Le seggae à Maurice
Du seggae roots de Kaya au sagga dancehall du groupe Negro Pou La Vi , le seggae incarne le souffle et les revendications de la jeunesse mauricienne.
Qu'est-ce que le seggae?
Avant de parler de seggae, il convient de parler du séga. Cette musique, issue de l'esclavage est typique de l'Ile Maurice. Elle présente des similarités rythmiques avec le salegy, cette musique côtière de Madagascar.
Le séga est répandu dans l'Océan Indien, dans l'archipel des Mascareignes (Île Maurice, Réunion, Rodrigues, Îles Chagos, Agalega) ainsi qu'aux Seychelles. Les afro-descendants ou « cafres » de l'île de la Réunion ont développé une autre culture: le maloya).
A l'Île Maurice, indépendante des colonisations françaises et anglaises depuis 1968, ce sont 160000 esclaves venus d'Afrique, de Madagascar, qui ont été déportés.
Initialement appelé chega, tsega ou encore chaga l'origine du séga viendrait du Mozambique. La tribu Macondé du Mozambique a donné son nom à un rocher emblématique, au sud-ouest de l'île. Les origines africaines du séga et l'histoire de l'esclavage sont racontées par Cassiya, le « Kassav mauricien ».
Leur chanson « Le Morne » se réfère au Morne-Brabant où se seraient réfugiés les marrons, les esclaves évadés, avant l'abolition de l'esclavage à l'Île Maurice en 1835.
Du séga typik du pionnier Ti Frère, avec voix et percussions, la ravane, la maravane et le triangle, au séga moderne de Windblows avec guitare électrique et cuivres, cette musique protéiforme ne pouvait que se fusionner avec le reggae.
Longtemps rejeté par la société par son côté lascif le séga, comme le reggae, né d'afro-descendants jamaïquains, a vocation de chronique voire de critique sociale. A la fin des années 80, la rencontre entre le séga et le reggae est actée par Kaya.
Son surnom vient d'une chanson de l'artiste protestataire jamaïquain Bob Marley. Kaya chantait: « seggae man to vibrasyon bizin positif seggae man li pou viv so lavi ... » Traduction: « seggae man tes vibrations doivent être positives seggae man peut vivre sa vie ».
La Révolution Kaya
Nous sommes le dimanche 21 février 1999. Joseph Réginald Topize dit Kaya meurt en garde à vue, officiellement d'une « fracture du crâne ». Le 10 mars une contre-autopsie révèle qu'il a été victime de brutalités policières. Kaya, issu de Roche-Bois, un quartier très modeste de la capitale Port-Louis, est devenu un modèle pour la jeunesse mauricienne.
Son groupe Racine tatane, qui a été mis en avant par le promoteur de concerts Percy Yip Tong, incarnait des valeurs d'unité du peuple mauricien, de non-violence et de métissage, à l'image de cette société multiculturelle.
Kaya était favorable à la dépénalisation du cannabis, un sujet très sensible à l'Île Maurice encore aujourd'hui. Il est arrêté après avoir fumé un joint de zamal sur scène lors d'un concert organisé par un parti d'opposition à Rose-Hill. Sa mort brutale engendre une révolte sociale qui embrase l'île. Un autre chanteur de seggae Berger Agathe est abattu par la police.
On appelle cette période sombre « le février noir ». Le jour de l'enterrement de Kaya toute la jeunesse mauricienne rassemblée entonne une de ses plus belles chansons: « Ras Kouyon ». Pour Blakkayo, un chanteur de la nouvelle génération: « Kaya était un pionnier. Il nous a donné envie de faire du seggae et du reggae. Quand il est parti on a continué le combat ».
Aujourd'hui les chanteurs de seggae continuent de rendre hommage à Kaya. En 2014, la Nuit du seggae, organisée par Live and direct entertainment, la structure des organisateurs du festival « Reggae donn sa », a célébré les 25 ans du seggae au stade de Roche-Bois qui, symboliquement, porte le nom de Kaya.
Ras Natty Baby, activiste du seggae
Joseph-Nicolas Emilien alias Ras Natty Baby est né en 1954 à Rodrigues, une île rattachée à l'Ile Maurice. La légende dit qu'à sa naissance son père, passablement éméché, se soit exclamé : « Look at my baby ».
Son surnom de baby vient de là. Ras Natty Baby est l'un des premiers à faire du reggae à l'Île Maurice où il vit depuis 1973. Tout petit, il imite les chanteurs de variété: Mike Brant, Sheila, Marie Laforêt, Cliff Richard, Tom Jones, Nat King Cole, Frank Sinatra...
Dans les années 70 il reprend du reggae: « J'ai commencé à chanter Bob Marley, Peter Tosh, Burning Spear, Bunny Wailer, les Abyssinians, les Ethiopians... » raconte-t-il.
Ras Natty Baby a été l'un des premiers à suivre le chemin tracé par Kaya « En 1990 mon album Nouvel vision a fait un carton. Le seggae a pris de l'ampleur. On a tourné dans l'Océan indien, en Europe... ».
Dans ses textes pro-environnementaux et engagés politiquement Ras Natty Baby a aussi montré l'envers du paradis mauricien:« A Maurice il n'y a pas que le sable blanc et les filaos. Il y a de la richesse mais il y a aussi la misère, le désespoir, les suicides, la drogue, le sida. On a tous besoin d'un toit, d'éducation et d'un peu de bonheur. Il y en a qui n'en ont pas, qui crèvent de faim ».
En 2013 le chanteur s'est mobilisé pour la population de Diego Garcia avec l'album Free Diego Garcia. Les habitants de cet atoll de l'archipel des Chagos ont été déportés en 1971 pour l'extension d'une base militaire américaine.
Le Rodska de Rodrigues
Parallèlement au seggae le chanteur a créé un style issu de son terroir rodriguais, le rodska, une fusion avec le ska : « Le premier colonisateur de Rodrigues c'était un breton François Leguat. L'accordéon, le quadrille, la polka, la mazurka les musiques celtiques sont restées à Rodrigues et se sont « rodrigalisées ».
J'ai créé ce nouveau style rodska sur mon album Résurrection, sur les titres « Rodska waka », « Rodjam vibe », « Protez nou l'ile », « Musik vs politik». J'essaie de donner aux jeunes un répertoire un peu plus large. ». Parmi ces artistes rodriguais on peut citer les Blackrod Brothers, Apka...
Le seggae aujourd'hui: OSB crew, Tian Corentin
Dans la génération qui a émergé à la fin des années 90 et dans les années 2000 on trouve Tian Corentin, chanteur de sega et seggae, excellent guitariste, et ami d'enfance de Kaya à la cité Roche-Bois. Il faut (ré) écouter ses excellents volumes Seggae Mania. On peut aussi citer Monaster, Nas T Black, Negro pou la vi, Ras Minik, Lionkklash...
Le groupe « roots » Natir Chamarel a représenté la communauté rasta de Chamarel, un site magnifique, au sud-ouest de l'île, connu pour sa terre volcanique des sept couleurs.
Leur album de 2013 Nou natir sa exaltait une certaine conscience écologiste. D'autres artistes comme les Ottentik street brothers (OSB) sont très influencés par le ragga, une façon de rapper propre à la jamaïquaine.
OSB a été créé en 1992 à Rose-Hill par Bruno Raya, alias Kool B, rejoint par Tikkenzo au rap, Dagger Killa pour le côté « lover » et l'excellent toaster Blakkayo.
OSB s'est battu sur le front de la créolité, c'est à dire la reconnaissance du créole mauricien: « Ici tout le monde parle créole. Mais nos documents administratifs sont en anglais. Alors que plein de gens ne comprennent pas l'anglais ou ne savent pas le lire. On a combattu pour que le créole soit adopté dans la société. Suite à ce combat maintenant il y a des informations télévisées en créole ».
En 2000 Blakkayo sort son premier album Tchek to life sur lequel il exprime son rejet de la police. En 2003, l'album suivant Xterminator cartonnne avec le titre « Laparans ».
Aujourd'hui Blakkayo a son groupe Solda Kaz bad, qui a sorti un très bon album éponyme en 2012.
De son côté Bruno Raya a sorti l'album Restdeterminé, dans lequel figure sa femme Linzy Bacbotte, grande chanteuse de seggae. En 2010, Linzy a sorti un seggae féministe: Fam exampler.
La nouvelle génération de chanteurs de seggae n'est pas en reste. Tiras, originaire de l'archipel d'Agalega, rattaché à l' Île Maurice, qui a moins de 300 habitants, a sorti le clip « Rar tann koz li » l'an dernier (2015). En mai 2015, Murvin Clélie et son groupe Prophécy ont fait un album remarqué 21rst century .
De son côté Mr Love et son groupe System R, connu pour son titre « L'espoir », incarne un seggae « lover » assez proche sur le fond mais pas sur la forme de l'esprit du zouk antillais.
Référence: Jean-Clément Cangy Le Séga Des origines... à nos jours Editions Makanbo 2012 Documentaire « Zafair Kaya » de Michel Vuillermet-Les films du village/RFO 2000 Île Maurice Kaya: http://ilemauricekaya.free.fr/oly_k/accueilkaya.htm Jahmusik.net: http://www.jahmusik.net/oldies/kaya.htm Les entretiens ont été réalisés par l'auteur à l'Ile Maurice en 2013
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