Le Rap au Mali
Par Simon Doniol
Le rap au Mali est aujourd'hui le seul style musical à remplir les stades lors des concerts. Au pays d'Ali Farka Touré et de Salif Keita, la culture hip hop a pourtant pris le pas sur ces illustres représentants. Dans un pays composé à 60% de jeunes de moins de 24 ans, nés avec cette musique, le constat n'est pas étonnant. D'innombrables structures de production indépendantes naissent tous les jours à Bamako et dans toutes les villes du pays, les home-studios font la part belle à la débrouillardise. Pour autant, il n'existe pas à proprement parler de structures de production établies qui fonctionnent de manière durable. Retour sur l'émergence de cette musique au Mali, son évolution, les groupes fondateurs et actuels.
Quand le message déferle sur le Mali
Difficile de dater l'arrivée des premiers rappeurs dans les quartiers de Bamako. Mais comme au Sénégal, le rap n'est pas né dans les ghettos mais plutôt dans les familles des classes aisées dans les années 1980 ; ayant des connexions pour importer des cassettes VHS de clips des Etats-Unis, des cousins installés en Europe qui ramenaient des cassettes et des CDs, Amkoullel témoigne ainsi : « J'ai découvert le rap avec mes frères. Au début, je faisais du beat box pendant qu'eux rappaient en refaisant NWA, Public Enemy, Grandmaster Flash. Je ne comprenais pas l'anglais, ce n'est qu’après que l'on m'a traduit les lyrics. »
Le Mali ne fait pas exception lorsque la déferlante hip hop envahit le monde à l'orée des années 1990. Amkoullel parle d'ailleurs de quelque chose de très “puissant” : « C'était très intéressant de voir des jeunes faire des choses, avoir une musique, surtout au Mali qui à cette époque ne montrait que des adultes à la télé. Il n’y avait vraiment pas d’espace d’expression pour la jeunesse malienne. »
Le rap au Mali prend son émergence concomitamment à l'arrivée de la démocratie. La multiplication des radios privées qui diffusent ce style musical participe à son développement exponentiel. Mais c’est bien la télévision qui reste encore aujourd’hui le passage obligé pour tout musicien désireux d’entamer une carrière. Parmi les pionniers des rappeurs maliens, le groupe Sofa, composé de Lassy King Massassy (considéré le père de tous les rappeurs maliens) et de feu Master T, est le premier à passer sur ORTM en 1992.
Amkoullel revient sur les débuts difficiles pour faire accepter cette musique dans la société malienne : « Au début c’était compliqué, les gens nous accusaient de singer les américains ou les européens, le rap n’étant pas une culture de chez nous. Ils n’avaient pas complètement tort. Mais après le hip hop malien a évolué en utilisant nos propres valeurs culturelles, notre patrimoine, en utilisant le bambara et les autres langues nationales. Ça nous a pris dix ans mais au bout du compte les gens ont compris que le hip hop était là pour lancer un message. » Surtout dans un pays où l'oralité est un art qui fut longtemps le domaine réservé des griots. Prendre la parole en public au Mali n'est pas offert à tout le monde : « On s'attend à ce que tu aies un message consistant à faire passer, sinon les gens ne t'écoutent pas. »
Un rap moral ?
Les rappeurs seraient-ils les griots modernes ? “Raccourci” répond Amkoullel. « Comme les griots, nous sommes porteurs de messages, nous sommes là pour rappeler à nos frères et sœurs qui nous sommes, en attirant l’attention sur des points importants liés à notre identité, nos principes et nos valeurs. Aujourd’hui le griot moderne chante des louanges pour n’importe qui, même si la personne a détourné des fonds publics et que c’est de notoriété publique. C’est devenu une relation très commerciale même si certains ont gardé leurs valeurs. L’ancêtre du rappeur serait plutôt le joueur de bolon. » Le joueur de bolon, ou le seul habilité dans la cour du roi à prendre la parole et le critiquer ouvertement.
Une définition qui a une résonnance directe avec un autre groupe de rap référent au Mali : Tata Pound qui sortira en 2002 la fameuse chanson "Cikan" qui mettait Amadou Toumani Touré en face de ses responsabilités, ou bien en 2006 la chanson "Monsieur le Maire". « Tata Pound est le pendant Malien de Public Enemy » affirme Amkoullel. Des paroles critiques qui subiront la foudre de la censure.
Les thèmes des raps maliens – en mettant volontairement de côté les clashs actuels entre artistes en vue - sont le plus souvent centrés sur les problèmes de chômage, de santé, l’éducation, le rapport à la famille, à l'argent, les responsabilités des politiques, la corruption. On représente son “grin” (l'espace de parole sans tabous qui réunit les hommes, et aujourd'hui les femmes de même âge). D'ailleurs, les rappeurs maliens acceptent volontiers leur caractère de moralisateurs, porteur d'un discours “conscient”, visant à être les porte-voix des sans voix, comme le montrera la chercheuse Dorothea Schultz.
Amkoullel s'exprime en ce sens : « Aux Etats-Unis, quand tu dis que tu fais du rap, la plupart des gens s’attendent à ce que tu parles de filles, bling bling, argent, gangsta, violence. Alors qu’au Mali et en Afrique de l’ouest en général, lorsque tu dis « je suis rappeur », les gens ne vont pas forcement avoir cette image. »
Des rappeurs engagés, une industrie musicale aux abonnés absents
Dans un pays où presque 70% de la population est analphabète, la parole, le bouche à oreille sont les vecteurs premiers de diffusion de l’information. La crise politique de 2012 et la guerre au Mali ont vu les artistes maliens se mobiliser et les rappeurs étaient en première ligne pour contester, informer, proposer des solutions : « lorsque le Président a acheté un avion, il y a eu des lyrics contre ça, lorsque le MNLA a essayé de prétendre qu’il représente les touaregs du Mali, ce qui est un gros mensonge, nous à travers nos titres on a remis les choses dans leur contexte. »
Aujourd’hui la scène rap au Mali, bien que très active, ne dispose pas des infrastructures nécessaires pour assurer son développement. Des producteurs comme Papy de Kroniks Music, Sidiki Diabaté, Luka productions, Maliba productions (audio et clips vidéos), Doc Bah Fansé 8.8 (vidéos), Dark Face Films (vidéos) ou encore L-Pacifico sont parmi les plus actifs sur le marché. Les rappeurs tels : Iba one, Tal B, Gaspi, Mylmo, Master Soumy, SMOD, Mobjack, Cosby, Amy Yerewolo (rappeuse) occupent le devant de la scène. Les portails web de diffusion des clips Rhhm.net et Badama City proposent les dernières nouveautés. L’émission Mali Rap sur TM2 reste un espace d’expression pour les jeunes talents.
Mais l’Etat, à travers le Bureau Malien des Droits d’Auteurs (BuMDA), ne fait pas son travail, l’opacité est reine et il est pratiquement impossible de vivre de son art. Des organisations privées comme Orange offrent quelques opportunités lors des tournées promotionnelles en proposant des contrats s’étalant sur deux ou trois ans, mais sa position de monopole rend difficile les autres initiatives. Difficile pour les rappeurs de tourner hors du pays comme l’explique Amkoullel : « C’est hallucinant mais il est plus simple pour un artiste malien de tourner en Europe ou aux Etats-Unis plutôt que de tourner sur le continent africain. La qualité de la production est bonne, les talents sont là. C’est le côté business et tout l’administratif qui ne suivent pas ».
Sources :- Amkoullel – Entretien personnel – Paris/Washington - 2015
- Amkoullel l’enfant peul : le Hip Hop Malien ou l’engagement social à travers l’art in Hip Hop and Social Change in Africa: Ni Wakati - Lexington Books - 2014
- Diakon, Birama : Jeunesse et Rap au Mali (une introduction) – 2009 - http://fr.netlog.com/diakonbirama/blog/blogid=3701388#blog
- Kwal – Rap au Mali – Respect Mag – 2008 - http://www.respectmag.com/rap-au-mali
- Juompan-Yakam, Clarisse : Sur les pas de Ramsès Darafida, leader de Tata Pound – eune Afrique – 2013 - http://www.jeuneafrique.com/Article/JA2718p139.xml0/afrique-mali-musique-bamakomali-sur-les-pas-de-rams-s-damarifa-leader-de-tata-pound.html
- Maxwell, Heather :Malian Music Prevails in Troubled Times: Rap/Hip Hop Music and Festivals Rally to Rebuild the Nation – Voice of America – 2012 -http://blogs.voanews.com/music-time-in-africa/2012/08/30/malian-music-prevails-in-troubled-times-rap-music-and-festivals-rally-to-rebuild-the-nation/
- Minimum, Benjamin :Amkoullel, un rappeur malien au coeur de la protestation, Mondomix – 2012 -http://www.mondomix.com/news/amkoullel-un-rappeur-malien-au-coeur-de-la-protestation
- Morgan, Andy :The Voice of the Voiceless: An In-Depth Portrait of Mali’s Hip Hop Scene – 2014 - http://www.redbullmusicacademy.com/magazine/mali-rap-feature
- Schulz, Dorothea, Mapping cosmopolitan identities. Rap Music and Male Youth Culture in Mali - in Hip Hop Africa - New African Music in a Globalizing World, Indiana University Press,2012- https://www.academia.edu/9228463/Mapping_cosmopolitan_identities._Rap_Music_and_Male_Youth_Culture_in_Mali
- Site web Badama-city.com :http://www.bamada-city.com/
- Site web Rhhm.net : http://www.rhhm.net
- Traoré, Kassim : Mali: Amkoullel-Djiguitigueba ou la grande déception Un single pour dénoncer la gouvernance actuelle, Maliactu.net – 2014 - http://maliactu.net/mali-amkoullel-djiguitigueba-ou-la-grande-deception-un-single-pour-denoncer-la-gouvernance-actuelle/
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