba Nyimbo.
Country: Country est l’un des sous-genres mineurs du gospel au Malawi. Il regroupe une petite partie du public. Deux artistes locaux notables, Allan Ngumuya et Sweeney Chimkango, s’inspirent des grands noms américains tels que Jim Reeves et Kenny Rodgers ; ces deux locaux bercent les ondes des années 80 à la fin du millénaire.
Les performances
Les concerts gospels sont extrêmement populaires au Malawi, généralement plus que la musique chorale profane. Les musiciens du gospel utilisent leurs efforts collectifs lors de la tenue de leurs spectacles pour assurer le soutien du public. Un concert de gospel regroupe généralement plus de dix artistes contrairement à des spectacles de musique profane où un chanteur peut donner un spectacle avec quelques amateurs ou groupes en première partie. L’ICA Marque à Lilongwe, le Parc de Robin and Comesa Hall à Blantyre et Katoto Secondary School Hall à Mzuzu sont les principales salles de concert gospel.
Le gospel au Malawi a énormément évolué et, avec l’adoption d’une nouvelle politique culturelle au Malawi, l’industrie est pleine de promesses.
[i] Muula, A. and E. Chanika. 2012. Malawi’s Lost Decade: 1994-2004. Montfort Media, p.20. [ii] La chorale Holy Cross d’Afrique du Sud ne doit pas être confondue avec les chorales des mêmes noms en Afrique du Sud et en Angleterre. Pour plus de détails voir holycrosschoir.org [iii] Un entretien personnel avec le musicien vétéran et DJ radio Willie Soko le 26 mars 2015. [iv] www.mbc.mw [v] Un entretien personnel avec le musicien Paul Bandoan le 21 mars 2015. [vi] www.cosoma.org [vii] Par exemple la musique malawite peut être accédée à : www.malawi-music.com et www.mvelani.com
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