Les bongomen sont-ils en train de redéfinir la scène musicale sénégalaise ?
Le bongo et le bongoman (joueur de bongo) ont pendant longtemps souffert d’un déficit d’image au Sénégal. Le bongo est un instrument à percussion rudimentaire, fait d’une calebasse recouverte d’une fine plaque de bois grossièrement percé pour river des bouts de métaux à scie.
De par son nom et un peu sa forme, il remémore l'instrument à percussion de Cuba du même nom, utilisé dans la musique latine. Il s'agit d'un doublet de tambours ligués à une membrane chacun, et dont l'un est plus grand que l'autre. On appelle bongocero le percussionniste qui joue le bongo cubain.
Le joueur du bongo sénégalais est appelé bongoman, et il est au coeur des animations dans toutes les cérémonies familiales sénégalaises.
Au pays de la Ternga, le bongoman n'a jamais vraiment été considéré malgré qu'il soit très attendu dans les célébrations familiales. Ce paradoxe qui a toujours limité ce maître du verbe à un troubadour - voire à un mauvais garçon - tout juste toléré parce qu’il faut mettre de l’ambiance moyennant de la petite monnaie - est aujourd’hui en train d’être dépassé à la faveur de la télé, des émissions radios ou clips où il est devenu une vraie vedette.
Cet as peu valorisé, avec son instrument rustique, révèle à chaque fois qu’il joue, une vraie science du rythme, des sons et de l’écriture. Aujourd'hui, il se fait une place sur la scène musicale professionnelle sénégalaise, en proposant désormais des shows plus structurés, des productions musicales mieux orchestrées et des vidéos de plus en plus populaires.
Ousmane Bongo, Ame bongo, Vieux Niang Bongo ou encore Babacar Bongo, sont parmi les plus connus. Sous les feux de la rampe, ces artistes prennent leur revanche sur l’histoire. Très demandés et pourtant dépréciés, ils n’ont jamais été vus comme de vrais créateurs mais des bateleurs. Cette perception change - désormais leurs noms sont associés aux tubes musicaux les plus populaires du pays. Ils transcendent les genres et les styles, redéfinissent l’identité musicale sénégalaise en général, en y insufflant avec habileté, une bonne dose d'authenticité proverbiale.
Beaucoup d’orchestres sénégalais, à l’instar du Super Étoile de Youssou N’Dour ont en leur sein, un maître de l’ambiance ; en plus de jouer de la percussion, on peut l’entendre sur certaines chansons, donner le la sur la partie la plus endiablée du morceau où le plus souvent, il brille. Dans l’orchestre de Youssou N’Dour par exemple, Mbaye Dieye Faye joue ce rôle.
Dans l’orchestre de Wally Seck, l’homme-ambiance s’appelle Mbaye Sy. Ces génies du « tassou » (chant apologique à rythme rapide et discontinu qui rappelle le rap), sont dans ces formations, d’appoint ; ils permettent d’introduire le plus souvent la plage où le rythme s’accélère et l’ambiance devient folle.
Certains de ces maitres de l’ambiance ont fait de jolies carrières au Sénégal, Salam Diallo en est un exemple. D’autres comme Ndiolé Tall ou encore Dame Séne peuvent aussi être cités. Plus récemment, le prodigieux Bass Thioung a fait parler de lui.
Tous ces artistes ont préfiguré ce que pouvait être un bongoman sur la scène musicale sénégalaise.
Produit par Soubatel Music, le clip d'Ousmane Bongo « Wa Kogn Bi » tourné en pleine rue est emblématique de l’incursion du Bongo dans le monde professionnel de la musique au Sénégal. L’ambiance du clip, le titre, ainsi que les moyens rudimentaires, dévoilent la réalité de l’artiste porté par son refrain qui a parlé à tous.
Sur les réseaux et notamment TikTok, la chanson est simplement devenue le premier tube du genre au Sénégal. Ousmane enchaînera même avec un second clip qui connaîtra moins de succès - mais il a montré la voie et les autres vont suivre...
L'artiste Dior Mbaye a invité un des plus connus des bongomen, Ame Bongo, sur son tube « Sagnsé ». La partition de l'ambianceur est devenue culte et positionne encore plus ses pairs sur la scène nationale.
Fort de ce succès, Ame Bongo enchaîne avec le rappeur Ngaaka Blindé sur un autre tube, « Vraj », qui supprime définitivement les frontières entre le « tassou » et le rap. La fusion est parfaite. Qui de Ame et Ngaaka rappe ou fait du tassou ? La performance est incroyablement virevoltante ! C’’est un vrai hit qui plaît aux sénégalais et qui installe désormais les bongomen comme des artistes professionnels au même titre que leurs compères.
De plus en plus, les bongomen s'imposent sur la scène musicale sénégalaise, hormis Ame Bongo qui surfe déjà sur la vague du succès avec ses brillantes collaborations. Il a récemment sorti une vidéo qui monte tout doucement ; elle est intitulée : « Son excellence is coming ». Il est suivi par son acolyte et adversaire musical Assane Bongo ; il existe même un début de clash entre bongomen nourri par les médias en ligne et même les télés. Tout cela renseigne sur la place qu’occupe ces artistes longtemps marginalisés, et participe aussi à les assoir encore plus sur la scène musicale locale.
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