Le hip-hop au Cameroun
Par Dzekashu MacViban
Le hip-hop est un genre traditionnellement associé à la résistance. Contrairement à d'autres genres musicaux populaires locaux comme le Bikutsi, le Makossa, le Soukous ou encore le Bend Skin qui sont liés à la célébration et la bonne humeur en général et abordent des thèmes tels que les problèmes de relations, de sexe et des problèmes de société en général. Ce texte donne un aperçu du hip-hop camerounais et des artistes qui ont contribué à son développement.
Les origines du Hip-hop au Cameroun.
Alors que le Bikutsi et le Makossa « doivent leur popularité à l'émergence et au patronage du régime du président Biya dans les années 1982 » selon Nyamnjoh et Fokwan, il a fallu près de deux décennies au Hip-hop pour s’établir et parvenir à devenir aussi populaire que les genres susmentionnés. C’est parce que dès ses débuts dans les années 1980, le hip-hop a été marginalisé et associé une jeunesse en colère, même si ce n’était pas toujours le cas avec des artistes d'avant-garde Benjo, Stars system, Mc Olangué, Krotal, Bashiru, AK Sang Grave et Rage 2 Z-Vil, entre autres.
En 1998, Louis Tsoungi acquiert un studio d'enregistrement, il s'associe avec Paul Edouard Etoundi et Patrice Bahinails et lancent Mapane Records à Yaoundé en 2000. La maison de disque s'impose comme l’un des labels les plus importants des années 2000 et a produit des artistes tels que Krotal, Ak Sang Grave, Bashirou, Ebène et Phatal notamment. Le premier album sorti sous ce label est Yaoundé pour la planète d’AK Sang Grave en 2002.
Une autre maison de disque qui a émergé à la même époque est Zomloa Records. Créé par DJ Bilik, Zomloa a produit des artistes tels que Sultan Oshimihin, Shaman, Sumanja et 1.9.8.5.
Red Zone, un autre label influent basé à Douala et créé par Bobby Shaman (Ze Marien Claude) et Sharlee Ngango a émergé dans la seconde moitié des années 2000.
Les musiciens clés de l’évolution du Hip-hop au Cameroun
Krotal (Paul Edouard Etoundi Onambele) est parmi les pionniers du hip-hop les plus connus au Cameroun. Il a commencé en tant que membre du groupe Anonyme avant d'intégrer Magma Fusion (un collectif de rappeurs regroupant différents groupes locaux) avec lequel il participe aux Rencontres Musicales de Yaoundé (R.E.M.Y) en 1997.
En 2003, Krotal sort son premier album, Vert Rouge Jaune, qui reçoit un accueil favorable du public. L'opus contient des tubes tels que « Jamais » et «Vert Rouge Jaune».
En mai 2007, Krotal fonde Ndabott Prod un label qui travaille actuellement avec des artistes tels qu’Abracadabra, Jahel MineliH, Cyrille Nkono et Krotal lui-même. En 2012 Krotal sort l’album La BO de nos life.
Lorsque Sadrak et les frères Sassene (Evindi et Sundjah) ont décidé de former Négrissim en 1995, ils ne se doutaient pas qu'ils allaient créer ce qui allait devenir l'un des groupes de rap les plus influents du Cameroun et qui connaitra un grand succès au Sénégal et en France. Un autre rappeur, Boudor les rejoints un peu plus tard.
En 2000, Négrissim sort son premier album, Appelle Ta Grand-Mère qui raconte la vie au quotidien à Yaoundé, la capitale du Cameroun. Ils rappent dans une langue proche de l’argot de rue, avec des poésies et des jeux de mots.
En 2002, après deux ans de tournée, Négrissim décide de s'installer à Dakar, une décision motivée par des mesures de censures au Cameroun.
Les expériences vécues pendant leur tournée ont fortement influencé leur second album en 2009, La Vallée des Rois. En 2012, ils sortent un autre disque Le Plan Bantoo, Vol. 1, où ils mettent en évidence leur voix sur un style musical alternatif et underground, devenu leur marque de fabrique.
En 2012 souligne la fidélité de Boudor publie Rap-El dans lequel il dénonce les manigances des politiciens. L'ex-membre de Négrissim ne montre aucune retenue dans ses textes lorsqu’il évoque les questions sociales. Son label Boudorium est très impliqué dans la production et la diffusion de la musique camerounaise, et a produit des artistes comme Duc Z et Sahvane.
En 1999, Ayriq Akam fait équipe avec MH pour former un groupe appelé Feu Rouge. Sa collaboration avec M. Ndongo (DJ Str'ss) a considérablement élargi son répertoire musical. En 2000, il apparait sur une mixtape produite par DJ Str'Ss intitulé Micro Sauce Tomate.
Après une brève interruption en 2001, il retourne à la composition de textes. Désillusionné par son ancien label, Dark Cell, il crée un autre label en 2004 avec son ami Ismael. C’est sous ce label qu'il sort l'album Puzzle en 2010, le tube « Bienvenu au Cameroun » figure sur cet opus.
En 2014, un changement dans l'orientation de sa carrière artistique, pousse Akam à créer une autre maison de disque appelée Bangando Dream. Le label reflète sa maturité musicale ainsi que le désir de retourner aux influences et aux rythmes africains. Son album, Prelude to Hello, révèle son désir de produire une musique qui reflete les réalités socio-politiques de l'Afrique moderne.
La passion pour le rap conduit Valsero à former le groupe Ultimatum avec le rappeur Bachirou dans les années 1990. Au bout de quelques années, les deux rappeurs se séparent. Avec ses amis d’enfance Asan et Holmes, Valsero crée un groupe groupe K'ROZ 'N.
La frustration, la rage et le chômage se font sentir dans leurs chansons notamment dans les morceaux « Ce pays tue les jeunes » et « Ne me parle plus de ce pays ».
Ces titres deviendront des hits et sont appréciés certains jeunes qui s'y identifient. Politikement Instable, son album sorti en 2008, n'a été que peu diffusé sur les ondes des stations de télévision et de radio qui craignaient les répercussions des autorités camerounaises pour avoir diffuser une œuvre jugée trop politiquement.
En 2016, Valsero avait sorti un single « Motion de soutien » dans lequel il critique ouvertement l'actuel président camerounais Paul Biya à la tête du pays depuis plus de 30 ans.
Koppo (Patrice Minko'o) fut parmi les premiers artistes à utiliser la poésie dans son style musical qui est un mélange du slam et du hip-hop. Dans son album Je Go sorti 2004, Koppo rappe en « CamFranglais » (un argot camerounais qui comprend le français, l'anglais et les langues camerounaises).
Parmi les voix féminines du hip-hop camerounais, on peut citer Lady B, qui a connu du succès avec ses albums Ma Colère et La Fille Beti. Elle a participé à de nombreux festivals en Afrique, notamment en Afrique du Sud et au Gabon.
Une autre figure féminine du hip hop est Krucial Kate, qui, après l'enregistrement de son premier titre en 2003 a continué à collaborer avec Kondom Z, Black J-Gy et Parol. Elle a ensuite fait l’objet d’un documentaire produit par Malo Pictures et qui raconte son parcours. Son style est un mélange entre RnB, Hip-hop, Rock et Afro-pop.
La créativité de Z-Lex en tant qu'artiste et producteur se fait sentir dans des morceaux tels que « Je ne Donne pas le lait » « Steveslils » et « Ebangha » de Duc de Z. En plus d'être le gérant du label de Lastland Records, il est aussi auteur-compositeur et rappe dans un pidgin français et anglais (le pidgin est un créole à base lexicale anglaise parlé au Cameroun).
D’autres labels indépendants camerounais contribuent à l’industrie Hip-hop locale. On pourrait citer par exemple: Empire Company de Pit Baccardi, Motherland Empire fondé par le rappeur Stanley Enow, Mumak Records, Red Eye Entertainment, Chillen Muzic Entertainment, Amusic et Warrior Records.
Dans les médias, le travail de Tito Valery, un animateur de télévision et de radio a été très influent dans la diffusion et l'évolution du hip-hop. Sa carrière commence en 2002 quand il interrompt son stage dans un cabinet d'avocats pour travailler avec Radio Equinox. Il a ensuite rejoint STV et a animé plus d’une douzaine de shows très influents dans le monde du divertissement.
La nouvelle génération.
Jovi (Ndukong Godlove) est considéré comme la référence pour le « sampling » (technique permettant d'« échantillonner » des voix, des instruments, des sons déjà enregistrés par d'autres) dans le hip-hop au Cameroun. Avant lui, le phénomène n’était pas aussi répandu et ceci a suscité une controverse quand il a repris « Pitié », un tube de Tabu Ley Rochereau, la légende congolaise.
« Don 4 Kwat », le premier single de Jovi sur l'album HIV (publié par le label Mumak en 2012) a marqué un tournant pour le rap en pidgin et a été un succès retentissant. Ce tube a été joué sur l’émission Destination Africa de Dj Edu sur BBC 1Xtra pendant plus de 12 semaines.
Le label de Jovi, New Bell Music, est à la pointe du marketing sur les médias sociaux avec des méthodes révolutionnaires et un professionnalisme unique, une approche qui a contribué à la notoriété croissante de la chanteuse Reniss, dont l’album Afrikan Luv est un mélange unique d'Afro-pop et de hip-hop. L'album explore les questions complexes de l'amour et de la foi et affiche son africanité sur presque tous les niveaux - thématique, linguistique et stylistique.
Sans aucun doute le tube hip-hop, le plus célèbre de ces dernières années au Cameroun est « Hein Père » de Stanley Enow (2013), un extrait de son album Tumuboss.
Stanley a été récompensé aux MTV Africa Music Awards (MAMA) dans la catégorie « Best New Act » en 2014. Il est le premier Camerounais à avoir remporté ce trophée.
Nous assistons également à l'émergence des jeunes talents comme Mink's, connu pour son tube « Le gars-là est laid », Franko, célèbre pour son tube planétaire « Coller la petite » ou encore Tenor qui a intégré en 2017 le label Universal Music Africa, la branche africaine de Universal Music Group basée en Côte d'Ivoire.
Malgré son statut de nouveau genre musical au Cameroun, hip-hop a subi une série de transformation en 20 ans. Il n'est plus considéré comme une musique de contestation, il innove et est apprécié par jeunesse camerounaise urbanisée, friande des réseaux sociaux.
Publié le 16 juin 2015, cet article mis à jour le 3 septembre 2018.
Sources:
- Clark, Misa Kibona. 2012. “Hip hop as Social Commentary in Accra and Dar es Salaam”. African Studies Quarterly 13(3):23-24.
- Nyamnjoh, Francis B. & Jude Fokwang. 2005. “Entertaining Repression: Music and politics in Postcolonial Cameroon.” African Affairs:245.
- Onambélé, Paul Edouard Etoundi. “Les Musiques Urbaines au Cameroun de 1983 à nos Jours.” (Unpublished Ministry of Culture Document)
- Wakai, Kangsen Feka. “A New Chapter in the Kamer (Cameroon) Hip-hop Files: A Review of Jovi Le Monstre’s H.I.V (Humanity is Vanishing)”. Bakwa Magazine : http://bakwamagazine.com/2013/04/26/music-review-a-new-chapter-in-the-kamer-cameroon-Hip-hop-filesand-there-was-jovi-le-monstre-a-review-of-h-i-v-humanity-is-vanishing/
- K-Ran. 2014. “Wimbo-Kasi: Rap camerounais, Esquisse d’une trajectoire – Etat des lieux”. Je Wanda Magazine. <http://www.jewanda-magazine.com/2014/03/wimbo-kasi-rap-camerounais-esquisse-dune-trajectoire-etat-des-lieux/>
- http://nexdimempire.com/category/Hip-hop/
- http://www.mboaurbanmusic.com/
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