Le lead vocal Omar Mané, terrassé par un infarctus: l’orchestre Njama Niaaba perd la voix
La voix du Balantacounda s’est éteinte. Omar Mané, lead vocal du groupe musical Njama Niaaba n’est plus. Terrassé par «un infarctus le lundi à Diattacounda, il est évacué le même jour à l’hôpital régional de Ziguinchor. Il a rendu l’âme le vendredi à 17h 17mn», indique une personne bien au fait des circonstances de son décès. Le même individu précise qu’«il devait tenir un panel suivi d’une grande soirée culturelle avec les femmes Balantes le samedi soir à Ziguinchor, où son groupe s’est produit le 31 décembre dernier». Frappé par le destin, il a été inhumé à 14 heures 40mn le samedi dernier à Niafor son village natal, situé au sud est du département de Goudomp.
Lead vocal, Omar Mané est le chef d’orchestre du Njama Niaaba. Un nom donné à cet orchestre pour immortaliser une héroïne de la communauté balante qui a eu à diriger des expéditions guerrières en présence des hommes. «Elle est dotée d’un pouvoir mystique qui la place au-dessus de sa communauté», témoignait Omar Mané. «Méconnue de la jeune génération, son histoire qui a marqué son époque est riche et pleine d’enseignements », confiait le défunt dans un entretien réalisé lors du dernier festival Balenbuger de Sédhiou.
Omar Mané fausse la compagnie à ses amis à l’âge de 37 ans. Son groupe musical a été fondé en 1994, à Niafor par une bande de copains. «Au début, c’est une histoire d’enfance. Par la suite, nous avions pensé y mettre du sérieux en misant sur la qualité de fils de balanfoniste de renom que je suis. Mes camarades et moi ont pensé à revaloriser ce legs», indiquait l’artiste.
Le groupe qui se veut ambassadeur du Balantacounda, a produit trois albums. Le premier est intitulé Balusna kijaago qui signifie, «Valorisons notre culture». Une manière d’inviter la communauté balante à se mobiliser pour valoriser la langue balante qui à ses yeux, est sur une dangereuse pente descendante, et qu’il faut redresser. Cet album a lancé le groupe et a apporté les résultats escomptés, comme l’atteste l’enthousiasme des jeunes qui entonnent leur musique lors des concerts.
Le deuxième album qui a pour titre Doua, est une sollicitation de la bénédiction des sages pour un meilleur épanouissement des jeunes, qui sont l’espoir de demain. Sounia ou la circoncision en pays balante, est le dernier album qui atteste de la confirmation et la maturité d’un groupe qui fait vibrer les cœurs.
Le Njama Niaaba se réclame d’un style musical nouveau, qui est né d’un mélange de sonorités divers de la Casamance naturelle mais dont le balafon demeure l’élément clé. C’est de «l’afro balante». L’objectif est de mettre en exergue le balafon balante, qui n’est pas bien connu du large public. «Il a pourtant des particularités qui le distinguent du balafon dialonké et du xylophone indien, grâce à sa gamme diatonique variée et riche. On s’en est rendu compte au cours de nos tournées à travers le monde notamment au festival dénommé «triangle du balafon» qui se tient au Mali».
Le 27 décembre dernier, le groupe s’est produit à Kinthiengrou. Après ce concert d’adieu à des fans du Boudhié pris de cours par l’annonce de son décès, les mélomanes ont été invités à Diattacounda dans le département de Goudomp mais à cause d’un malaise du lead vocal, le concert a été reporté et n’aura finalement pas lieu. Tout en faisant la promotion de la culture balante, la problématique de la paix en Casamance est au menu de la musique du Njama Niaaba.
Œuvrant dans le social et la promotion de l’éducation, l’orchestre organise chaque année des concerts et verse l’argent collecté aux associations de parents d’élèves, pour en finir avec les abris provisoires dans cette partie du pays. C’est sans doute pour lui rendre hommage que le cortège funèbre a fait escale au Cem de Goudomp, surnommé Darfour du fait du nombre de ses abris provisoires et dont les responsables ont bénéficié des largesses du groupe pour en finir avec ces abris. La séance de recueillement des élèves devant la dépouille de l’illustre disparu a té pleine d’émotion. Certains potaches n’ont pu retenir leurs larmes. De Ziguinchor à Niafor via la Rn6, les populations riveraines sont sortis en masse pour saluer le cortège, qui en raison de l’état de la route et de ses escales forcées n’est arrivé à Niafor qu’à 14 heures 18.
Affecté par cette disparition prématurée d’un chantre de la culture, le directeur du centre culturel de Sédhiou, présent à cette cérémonie, a à la tête d’une forte délégation des acteurs culturels de Sédhiou, parlé d’une grosse perte pour la musique. Aliou Kéba Badiane, qui loue l’humilité et l’engagement de l’artiste annonce que «le groupe est sur le point de sortir un nouvel album en février prochain». Ce sera à titre posthume pour Omar Mané, ancien pensionnaire de l’Ecole des beaux-arts, parti de là sur la pointe des pieds.
Célibataire sans enfant, Omar est un digne héritier de son père Mang Béné Mané, un balafoniste de renom, qui n’a pas tari d’éloge sur les ondes de Pkumel fm, la radio locale, à l’endroit de son enfant arraché à jamais à son affection. Le ton trainant de sa voix en disait long sur la douleur de ce patriarche secoué par l’effondrement de celui sur qui il comptait pour perpétuer son art. La disparition brutale d’«Omaro Mané», comme l’appelait affectueusement Fanta Diatta, son choriste, agite également la question de l’avenir du groupe Njama Niaaba, orphelin de sa voix et de sa guitare, dont lui seul avait le secret pour composer des mélodies d’amour, de paix, de cohésion sociale, de promotion des valeurs culturelles de son ethnie, privée d’un digne ambassadeur.
Ousmane Demba (Le Quotidien)
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