Le rock à Madagascar
Par Anjara Rasoanaivo
A chaque rendez-vous, les pantalons et les vestes de cuir sortent des placards, les bottes à bout métallique refont surface et surtout, les cheveux sont dans le vent. Le rock a encore et toujours sa place dans le paysage musical malgache, et ne cesse d’ailleurs d’évoluer.
Le rock fait son apparition à Madagascar dans les années 50 avec l’arrivée des disques 45 tours, qui à l’époque étaient presque tous déclinés de la musique jazz. Une vague qui venait surtout des pays anglophones et qui a atteint les musiciens et les amateurs de musique de la grande île. En 1959, c’est Johacin Randrianarisoa, alors technicien au sein de la Radio Madagasikara (RNM, de l’époque) qui crée un des premiers, si ce n’est le premier groupe de rock de Madagascar, et sort le titre « hey Baby » surtout joué lors des podiums, organisés à l’occasion de la fête de la République, le 14 octobre. Durant quelques années, ce sont ces scènes populaires, plus tard célébrées le 26 juin qui ont données place au rock à Madagascar.
Pionniers du Yé-yé
Curieusement, mais véridique, les musiciens malgaches sont à l’origine de la vague yé-yé en France. Ce sont ces artistes qui sont apparus à l’époque du twist. Un des pionniers de ce genre est le groupe Les Pénitents. Ces musiciens sont restés anonymes en portant des cagoules noires pendant les prestations. C’est que, fils de diplomates malgaches basés dans l’Hexagone, ils se cachent par crainte de leurs parents car ils sont censés étudier et non faire de la musique. En 1963 ils enregistrent chez Barclay un disque instrumental, ils avaient prévu de jouer Amapola, mais leur directeur artistique leur fait jouer Wipe out, Sugar shack, Big pig et Hilly billy ding dong.
« C’est surtout au début des années 60 que le rock prend surtout de l’ampleur dans la jeune génération de l’époque. La génération dite Yéyé prend son envol, et évolue toujours en France. La génération dite « Yé-yé » prend son envol et en France, deux groupes malgaches ont fait leurs trous. Ce sont Les Surfs composés des disques 45 tours incluant des titres comme Reviens vite , Oublie et Si j’avais un marteau tous sorti en 1963 , A présent tu peux t’en aller lancé en 1964 , Scandales dans la famille sorti en 1965 et des disques 33 tours avec les albums Les Surfs (1966) et Les Safaris (ex-CCC Guitares) qui ont tous les deux connu le succès à travers des chansons francophones », précise Randy Donny, historien de formation, journaliste culturel et chroniqueur Rock.
Les années 70 voient l’apparition de nouveaux groupes qui apportent une nouvelle couleur et une sonorité plus dure et plus agressive après les années yéyé. Les Pumpkins (Sortie d’un 45 tour) jonglent entre le folk, le blues avec un concept assez avant-gardiste pour l’époque. Des groupes de rock, dont certains existent encore aujourd’hui, ont fait leur apparition à l’époque : Wild Angels, devenus Iraimbilanja (cassettes : Hira no Fanatitra ,Vohitsara , Tambavy. CD: Aza avela, ahoana ny ho avy), Doc Holliday, Black Jacks et Bayard. Puis les jeunes suivent leur pas en introduisant cependant plus de puissance et d’effets. Le Rock se popularise donc et commence à faire partie intégrante du monde musical malgache.
« Dans les années 80, le vent du rock se fait encore plus intense, et comme nous étions déjà influencés par les anciens groupes comme les Rolling Stones, et surtout poussés par la passion, j’ai intégré un des groupes phares de l’époque. C’est également durant ces années que les groupes populaires tels que Tselatra et Black Jack ont débuté » rappelle Nini, leader vocal du groupe Kiaka (CD : Tiako ny rock en 1989, Vetsovetsoko sorti en 1995, Raozy en 2002), un des groupes de pop – rock encore en vogue jusqu’à présent.
Des vents venus des anglophones
Depuis ses débuts, le rock malgache a surtout puisé ses inspirations chez les groupes anglophones, toujours grâce aux disques 45 tours qui arrivent sur les marchés. Les musiciens ne se contentent cependant pas de copier la façon de jouer des grands noms tels que Jimi Hendrix, ou les Rolling Stones, mais ils en profitent pour apporter leurs touches locales. C’est d’ailleurs de là que les musiciens des côtes de Madagascar ont exercé leurs doigtés qui font la particularité de leurs sons. Ces groupes ont été poussés par la maison de disque « Kaiamba », qui plus tard est devenu une référence, et est même confondu avec le genre musical des groupes qui sont passés chez elle.
Avec l’évolution de la technologie, l’ouverture au monde, et également le développement de la communication, les jeunes des années 90 ont plus de facilité à accéder aux musiques et aux œuvres des groupes étrangers, et donc ont la chance de mieux travailler la leur, en s’inspirant de la nouvelle vague extérieure. Les jeunes délaissent cependant les gros sons métal, pour se décliner vers l’alternatif. Le succès planétaire de Nirvana, des Offspring, ou encore des Red Hot Chilli Peppers sont à l’origine de la naissance de la New Wave locale.
Parmi les groupes en vogue de l’époque, et qui a apporté un nouveau souffle à la scène rock de Madagascar, L.A Doudh (groupe de rock alternatif malgache avec les albums So dark and So bright en 1999, Humanonatiora en 2001) a été sans doute un des plus marquants. Les jeunes de cette formation ont été qualifiés de précurseurs d’un nouveau genre, plus osé dans les paroles, moins conventionnels dans la façon de jouer, et qui cherche à braver les règles. Depuis, d’autres nouveaux groupes se sont créés, et c’est également vers la fin de ces années 90 que les scènes pour le rock se sont multipliées. Harry Kotaba, une des figures phares du rock local fait partie de ceux qui ont fortement soutenu le mouvement, à travers la création d’une grande campagne de communication et de promotion de ces jeunes du rock. C’est grâce à celui-ci que l’émission Kotaba est née, une émission radiophonique diffusée sur les ondes de l’Alliance Fm 92 (radio locale diffusée dans la capitale) destinée à la musique urbaine, dont le Rock de la nouvelle génération. « Il ne suffisait pas de faire passer les morceaux des groupes, mais également de leur donner une chance de se produire devant un public. D’où la déclinaison de l’émission vers l’événement « Mozika vaovao », qui se tenait toutes les deux semaines au CCAC (Centre Culturel Albert Camus) » rappelle Harry.
Un paysage musical diversifié
Dans ce monde prédominé par les hommes, et perçu comme un cercle de durs et de brutes, la gente féminine a tout de même su se faire une place, et a même marqué les esprits en ayant une présence constante et parfois fracassante auprès des amateurs de rock. Depuis les débuts du rock à Madagascar, elles étaient présentes, certes de manières plus discrètes, mais bel et bien présentes. Ghost, Dillie (CD : Efa Ela), ou encore Spoutnick sont des noms qui reviennent souvent lorsqu’il s’agit du Rock au féminin à Madagascar. Si les hommes sont plus « électriques » et techniques, les femmes du rock elles sont plus mélodiques et profondes dans les paroles. Ce qui n’empêche cependant pas que les riffs et les solos sont fortement présents dans leurs morceaux. Ces groupes féminins jouent aussi bien dans la cour du hard rock (Ghost), que la pop-rock (Dillie) et même le gothique.
L’avantage des nouveaux groupes actuels, c’est que la nouvelle technologie est fortement développée, et les influences affluent donc de plusieurs horizons. Ce qui laisse une large ouverture et une grande diversité dans les styles de musique, dont le Rock. Grâce à internet également, les groupes et les nouvelles formations ont plus de facilité à faire connaitre leur musique et ne se contentent plus des canaux de distributions traditionnels (CD – Télévision – Radio). Le revers de cette évolution est pourtant ce manque de contact direct avec le public. Madagascar n’échappe pas à la difficulté du marché du disque actuellement, et en particulier le monde du rock. Peu de personnes se risquent à produire les groupes, ce qui oblige souvent ces derniers à voler de leurs propres ailes et d’investir de leur propre initiative.
Quoi qu’il en soit, le rock malgache a un bel avenir devant lui. Les jeunes du moment sont encore plus imbus d’une rage de bien faire et de faire les choses dans les règles de l’art. Les rockeurs d’aujourd’hui sont mieux équipés, mieux encadrés, mieux accueillis par le public, et donc ont plus de chance de percer dans le monde difficile qu’est le show-biz de la musique.
Sources :
Randy Donny, historien de formation, journaliste culturel et chroniqueur Rock.
Nini : chanteur, membre du groupe de rock Kiaka
Harry Kotaba: promoteur musical de rock
Liens:
Alliance Fm 92: http://www.liveonlineradio.net/fr/france/alliance-92-fm.htm
RNM: http://tunein.com/radio/RNM-992-s247002/
Acronymes:
RNM: Radio Nationale Malagasy
Commentaires
s'identifier or register to post comments