L'éducation musicale au Sénégal (Partie 2)
Retrouvez ici, la seconde partie du focus sur l'éducation musicale au Sénégal.
La pratique de la musique d’ensemble pour bals devrait remonter à l’avènement des folgars : bals de danses européennes organisés par les femmes signares (Gueye Op.cit : 23), ou plus certainement aux bals officiels.
Le plus célèbre et rapporté se tint le 15 août 1856 (Brigaud et Vast 1987 : 95, 96). Il est probable que des instruments à cordes comme le violon et l’alto soient rajoutés dans l’instrumentarium de cette circonstance musicale de salon. Sinon, la substitution conventionnelle dans les transcriptions orchestrales, des cordes par les bois (clarinettes notamment), présente la probabilité d’animation de ces soirées par la fanfare militaire et celle de la cavalerie jusqu’en 1900. La « Symphonie de Saint-Louis du Sénégal » prenant le relais à partir de 1903. Le répertoire classique (Beethoven, Schubert, Mozart…) de ces ensembles indique aussi leur portée potentiellement chorégraphique.
En effet, les bals étant de plus en plus les principales attractions de l’île, finiront par être adoptés par les populations noires. Ce sera en 1916, au lendemain de la reconnaissance de leur citoyenneté française avec les communes de Gorée, Rufisque et Dakar. Des orchestres d’autochtones naîtront en vue de l’animation des rencontres récréatives dans les quatre nouvelles communes: « La Lyre de Saint-Louis » et « Esperance » adeptes respectivement de musiques syncrétiques (rythmes et danses afro caribéens) et de musique classique pour Saint-Louis (Gouané 2012) ; « La Sénégalaise » et « La Goréenne » pour Gorée ; « La Rufisquoise » pour Rufisque et « La Dakaroise » à Dakar évolueront aussi dans le registre syncrétique, en incorporant des instruments comme l’accordéon, le violon, les percussions africaines et le banjo, pour la danse (Samba 2014).
L’éducation musicale ne sera pas en reste dans ce contexte. En 1930, la « Lyre Africaine » née de « la Goréenne » et de la « Sénégalaise », après la fusion de Dakar et Gorée, et confortée par son répertoire de chansons françaises, bénéficie du soutien parrainé d’Alfred Goux, maire de Dakar. Il met à la disposition du groupe un siège comportant une école de musique et des facilités pour suivre des cours de solfège au sous-soul du marché Sandaga de Dakar.
Cependant, l’éclectisme des goûts se fait jour et s’américanise à Saint-Louis, suite à la découverte du jazz des fanfares et big band de sections musicales de la marine militaire américaine, qui y étaient présentes durant la deuxième guerre mondiale. Peu après, la ville voit naitre son premier orchestre de jazz : « La Saint-Louisienne Jazz » (Gouané 2012).
Du point de vue éducatif, cette nouvelle forme musicale sera surtout portée au sein des orchestres « Star Jazz » de Pape Samba Diop dit Mba à Saint-Louis et « Joe et ses Boys » dirigé à Dakar par Joseph Mambaye. Ces deux saxophonistes ténor et mélomanes de répertoires stylistiques d’époques (paso doble, tango, jazz - swing etc.), seront les maitres dans l’initiation de la première génération de musiciens amateurs, à la technique instrumentale, à la transcription en notes nominées, au solfège, et à la pratique musicale collective.
Amadou Traoré (contrebasse et clarinette), membre de « Joe et ses boys », affirme que « À Dakar, les instrumentistes jouaient à l’unisson. C’est Joseph Mambaye qui, au retour de la guerre, a le premier, établi l’orchestration… cette instruction au solfège me permit d’apprendre la clarinette à partir de la méthode Klose, achetée dans les années 1950 à Abidjan ». (Traoré 2004).
Mais cette didactique musicale populaire continuera de moins en moins avec les répertoires occidentaux (chanson populaire, valse, paso doble, jazz…) et caribéens (salsa, cha-cha-cha, boléro, merengue…) à partir des années 1970 et dans la lignée culturelle du festival mondial des arts nègres de 1966.
À partir de là, l’élaboration de la musique moderne sénégalaise se faisait grandement au sein du club « Miami » d’Ibra Kassé. De source populaire, c’est tout à fait naturel que cette « école » de construction de la musique moderne partant de celles traditionnelles, soit de conception directe. C'est-à-dire, sans solfège ni partition, exactement comme la didactique ethnique. L’instrumentation et l’arrangement musical oral constituaient les nouveautés. Cette conception va demeurer, des solistes et premiers orchestres d’obédience « Miami » (Star band, Orchestre Laye Thiam) ou pas (Ucas Band de Sedhiou, Ablaye Ndiaye, Ifang Boni, Wato Sita, Xalam I, Xalam II, Touré Kunda…), aux orchestres et styles contemporains (Super Étoile, Super Diamono, Dande Lenool, Folk local, Rap …). C’est l’actualité de la création contemporaine dans sa relation à l’éducation musicale.
Entre temps, bien avant ces périodes esthétiques populaires, l’école formelle intégrant l’éducation musicale, naissait en 1816 à Saint-Louis.
Système éducatif et éducation musicale formelle
C’est pour le compte des territoires de l’Afrique Occidentale Française (A.O.F), que la naissance de l’école eut lieu dans la commune de Saint-Louis, au nord du Sénégal. Dans cette ville, fut envoyé, en 1816, Jean Dard : à la fois instituteur et chantre à l’église, mort en octobre 1833 (de Benoist 2008 : 108). La scolarisation connut des balbutiements dans sa formalisation jusqu’en 1905, marquant la laïcisation et le développement de l’enseignement colonial. L’éducation musicale scolaire adoptée revêtait un programme de culture différent de celui traditionnel et au service des ordres coloniaux ou religieux.
L’accès à la souveraineté en 1960, marque une phase décennale de mimétisme avant l’élaboration de programmes et horaires d’enseignement modifiés, et répondant aux objectifs fixés à la conférence de Nairobi, organisés conjointement par l’UNESCO et l’OUA, en juillet 1968.
- L’éducation musicale aux temps de la colonie
Avant la laïcisation promulguée à travers la loi dite « Jules Ferry », l’éducation musicale scolaire aura été le fait du ministère des Frères de l’Instruction chrétienne (les « Frères de Ploërmel ») ; les « Messieurs Libermann » de la Congrégation du Saint- Cœur de Marie ; celles de l’Immaculée-Conception de Castres et des Sœurs de Saint-Joseph de Cluny. Hormis le Collège de Saint-Louis (1843 -1849) fondé par l’abbé Boilat, les écoles primaires des garçons et celles des filles à Gorée, Saint-Louis puis Dakar seront principalement concernées par la discipline.
Les archives scolaires les plus informatives sont celles du collège Libermann de Dakar, devenu « Les Cours secondaires de Dakar » (1923), rebaptisé en 1939 « Lycée Van Vollenhoven », puis en 1984 « Lycée Lamine Gueye », sur l’initiative de Iba Der Thiam, historien et ex Ministre de l’éducation nationale. Ces archives disposent de preuves matérielles assez informatives de l’adoption formelle de l’éducation musicale (Bangoura 2000).
Le Bureau des archives de l’école ayant connu successivement des inondations en 1991 et en 1994, seuls les documents des distributions de prix sont encore disponibles. Les cahiers de texte qui pouvaient fournir des informations sur le contenu des enseignements – apprentissages étaient introuvables. Une documentation renseignant sur le palmarès de distribution des prix tenus le 28 juin 1925 et le 06 juillet 1929, indique une liste de classes (troisième et quatrième), de récipiendaires invités à la remise des prix de fin d’année et celle des lots concernant l’éducation musicale : deux prix (1er et 2e) et quatre accessits (1er, 2e, 3e, et 4e).
Ces ministères religieux se feront de 1841 (année d’arrivée des « Frères de Ploërmel ») à la laïcisation de l’école sous la loi Jules Ferry (1904). La charte de 1903 puis l’arrêté du 1er mai 1924 réorganisaient l’enseignement général, fixaient les programmes et hiérarchisaient les enseignements, dont l’éducation musicale.
Sous le vocable de « cours de chant et de musique », la discipline était également inscrite dans la formation professionnelle et technique, pour être enseignée en 1938 aux futures institutrices à l’école normale de Rufisque.
Une décennie plus tard, en 1948, sera fondé à Dakar, un Conservatoire de musique par Paul Richez : avocat et amateur passionné de chant lyrique. Avec un Secrétaire général, et constitué d’une équipe de six formateurs français, l’établissement proposera un parcours de mode classique en apprentissage instrumental (chant, piano, violon, violoncelle, trompette, trombone, hautbois, guitare, accordéon) et en enseignements musicologiques (solfège et écriture).
Le conservatoire de Dakar était unique du genre et devint un « haut lieu d’apprentissage musical pour toute l’Afrique occidentale française. » (Mazzoleni 2011 : 95). Il attirera de jeunes apprenants du territoire dont Pascal Johnson (Prix de chant), Amadou Bâ (Piano et saxophone), les frères Kété : Antoine (Piano et composition) et Antonin (Violoncelle) en carrières classique. Il verra aussi la fréquentation de musiciens d’orchestres populaires (Balla Onivogui de « Balla et ses Balladins », Baraud Ndiaye de « Les déménageurs », ou encore Luis Morais : futur compère de Césaria Evora) en quête de renforcement de connaissances.
Cet ensemble de faits historiques ayant concouru à la naissance de l’école au Sénégal, atteste l’existence en parallèle, des toutes premières traces de l’institutionnalisation de l’éducation musicale comme discipline scolaire sous l’administration du gouvernement de la métropole colonisatrice.
De manière opérationnelle dans la vie scolaire de l’époque, de jeunes sénégalais des années 1900 confirment à l’égard du système d’alors, un usage peu flatteur de la discipline. En effet, des témoignages ont permis de recueillir deux chants entretenant une conquête culturelle auprès d’écoliers scolarisés entre 1940 et 1942 à l’école primaire supérieure Blanchot de la ville de Saint – Louis.
Chant 1
France ta main puissante a brisé nos liens.
Des tyrans nous vendaient comme des bêtes de somme.
Mais tu nous délivras et fis de nous des hommes.
Salut France et gloire à ton nom.
Chant 2
Chère carte de France image vénérée
Dont j’aime à contempler les gracieux contours
Terre vraiment bénie et de Dieu préféré
A toi ce témoignage de respect et d’amour
Quel plaisir de contempler le long de tes rivages
Tes golfs et tes caps si connus des matelots
Ici c’est la Normandie et ses riants ombrages
Là c’est la Bretagne en guerre avec les flots.
Si le cours de chant au primaire ne pouvait, en textes, être dépourvu de relation culturelle explicite, celui de la musique pure (solfège et musicologie annexe) offrait grandement la culture musicale dans son système, son histoire, son expression et le développement historique de son langage.
Ce fait culturel et scientifique universel constituait un apport certain dans la perspective de la connaissance et de l’évaluation de la pensée, et de la création autour de la culture musicale patrimoniale. Il s’agissait d’une « volonté intégrative (qui) se référait, bien entendu, aux deux axes fondamentaux de la politique culturelle de Senghor : l’enracinement et l’ouverture ». (Sylla 2006 : 100).
Cet aspect, unanimement reconnu par les spécialistes de l’éducation musicale, en tant que langage le plus abouti dans la constitution et la présentation savante de l’art musical, sera conservé et adopté dans les programmes post indépendance.
Vous pouvez consulter la première partie du texte ici.
Commentaires
s'identifier or register to post comments