L’enseignement de la musique en Égypte, du mépris á l’essor
La musique égyptienne, intégrée depuis longtemps dans la culture, la religion et les rituels sociaux, a connu une évolution significative de genres et d'instruments au fil de l'histoire, particulièrement à l'époque moderne. Ainsi, son enseignement revêt une importance particulière en raison des multiples transformations de ce domaine au fil du temps. Au cœur de cette évolution, on trouve une richesse et une diversité de genres musicaux, chacun portant en lui les empreintes d'une époque spécifique. Des formes musicales traditionnelles, telles que le Tarab, le Mawwal, et les chants folkloriques, coexistent avec des expressions plus contemporaines comme le rap et d'autres formes de musique populaire. Chaque genre incarne une facette de l'histoire et de la vie quotidienne égyptienne, créant ainsi une mosaïque sonore riche et complexe.
Pendant des décennies, l'apprentissage de la musique a été méprisé, réservé autrefois aux familles artistiques. Les enfants étaient élevés dans l'idée de devenir musiciens, suivant les traces familiales. L'écrivain égyptien Yahya Haqqi a souligné ce mépris dans Ya Leil Ya Ayn, soulignant que les Égyptiens perçoivent la musique avec dérision, tant socialement que religieusement. Haqqi argumentait que les genres populaires égyptiens ne pouvaient être enseignés académiquement en raison de leur perception comme un art non structuré.
L'apprentissage de la musique a été stigmatisé, créant une contradiction étrange. Malgré l’engouement des égyptiens á consommer la musique, il demeure encore mal vu d’en pratiquer, et cela pour des considérations socioreligieuses. Les arts populaires égyptiens ont souvent été enseignés par des groupes marginalisés. Quant aux arts musicaux plus raffinés, comme la musique classique, et l’apprentissage du piano, ils ont attiré l'attention d'étrangers ou d'Égyptiens d'origine étrangère, tels que les Arméniens et les Chrétiens du Levant.
Au début de l'ère moderne, certains artistes égyptiens ont continué à pratiquer les arts populaires tout en encourageant leurs enfants à maîtriser des formes artistiques plus sophistiquées et des instruments occidentaux ou orientaux. Cependant, l'engouement pour l'enseignement musical a décliné chez la population égyptienne après le mouvement islamique des « Frères Musulmans », un mouvement en vogue des années 70 jusqu'au début des années 2000.
L'épanouissement de l'enseignement de la musique moderne en Égypte
En Égypte, aux côtés de l'enseignement de la musique classique et contemporaine, tels que le rap, les genres musicaux traditionnels prospèrent au sein de communautés culturelles distinctes. Des exemples incluent la musique amazighe à Siwa, la musique bédouine au Sinaï et la musique nubienne dans le sud du pays. Cette derniere, caractérisée par une échelle pentatonique, est transmise depuis des siècles principalement par l'écoute et la pratique, souvent lors d'occasions sociales telles que les mariages. Les jeunes apprennent la musique de manière participative, se réunissant dans divers lieux tels que les maisons, les bateaux sur le Nil ou les terres agricoles, où ils pratiquent une ancienne tradition artistique nubienne. Ces sessions artistiques jeunesse permettent la transmission des arts musicaux et la préservation des chansons d'une génération à l'autre.
L'introduction de nouveaux instruments, notamment l'orgue, a modernisé l'apprentissage musical en Égypte, facilitant l'incorporation de divers rythmes dans la musique nubienne, tout en déclinant l'utilisation de certains instruments traditionnels comme le luth et le tambourin. Aujourd'hui, ceux qui aspirent à maîtriser l'art nubien se tournent souvent vers l'orgue, tout en conservant l'utilisation des instruments traditionnels. Des groupes vocaux tels que Nubian Noor, Toshka et Muneib Heritage, ainsi que des artistes individuels, jouent un rôle clé dans la préservation de cette riche tradition musicale, contribuant à maintenir l'équilibre entre innovation et respect des racines culturelles.
Cette dualité entre tradition et modernité reflète la complexité de l'évolution musicale en Égypte, où l'orgue offre une versatilité contemporaine tout en coexistant avec des éléments traditionnels. Malgré le déclin de certains instruments, les efforts continus des artistes nubiens contemporains témoignent d'un engagement fort envers la préservation et la transmission de cette riche tradition musicale, assurant ainsi la vitalité de la musique nubienne dans le contexte culturel contemporain.
Les lieux d'apprentissage de la musique en Égypte se sont diversifiés, allant des institutions classiques aux établissements modernes visant l'enseignement de la musique contemporaine. Parmi les institutions anciennes, on trouve celles qui offrent un enseignement académique classique, telles que l'Institut de Musique Arabe, fondé en 1914 dans une tentative sérieuse de préserver le patrimoine de la musique dite arabe. D'autres établissements notables comprennent le Conservatoire et le Centre de Développement des Talents de l'Opéra Égyptien, ainsi que la Faculté de Musique de l'Université de Helwan, située dans le quartier de Zamalek. Outre ces lieux classiques, il existe des établissements qui ciblent l'enseignement de la musique contemporaine pour les jeunes, tels que l’espace « El Sawy », ainsi que de nombreuses autres écoles et centres privés disséminés au Caire et dans les grandes villes. La demande croissante des jeunes et des adolescents pour apprendre la musique, l'ouverture de ces centres et écoles musicales s’est intensifiée couvrant ainsi un large éventail d'aspects musicaux.
Depuis 2011, l'enseignement de la musique en Égypte a connu une transformation majeure, principalement propulsée par l'influence d'internet et des médias sociaux. Cette révolution a permis aux jeunes d'explorer et d'adopter une diversité de genres musicaux, transcendant les frontières culturelles et géographiques. La musique populaire égyptienne, ainsi que les musiques ancrées dans les cultures locales, comme la musique amazighe à Siwa, ont gagné en popularité au sein de cette nouvelle ère musicale. Cette expansion est étroitement liée à l'engagement de passionnés de musique qui partagent activement leurs connaissances en ligne, créant ainsi une communauté virtuelle stimulante pour l'exploration musicale individuelle.
L'accessibilité en ligne a considérablement stimulé l'enthousiasme des jeunes, offrant la possibilité d'explorer et d'apprendre différents genres musicaux depuis chez eux, contournant souvent les institutions traditionnelles d'enseignement musical. Cette tendance est accentuée par l'utilisation répandue des ordinateurs dans la production musicale contemporaine, permettant aux amateurs de développer leurs compétences de manière autonome. Ainsi, bien que l'enseignement musical en Égypte ait évolué vers une approche plus flexible et accessible grâce à l'influence d'internet, le défi subsiste dans la nécessité de maintenir un équilibre entre cette exploration individuelle en ligne et le cadre formel des institutions traditionnelles pour assurer une éducation musicale complète et équilibrée.
*Traduit de l'arabe par Leila Assas
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