Le Jazz au Sénégal
Le Jazz au Sénégal, une musique confinée à un cercle très restreint...
Au début des indépendances, la plupart des groupes musicaux du Sénégal ajoutent à leur patronyme le terme Jazz. Ils s’appelaient Star Jazz, Tropical Jazz entre autres… Tous ces groupes ne jouaient pas du Jazz, mais leurs noms symbolisaient assez bien l’influence qu’avait la vie des noirs américains sur la leur à l’époque.
Une musique élitiste…
Naturellement donc l’environnement du Jazz, comme du blues ont très tôt influencé les musiciens sénégalais. Malheureusement, ce genre musical proprement-dit, fut assez marginal. Très peu de groupe en jouent. Il est resté confiné à une élite. Il se joue dans les hôtels de Dakar où dans des clubs très privés. A travers les années, d’excellents instrumentistes férus de jazz voient le jour. Des bands deviennent plus visibles. Vieux Mac Faye, guitariste virtuose faisant parti de la fratrie des Faye, (nous y reviendrons) a créé son groupe. En réalité, force est de constater, il n’y a pas réellement de Jazz au Sénégal. Les musiciens qui s’adonnent à ce genre n’arrivent pas à vivre de leur art. Son public en général est composé d’expatriés ou de rares sénégalais.
À quoi cela est dû ?
Premièrement, il y’a le fait que les musiciens sénégalais sont mals formés. Au moment où au Cameroun le conservatoire recevait des musiciens, jazzmen et bluesman des Etats-Unis, au Sénégal le conservatoire était sous-administration russe. Fruit de la coopération russo-sénégalaise, les instruments à vent étaient privilégiés au détriment des autres instruments. Cette situation n’a pas favorisé une grande ouverture et susciter la créativité des apprentis musiciens.
Deuxièmement, la musique qui s’est imposée comme musique dominante au Sénégal, est le Mbalakh. D’abord il faut signaler que toutes les ethnies ont le Mbalakh. Elle prend des formes différentes selon le groupe, le clan ou l’ethnie. Celui qui s’est imposé est celui venu du pays Wolof (d’après des experts il a pour ancêtre le Njuup en pays sérère). Ensuite le rythme Mbalakh n’est joué qu’au Sénégal (en 3 temps) alors que les codes universels sont binaires, ce qui fait qu’il n’est compris qu’au Sénégal. Alors que les musiques du Nord (Fouta), du Sud (Casamance) proposent quelque chose de plus universelle. C’est ce travail de fusion qui est le grand chantier pour l’éclosion non seulement d’une authentique musique sénégalaise mais aussi une meilleure scène Jazz. Des musiciens comme ceux de la fratrie Faye, avec d’autres, l’ont compris.
Les groupes et grands noms du Jazz au Sénégal
Parmi les groupes de Jazz qui ont vu le jour au Sénégal, on peut citer, « Watosita » avec à sa tête Michael Summah, un animateur radio très célèbre et féru de Jazz. Il y’a le groupe « Keur-Gui » avec Doudou Ba un génial bassiste et Doudou Konaré guitariste de talent. C’est « Keur-Gui » qui a accompagné la diva Aminata Fall lorsqu’elle sortit son album en 1995. Née à Saint-Louis, Aminata Fall était surnommée la Mahalia Jackson sénégalaise tant les reprises qu’elle faisait des tubes de la chanteuse américaine étaient parfaites. Aminata Fall est considérée jusqu’à présent comme la figure féminine la plus marquante du Blues et du Jazz sénégalais.
Il y’a eu aussi « Opus Band » un groupe où s’est illustré le fameux bassiste Cheikh Ndoye (un jazzman qui monte). Il y’a bien eu «Harmattan» un band qu’avait lancé Habib Faye le maitre et qui a laissé la place à Habib Faye Quartet. On peut citer aussi le Mac-Show Band dont on a parlé plus-haut et qui reste avec le jeune groupe, « Milim » l’un des rares groupes à jouer régulièrement. « Milim » qui réunit une nouvelle vague de jeunes musiciens talentueux qu’accompagne Joël un expérimenté batteur.
Par ailleurs, il faut souligner que l’absence de cadres, de publics, de promoteurs et de producteurs font que la plupart des instrumentistes adeptes du Jazz quitte le Sénégal pour aller vivre en Europe. On peut citer parmi eux Cheikh Ndoye auteur d’un premier album A Child’s Tale salué par la critique. Cheikh Ndoye fait parti de cette vague de musiciens prometteurs qui ont très tôt quitté le navire Sénégal faute d’espace. Aujourd’hui, il joue avec Russel Ferrante, Dave Weckel, Lao Tizer ou Dean Brown et est classé parmi les bassistes sénégalais les plus doués de sa génération. Cheikh vit désormais aux Etats-Unis. Le pays de l’oncle Sam accueille le plus grand nombre de jazzmen sénégalais. On peut citer parmi eux: Doudou Ba ex Keur Gui, un musicien au grand talent.
Soriba Kouyaté (1963-2010) était aussi un musicien d’un grand talent. Décédé en 2010, Soriba était un koriste qui avait réussi à fusionner tradition et modernité. Il jouait autant du Soundjoulou Cissokho (légende de la Kora) que du Coltrane. Il a laissé à la postérité trois albums fantastiques: Djigui sorti en 1995, Kanakassi sorti en 1999 et Bamana en 2001 sans oublier le live à Montreux en 2003 et le dernier album du groupe Kora Jazz Band qu’il avait fini d’ enregistré.
Un autre talent très tôt parti s’installer en France précisément à Paris c’est Alune Wade ‘’Marcus’’. Ancien bassiste d’Ismaël Lô, Alune est très vite attiré par la perfection et la recherche. Il a de qui tenir. En effet, son père est ancien chef d’orchestre de la musique des armées et directeur de l’orchestre national. Après avoir parcouru le monde avec Joe Zawinul, Marcus accompagne désormais Paco Sery et d’autres grands noms du Jazz.
Les scènes Jazz au Sénégal
Évidemment, on ne peut parler de Jazz sans évoquer la scène. Et dans ce domaine, le Festival de Saint-Louis dont les premières éditions ont eu lieu 1991 et 1992, est incontournable. Il faudra attendre toutefois 1993 pour assister au véritable démarrage de l’événement. L’association Saint-Louis jazz fut crée en 1994 précisément par les initiateurs du festival et des responsables du Centre Culturel Français (CCF) Rapidement, l’événement s’inscrit dans le calendrier des grands rendez-vous Jazz du monde avec des moments mémorables.
En 1996, les doigts de Herbie Hancock illuminent Saint-Louis. L’année d’avant, c’est un Ali Farka Touré dans toute sa splendeur qui fera voyager le public saint-louisien à travers l’Afrique du blues. La même année 1995 a vu la participation remarquée de Jack Dejhonette. Un des moments forts et inoubliable de Jazz Saint-Louis Jazz, sera sans doute aussi les deux passages de Joe Zawinul dans la capitale du Nord: En 1997 puis en 2002. Il était accompagné par le génial bassiste Richard Bona et l’immense Paco Sery à la batterie.
L’homme aux doigts magiques y a toujours gratifié son public de prestation digne de son rang. Joe Zawinul fait parti des musiciens de légendes. Pianiste de Miles Davis, membre fondateur de Weather Report, l’autrichien aujourd’hui disparu, a marqué l’histoire du jazz et de la fusion. Assurément, les saint-louisiens n’oublieront pas les promenades à pieds à travers la ville de celui qui avait réussi à créer une osmose entre lui et les habitants de la vieille cité. Autre moment fort: 1999, avec la grande chanteuse de gospel, blues et jazz Liz McComb. Généreuse dans ses prestations, elle chante tantôt la souffrance, tantôt la joie et toujours la spiritualité. Ce cocktail a envouté le public du Festival.
C’est dans le même esprit que s’inscrit un autre Festival qui a vu le jour à Dakar. « Jazz à Gorée » pour ne pas le nommer est un projet intéressant qui a pour site l’Ile historique. À la manœuvre, trois musiciens hyper doués: Alune Wade (bassiste), Cheikh Ouza Diallo (pianiste), Hervé Samb (Guitare). Tous les trois jouent régulièrement sur les scènes du monde accompagnant d’illustres noms de la musique. Ils souhaitent, à travers ce rendez-vous annuel, offrir un événement majeur à la capitale sénégalaise surtout à Gorée. Selon les promoteurs, Jazz à Gorée devra être une vitrine pour Dakar et lui permettrait le temps du Festival d’être la capitale mondiale du Jazz. Enfin, ils entendent mettre un cachet particulier sur l’échange et la rencontre. En effet, des ateliers entre musiciens et jeunes dakarois seront au programme.
Gorée justement porte le nom d’un projet Jazz auquel Youssou N'Dour a eu à prendre part : « Retour à Gorée ». Une dizaine de jazzmen américains et européens se sont retrouvés en 2007 au studio puis sur scène à travers le monde pour reprendre le répertoire de la star mondiale dans un style très jazzy. De cette experience découle l’excellent film-documentaire suisse « Retour à Gorée » du réalisateur Pierre-Yves Borgeaud sorti en 2008.
L’avenir du Jazz au Sénégal
La formation des jeunes musiciens c’est le sacerdoce de Rane Diagne, pianiste d’un grand talent dont les services sont loués par plusieurs artistes du pays et du continent. Pour lui, la formation est une priorité. Rane encourage les débutants à passer par le Jazz parce qu’elle est une musique qui «vous permet de vous améliorer et de devenir meilleur musicien. Elle ouvre également la porte à toutes les autres musiques». Le fameux pianiste a initié divers programmes d’échanges. Comme ces rencontres où le répertoire classique traditionnel de tout le Sénégal était repris. D’après lui, il n’y a que par ces échanges que l’on peut profiter de notre riche patrimoine traditionnel. C’est dans notre patrimoine traditionnel que puisent des groupes comme Kora Jazz Band et des musiciens comme Ablaye Cissokho.
Kora Jazz Trio, devenu par la suite Kora Jazz Band, est un groupe essentiellement composé de sénégalais même si l’un de ses fondateurs Djeli Moussa Diawara est guinéen. S’inspirant de la tradition et de la culture ouest-africaine, le magnifique trio n’en est pas moins ouvert aux sonorités du monde, du Jazz en particulier. Abdoulaye Diabaté ex Super Diamono (piano), Moussa Sissoko (percussions), Djeli Moussa Diawara puis Soriba Kouyaté (Kora).
Autre grand maitre de la Kora qui surfe entre le Jazz et la musique traditionnelle: Ablaye Cissoko. Ce natif de Kolda est un saint-louisien bon teint. Ce trait de caractère (né en Casamance et grandit à Saint-Louis), fait d’Ablaye Cissoko un homme d’échange et de brassage des cultures. Sa virtuosité lui permet d’intégrer très tôt le Saint-Louis Jazz orchestra. Aujourd’hui, après un album solo dénommé «Diam» en 2003, il multiplie les collaborations et les expériences. D’abord en participant en 2007 à l’album de François Jeanneau Quand se taisent les oiseaux, ensuite en sortant en 2009 Sira un album en duo avec le trompettiste allemand Volker Goetze. Deux albums largement salués par la critique et qui a valu au koriste une reconnaissance internationale. Désormais, il n’arrête plus et enchaine les tournées à travers le monde.
En résumé, malgré des musiciens de talent, bénéficiant d’une notoriété internationale certaine, le Jazz au Sénégal tarde toujours à s’installer. Il est important selon des spécialistes comme Rane Diagne de trouver les bons producteurs pour consolider ces acquis encore fragiles. Il s’agit aussi pour lui d’inciter les têtes d’affiches de la musique sénégalaise à s’inscrire dans la diversité musicale du pays et à oser sortir de la trop forte influence d’un Mbalakh de moins en moins recherché.
La Famille Faye : La Fratrie Faye est incontournable dans la sphère Jazz au Sénégal. Tout part d’Adama Faye, un grand frère qui voit son père professeur de français et de musique, titiller la guitare en toute discrétion. Le jeune Adama maitrise rapidement le solfège et les rudiments de base de la musique. Il deviendra un des meilleurs claviéristes et arrangeur du Sénégal. On parle de lui comme l’inventeur du Marimbalax, un rythme qui se joue aux claviers. Un mélange de balafon et de percussions… Il a grandement participé à donner une identité à la musique de Youssou Ndour, de Ismaël Lô, de Thione Seck ou du Super Diamono pour ne citer que ceux- là. C’est Adama qui met le pied à l’étrier à ses frères Habib compagnon de route de Youssou N'Dour, Lamine guitariste de génie du fameux groupe Super Diamono ou encore Vieux Mac précurseur du «Jolof blues» (mélange des sonorités sénégalaises, jazz et blues). Le Sénégal lui a rendu hommage lors de la journée internationale du Jazz le 30 Avril dernier.
Lamine Faye : Guitariste hors-pair, membre influent du fameux Super Diamono, il crée son propre groupe le Lemzo Diamono groupe et occupe la scène musicale au milieu des années 1990. C’est la période où Lamine permet à plusieurs chanteurs de lancer leur carriere. C’est le cas de Pape Diouf un chanteur qui cartonne à Dakar aujourd’hui. Tout au long de son compagnonnage avec le Diamono, il a toujours gratifié son public en premiere partie de concert des moments jazz exquis en reprenant les grands classiques du genre.
Vieux Mac Faye : Boubacar Faye à l’Etat-civil, Vieux Mac pour les fans. Ce juriste de formation est aujourd’hui reconnu comme un des meilleurs guitaristes de son pays. Il commence à gratter au Ritii (violon peul à une corde) puis monte son premier groupe «Sabar Tam» avec le chanteur non-voyant Pape Niang. Vieux Mc travaille en 1984 pour Ismaël Lô en studio et sur scène. Plus tard d’autres artistes loueront ses services Cheikh Ndiguel Lô notamment. En 1989 naît son propre groupe « le Mac Ténor Band ». Vieux Mac se présente comme étant le premier jazzman du Sénégal. Après des succès comme «Mademoiselle» en 1993 et «Tout avec lui, Rien sans lui» en 2005, Vieux Mac crée le «Mac-Show Band». Sa musique également évolue du Jazz vers le blues. Avec son band, il reprend les grands classiques du Jazz en y ajoutant ses propres compositions et parcours les clubs des hôtels à travers tous le pays.
Habib Faye : Habib est sans doute le plus connu des frères à travers le monde. Son long compagnonnage avec la star mondiale Youssou N'Dour en est pour beaucoup. Lui aussi, peut en dire autant sur le célèbre chanteur. Directeur artistique de la musique de Youssou pendant plus d’une vingtaine d’années, il a façonné ses succès et réalisé ses tubes. Habib est connu aussi pour être un jazzman de génie. Inspiré par Jaco Pastorius qui est son maitre et auquel il a rendu hommage dans un album live en 2004 Tribute to Jaco Pastorius où il reprend les grands thèmes chers à Jaco. Sortir le Jazz de son élitisme, c’est le projet de sa vie. En initiant des événements comme «Dakar Jazz», les «lives de Habib», des projets comme «trio magique» où il partageait la scène avec le batteur Makhtar Samba et le guitariste Didier Loueke, le célèbre bassiste participe à l’émergence d’une musique alternative et fait vivre le Jazz au Sénégal. H2o est le nom de son véritable premier album: un mélange de musique du Sud (Casamance), d’Afro et de Jazz.
Mahanta, Moustapha : Le premier est batteur, le second pianiste. Seulement, ils ne sont pas dans le monde du Jazz.
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